Le prêtre c’est celui qui veut unifier le privé et le public. À ce sujet, comme toujours, prendre les défenseurs de la cause animale, et tout le New Age, pour ce qu’ils sont vraiment : des hommes incapables de gérer l’ambiguïté, le pluralisme, rêvant d’un monde débarrassé des antagonismes, des Juifs ou des capitalistes : c’est exactement la même chose. Ils rêvent d’un monde plat, immobile et prévisible.
Bellanger : « … Tous ces livres récents dont les auteurs semblaient, tout au contraire, ne s’être mis à écrire que pour pactiser avec le bien. Des récits de gens simples, abîmés par la vie mais de plein de bonne volonté encore. Des misanthropes frappés de guérisons miraculeuses, des vies petites et humbles, mais des âmes gigantesques, édifiantes et fertiles. On a changé l’eau de la littérature. C’est de ses inextricables rapports avec le bien dont il faudrait aujourd’hui faire l’analyse savante. On montrerait comment la religion moderne du livre, moteur ou miroir de la sécularisation du monde, est finalement devenue une enclave pieuse de nos sociétés secrètement sulpiciennes. »
Baer : « Il y a beaucoup de villes françaises où le couvre-feu est à 17 heures. Quand la troupe de théâtre arrive, comme dans Molière, c’est un événement. Fêtard ? Je préfère emmener des gens boire la journée en séchant le bureau à participer à des pince-fesses nocturnes mondains et alcooliques. L’école buissonnière est plus intéressante que la tournée des grands-ducs. »
Jabial : « Je connais trois personnes qui ont réussi alors qu'ils sont membres de minorités et ont grandi en cité. Les trois ont été traités de blancs à l'école parce qu'ils voulaient étudier et pas foutre la merde. La culture voyou empêche des générations entières de s'en sortir. »
Valéry : « Le monde ne vaut que par les ultras et ne dure que par les modérés. »
R. me parle de l’enchantement, de la fable, dans le cinéma contemporain. On ne supporte plus le réalisme—on a besoin de donner la parole à des animaux, pour s’approcher du naturalisme.
Chez Houellebecq, on aime les contrastes ; le fait qu’il nous surprenne, qu’il n’est pas là où on l’attend. Entre le romantisme et la froideur conceptuel. Entre le langage vulgaire et le langage scientifique. Entre la stupidité de certains et l’hyper intellectualisme d’autres de ses personnages. Entre les clichés et les idées complexes.
Le vaudeville, entre artistes, avec les sorties de scènes ; et les retours imprévus, d’un bout à l’autre de Paris, après avoir bu quelques pintes, s’être remis d’aplomb. Et le retour de l’un d’entre eux, dix minutes après son départ, un peu fâché, pour l’entendre dire : « Mais qu’est-ce qu’il se passe le mois prochain, on se sépare ? » La tension monte. L’un d’entre eux le calme, on le fait s’assoir, prêt à recommander une tournée.
Mardi Noir : « Il n’y a pas de bonnes causes (sous entendu, sociales, humanistes, féministes) dans l’inconscient. Il n’y en a pas de mauvaises non plus. C’est inconscient, et c’est le bordel. »
Question : Contre les religions, ou la psychanalyse, comme « consolation ». Non, car ces choses là peuvent faire des morts ?
Est-ce que rêver d’inceste, c’est déjà être le père incestueux ?
La psychanalyse se pose la question de la dépense, de choses aussi banales que l’achat de bottes. « J’ai acheté des bottes après avoir refusé de me faire arracher une dent. Et l’analyste va commenter cet acte. »
On a de comptes à rendre qu’à « nos désirs » dirait Lacan ; et le désir pour lui ce n’est pas des bons sentiments.
« Je vais récupérer un peu de phallus derrière » dit-elle, en expliquant les conditions dans laquelle elle se met en allant voir son tatoueur. Le tatoueur, évidemment, te pénètre. Dans la société, on érotise une partie de son corps.
Cyrano, vieux garçon séminal. (Le vieux garçon est dans le « trop » car il compense une blessure narcissique, un manque d’amour. Cyrano se bat trop, Bouvard et Pécuchet se cultivent trop. Mais au fond ils partagent la même névrose.)
L’analogie entre grimper par ruse (le lierre), ou lieu de s’élever par force (le chêne). Et « Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul. »
Rostand : « Le panache est alors la pudeur de l'héroïsme, comme un sourire par lequel on s'excuse d'être sublime. »
Lavandier : Un film kitsch ignore les conflits internes aux personnages. Tout ce qui leur arrive est externe. Il n’y a pas de psychologie. Les soap-opera sont composés comme ça.
_Nicolas Pages_ de Dustan : Les piercings aux tétons, et au nez aussi. L’amour entre homo : qui accepte d’être enculé, jusqu’a l’orgasme ou non, etc. ; une négociation permanente ; avec ou sans capote. La drogue qui sauve la vie.
MT me dit : « Les femmes jouent avec la séduction et la sexualité, comme les hommes jouent à parler de concept, ou à travailler. Une femme n’utilise pas plus sa séduction pour la même raison qu’un homme ne va pas plus aux putes. Ça ramène trop d’emmerdes, et c’est ennuyeux. »
La vulgarité des hommes barbus, mais aux jambes soigneusement épilées.
Nous sommes à une époque où nous pouvons tout faire, mais ne plus rien dire. Les intellectuels et les clercs vont donc redevenir une part importante du combat, alors qu’ils furent délaissés depuis les 70’s quand il s’agissait encore de gagner des combats « physiques. » L’heure sera bientôt à nouveau aux combats moraux, et les intellectuels auront toute leur place.
Joudet : « La féminité est comme un rempart, le désir d'acheter des vêtements, de mettre du parfum même les jours où personne ne te sentira, c'est comme un masque, une forteresse dans laquelle tu te tiens et qui te permettent de faire bonne figure tandis qu'à l'intérieur tu es effondrée. Voilà peut-être l'avantage que les femmes ont sur les hommes: celle de se travestir, d'étouffer sous des couches de superficialité le visage éteint des jours d'angoisse. Peut-être que plus une femme est habillée plus elle va mal. »
« Le meilleur moyen de ne pas se laisser affaiblir narcissiquement par le réel, ses catastrophes et ses contingences consiste à se dévouer aux autres. La sainteté, que tu n'envisages pas une seule seconde, est une bonne stratégie de déprise de soi. »
« Depuis longtemps, tu es en conversation interrompue avec Quelqu'un mais tu sais que ce quelqu'un est informe, parfois il a pris la forme d'une personne, d'un petit copain, d'un ami, mais toutes ces formes paraissent aujourd'hui insuffisantes. »
« Me mettre à l'analyse (pour) me radicaliser dans ce respect du mot juste, de la précision. »
On peut mieux apprivoiser son corps aujourd’hui grâce aux selfies, aux vidéos, etc. Car on connait son corps, son visage, sa voix, etc.
Toujours rigolo de regarder Zemmour s’exprimer devant des chroniqueurs sans aucun talent. Comment supporte-t-il les mêmes discussions, les mêmes sous-entendus, la même mauvaise foi, et surtout cette ignorance ? Il n’y a pas de débat argumenté, ni de discussion avec des points de vue opposés, mais une série d’agressions sur le terrain des sentiments. Ils n’ont rien à lui répondre, mais trouvent de quoi s’énerver, de quoi se moquer de lui.
On n’a pas tué la télévision, car la télévision c’est un mindset, e.g une façon de vivre imposée par le programme politique. Or en 2017, l’élection présidentielle se faisait d’après l’agenda des hommes politiques, des grands médias, etc. Rien n’avait donc changé.
Traiter une scène d’après-le-sexe comme une scène de séduction, et vice versa : une scène de séduction comme d’ores et déjà un après-le-sexe.
Dujardin à propos de la comédie : « Gardes-en ! » se dit-il. Il y a une 90 minutes, on ne va pas tout donner dans le premier quart d’heure.
Sheila Heti : Écrire tout le temps, et ne pas laisser nos idées mûrir, grandir (« build up »), nous amène surtout à écrire des platitudes. Il faut attendre, s’interdire d’écrire même, pour qu’à l’arrivée, le jour où l’on s’y remet, plusieurs strates d’idées puissent arriver d’un seul coup. Ne pas écrire spontanément, mais laisser mûrir, afin de les confronter les unes aux autres.
Le roman du trading montrait des pervers narcissiques, celui sur les startups montrera des Peter Pan à peine dépucelés, et dotés d’un pouvoir « supérieur », car symboliquement beaucoup mieux perçu que les traders.
Peggy Sastre : La nature dépendante de la femme est inscrit dans son patrimoine génétique, car elle se cherche un protecteur, pour assurer sa survie et celle de son enfant après sa naissance, quand tous les deux sont incapables de se défendre seuls. D’où ce « cliché » que la femme la plus insécure va en fait chercher l’homme le plus viril, capable de la défendre – quand bien même cet homme est le plus à même de la violenter elle.
Il existe une quantité de facteurs expliquant la sécrétion d’hormones suscitant « l’amour » – e.g un sentiment de besoin, et donc de manque – dans la séduction, après l’orgasme, après la naissance d’un enfant aussi. Tout cela vise à assurer le meilleur taux de reproduction.
Sloterdijk : Les métaphysiciens n’aiment ni la technique, ni finalement les œuvres d’art, car tout cela n’a aucune « nature », et apporte plutôt de l’inattendu, du non-apodictique. Or le métaphysicien cherche seulement de l’inaltérable, ce qui est le contraire de la technique, de l’innovation, qui ne répondent à aucun sous-jacent « naturel ».
Holcombe : Une société libre permet d’envisager plusieurs futurs différents, car l’information n’est pas parfaitement partagée. Une société primitive n’a qu’un seul futur possible, comme la totalitaire, car l’information ne provient que d’une seule source. (L’écologisme raisonne comme un primitif, en ce qu’il considère que toute l’information est aujourd’hui disponible, et dans son cas appelle légitimement à l’immobilité.)
La tâche d’une entreprise est de créer des incitations pour que la connaissance puisse se transmettre at scale, et ne reste pas seulement tacite.
Lavandier : Un film kitsch ignore les conflits internes aux personnages. Tout ce qui leur arrive est externe. Il n’y a pas de psychologie. Les soap-opera sont composés comme ça.
Naval : « My life is now basically a portfolio of really long-running conversations. With or without documentation. With or without pay. With or without persistent counter-parties. Some conversations, the counterparty is stable for decades. Others it’s more counterparty-of-the-week. »
Décrire l’hypocrisie des bourgeois d’aujourd’hui comme Beauvoir décrit celle de sa famille croyante, soumise à des dogmes stupides, soumise à l’ordre des prêtres et des bonnes sœurs.
Etre victime d’idéologie, c’est être si peu investi personnellement dans ses idées qu’on peut être remplacé par un autre pour les défendre, sans que rien ne change.
L’écrivain n’est jamais seul. Il a besoin de contemporains, pour rester moderne. Il a aussi besoin d’un maître. Pour Bellanger, ce fut Wikipedia. À la fin de la _La théorie_ Bellanger mime le comportement d’un « robot indexeur fou » dans Wikipedia se perdant avec la fonction « page aléatoire » — comme métaphore de la folie qui touche le héros à la fin du roman.
Si Camus et les autres écrivent sur « le sentiment de l’absurde », il nous faudra écrire sur la « quête de la réussite ».
Deux thèmes sur lesquels écrire de petits essais :
1. Le droitisme en général, le fait qu’être de droite devient aussi cool, et bientôt branché, qu’être lili-bobo hier.
2. Le sport extrême — marathon, trekking, yoga, « méditation » — pratiqué par ma classe sociale de « jeunes actifs blancs citadins ». L’énergie, le temps que ça prend — au détriment de quoi ? Et que faisaient-ils avant ?
Pasolini : « Mon indépendance, qui est ma force, induit ma solitude, qui est ma faiblesse. » Et : « La solitude : il faut être diablement fort pour aimer la solitude ; il y faut de bonnes jambes. »
Comme Baldwin décrivait l’état d’inquiétude d’un jeune Noir qui marche dans les rues de NYC, décrire aujourd’hui l’état mentale d’une femme dans les transports parisiens.
Passion de l’époque pour les sacs à dos. Un par jour se lance sur Kickstarter. Rechargeable, solaire, recyclé, biodégradable, etc.
J. Peterson : Il y a plus de différence au sein d’un groupe — entre les personnalités — qu’entre plusieurs groupes. Mélanger deux groupes aux origines différentes, aux genres différentes, etc. va créer moins de diversité que de sélectionner un spectre large au sein d’un seul groupe.
Sur _Ma nuit chez Maud_ : « Cette ampleur des dialogues “profonds” était donc très habilement contrebalancée par des notations crues et réalistes sur la sexualité, les mœurs, le travail, la vie quotidienne dans une ville moyenne et aussi quelques touches très poétiques. »
Une société n’a pas « besoin de religieux » au sens de Debray, mais on observe empiriquement qu’un groupe de curés utilise toujours le même type d’arguments pour s’approprier un peu de pouvoir, et nier la possibilité d’être critiqués.
Le curé est celui qu’on ne peut pas critiquer sans être soupçonné d’être un agent du Mal, d’être un ennemi de toute la société. Il s’approprie la volonté collective, sous la forme des esprits, d’un Dieu, des valeurs (e.g victorienne), du peuple.
Ben Evans : La tech est parvenue à rentrer dans le living-room, non pas en attaquant la télé, mais en arrivant par le smartphone.
Comment tuer tous les jours les « _what if_ » de ma vie ? Pour ne pas hésiter à payer à x ou à y, à faire x ou y, etc.
Diviser le monde entre ce qui ceux qui _thrive_ avec permission, et ceux qui _thrive_ sans permission.
Les USA ont eu E. Bernays, la France a eu J. Lacan. D’où l’explication que le « capitalisme de la séduction » (e.g un capitalisme qui se soucie du consommateur, plus simplement) n’a jamais percé en France — car un Lacan, et son cortège puritain, ont tout de suite combattu la nouvelle façon de s’adresser au marché que proposait Bernays.
Mandeville : « À l’instant où le mal cesserait, la société serait dispersée sinon totalement dissoute. »
On distingue les « vraies religions » d’aujourd’hui aux discours qu’elles pratiquent, e.g des discours non-individualistes, non « c’est mon choix, je respecte celui des autres », comme on le dit pour les religions révélées. Par exemple, le discours écologiste ou vegan ou féministe demande une prise de conscience collective, et pratique donc un prosélytisme conquérant. Les écologistes, végan, féministes, ne disent pas que « c’est leur choix » et qu’ils tolèrent celui des autres. Ils disent que c’est une urgence, que tout le monde devrait se sentier concerné, qu’il faut même rééduquer les cerveaux malades qui refusent d’aller dans ce sens.
C’est au _continuum de la Morale_ auquel il faut s’attaquer, dont le vocabulaire, justement, n’est jamais arrêté, ni du reste les ennemis. On ne comprend pas l’histoire intellectuelle contemporaine sans admettre que « la Gauche », réservoir contemporain des idées, est en fait cette morale. La même qui était celle des conservateurs (ou « ultras » disait Stendhal) d’avant l’affaire Dreyfus, d’avant la Shoah. Chaque époque a « sa Morale », aujourd’hui porté par la Gauche, qui dispose du même poids dans nos mœurs que ce qu’on nomma longtemps « la morale bourgeoise ».
Et comme il y avait l’insulte « libéral » aux yeux des ultras au début XIXe, il y a peut-être les « racistes » aujourd’hui ; les deux attaquent les tabous des puissants.
Les ennemis de Casanova et Stendhal, choqués par tant de volupté, de grossièreté, de franchise, sont les mêmes que ceux de Houellebecq, devant son mépris affiché des standards de l’époque. À l’époque de Stendhal, les « ultras » interdisent de lire des romans, tous suspectés de corrompre les mœurs, comme aujourd’hui on suspecte autre chose, YouTube, la télévision, etc.
L'artiste pur ne doit penser qu'à son œuvre, non à l’humanité, et c’est pour cela qu’il choque sans cesse la morale de son temps — tout ça est banal. Aujourd’hui l’artiste véritable est celui que « la Gauche » attaquera, comme égoïste, anti-humaniste, ou plutôt anti-antiraciste, etc.
Jean Prévost : « La prose de Stendhal essaie d'égaler en nudité, en promptitude, les découvertes de la pensée. »
Sur les années 80 : « Dernière époque avec encore un pied dans le premier degré. Partenaire Particulier croyaient en ce qu'ils faisaient, de façon primaire, aujourd'hui tout est référentiel et au minimum ironique, et n'existe que par rapport au passé. Le ricanement est généralisé. Le début des 90's garde encore une certaine fraîcheur également. Quand Kurt Cobain se colle une balle dans la bouche, il est hyper premier degré. Mais sa musique est déjà teintée de sarcasme. »
-> Pas sûr d’être d’accord. On pourrait renverser le constat, et dire qu’aujourd’hui il n’y a pas la liberté de ton de ces années-là.
If you can move money around as easily as emails, on the internet, then you can reinvent business models based on « likes » and « favorites » that are linked to a currency. How to figure out a way for creative people to make a living out of the internet? E.g the equivalent of the super easy « in-app payments » in the iPhone, that actually changed the business model of video games. Isn’t crypto the « iPhone moment » for creative people/developers?
(Hashcash is the algorithm that requires you to solve a small problem before sending a email.)
« All great movies are teaching movies. They encourage us to participate with them, and with the whole of cinema. »
Réception de _Citizen Kane_ : Sartre criticized the film's flashbacks for its nostalgic and romantic preoccupation with the past instead of the realities of the present and said that “the whole film is based on a misconception of what cinema is all about. The film is in the past tense, whereas we all know that cinema has got to be in the present tense.” Bazin believed that a film should depict reality without the filmmaker imposing their "will" on the spectator, which the Soviet theory supported. These theories were diametrically opposed to both the popular Soviet montage theory, the politically Marxist and anti-Hollywood beliefs of most French film critics at that time.
La « uber-theory » remplace la discussion de comptoir.
Ce qui me différencie de S. Johannin, comme finalement de Coop-Phane ou Liberati, et de tout un tas d’auteurs avant eux (e.g Fante, Bukowski), c’est que je n’ai aucun culte de la marginalité, et même que je vois dans cette attitude « underground » quelque chose de branché, d’extrêmement cool, d’inaccessible. Je préfère encore les romans de branchés assumés, comme Beigbeder ou N. Rey.
Me fascine aussi la persistance de ce subjectivisme, cette volonté — associée à la nuit, à la fête — de vivre des expériences « pures », sans « chercher à comprendre » disent-ils.
Cela explique leur absence d’ironie, de distance, et donc d’idées sur l’époque — le minimum !
Blade Runner est le premier film de science-fiction à faire du « film noir », Alien à faire de l’horreur, Star Wars de la saga épique, Men in Black de la comédie, Solaris du drame existentiel, La Possibilité de l’auto-fiction. Mais n’y a-t-il pas quelque chose à créer encore, un genre de classicisme proustien, hyper-exigeant, pour sci-fi ?
L’artiste qui ne se reproduit pas participe à la reproduction de l’espèce, comme la fourmi ouvrière infertile, en ce qu’il donne aux autres humains des fictions, et donc quoi s’occuper, voire même rêver. Le monde serait plus hostile sans la fiction, sans la philosophie, et l’on n’y ferait peut-être moins d’enfants. Le poète infertile n’est pas du tout un parasite, au contraire !, il a son rôle.
Paul Graham : « It’s difficult to imagine now, but every night tens of millions of families would sit down together in front of their TV set watching the same show, at the same time, as their next door neighbors. What happens now with the Super Bowl used to happen every night. We were literally in sync. »
Claude Simon : « … j’ai été témoin d'une révolution, j'ai fait la guerre dans des conditions particulièrement meurtrières (j'appartenais à l'un de ces régiments que les états-majors sacrifient froidement à l'avance et dont, en huit jours, il n'est pratiquement rien resté), j'ai été fait prisonnier, j'ai connu la faim, le travail physique jusqu'à l'épuisement, je me suis évadé, j'ai été gravement malade, plusieurs fois au bord de la mort, violente ou naturelle, j'ai côtoyé les gens les plus divers, aussi bien des prêtres que des incendiaires d'églises, de paisibles bourgeois que des anarchistes, des philosophes que des illettrés, j'ai partagé mon pain avec des truands, enfin j'ai voyagé un peu partout dans le monde… »
Dire « moi », c’est être quelqu’un qui s’attend à ce que « ça continue », disent les philosophes anglais, selon Deleuze.
Mai 68 n’a pas attaqué le savoir, ni les professeurs, ni la connaissance, mais au contraire abattu des cloisons, et fait changer l’enseignement qui était, selon Foucault, extrêmement étriqué.
Roth dit : Il n’y a pas d’authenticité de la vie humaine. Les personnages s’imaginent des vies, se donnent des rôles. Les gens se racontent des histoires, et Roth en montre la noirceur.
Peut-on dire qu’un junior ne peut pas _ne pas_ donner son avis sur une question, tandis qu’un senior va se contenir, et ne pas laisser apparaître ce qu’il pense en public, mais contrôler extrêmement tout ce qu’il « donne » de lui-même. Triste conclusion, un peu triviale aussi, mais il y a bien une maîtrise du secret, de la discrétion, inhérente au rôle de leader.
Dans Paris :
• Le début de la rue du Four, au croisement du boulevard Saint-Michel, quand on peut voir de loin le panneau du Bon Marché, qui ressort bien net dans le ciel orangé de la fin d’après-midi ensoleillé en hiver.
• Les rares bancs de la place saint Sulpice, où l’on peut se poser en contemplant la terrasse du café de la Mairie.
• Les jeunes bourgeois ayant grandis dans le 5e n’ont pas tous réussi. Certains ont été à Lavoisier, et se sont fait humilié par leurs camarades. On demande si les parents sont locataires ou propriétaires. Ce qui est cool c’est d’aller le dimanche soir au MacDo entre potes, plutôt que de rester à dîner chez les parents.
• Au Luxembourg, une fille embrasse son amant, elle y met les formes. Il faut bien faire. Au moins aussi bien que dans les films. Elle lui met donc les bras autour du cou, et s’agrippent les deux mains derrière sa nuque.
Bastien Vivès dessine avec des calques, en les superposant les uns aux autres. Les traits sont de moins en moins grossiers. Il se sert des calques, en diminuant leur opacité à chaque nouveau passage, à chaque fois qu’il dessine un peu plus finement.
Il met six à huit semaines pour faire un album. Rapport de rapidité, de commodité par rapport au médium.
La BD peut montrer des choses très osées dans la sexualité tout en restant « enfantine ». La possibilité de jouer sur plusieurs registres est l’apanage des BD.
Je veux donner à voir, à ressentir, l’espèce d’horreur — honteuse — que j’ai pour le provincialisme, pour ses fautes de goût, pour sa petitesse kitsch et assumée, et presque guerrière, des provinciaux. Je ne parle pas de la misère paysanne, ou autre, mais du « contentement de soi » du provincial, qui vit entouré de merde, très littéralement — ses habits, ses idées, sa radio, sa télévision, sa voiture, ses bijoux, ses lunettes —, mais qui l’assume pleinement, et en est si fier.
cahier de notes
lundi 25 février 2019
mardi 14 août 2018
Chronique XXI
Louis et Lagasnerie reviennent à une critique de libéralisme « pré-artiste », e.g le capitalisme comme moyen d’oppression, d’appauvrissement. Ils font un bond de cinquante ans en arrière ; car avant eux, on avait bien compris que le capitalisme était le seul moyen d’inclure plus de monde, d’enrichir plus de monde, mais on critiquait l’uniformisation du mode de vie bourgeois. Puisqu’aujourd’hui on voit que le capitalisme ne vend plus l’uniforme, mais au contraire la personnalisation extrême, on se rapatrie sur une vieille critique surannée.
Ils n’ont aucune idée originale sur le monde, ils sont si secs intellectuellement, qu’ils inventent des fascismes pour se faire exister, pour avoir une chose à dire, pour se mettre en avant sur la scène médiatique—car oui, ils sont mégalomanes et pas humbles du tout.
Louis encore : « La vie d’une personne noire, même dans ses aspects les plus quotidiens, ne serait pas la même sans James Baldwin, Toni Morrison ou Édouard Glissant. Il faut considérer la société comme un espace où des discours, les possibilités et les façons de penser le monde coexistent et s’affrontent, sous des modalités différentes : la politique, la littérature, l’art, les mouvements de grève, la conversation. Je ne place pas de hiérarchie là-dedans, la littérature joue le même rôle qu’un mouvement social. Elle est donc très importante. La politique, ce n’est pas gagner une élection, c’est faire exister une parole. La littérature en est une forme possible. Mais s’il s’agit de ne pas penser, d’être irresponsable, d’écrire, simplement, sans penser à ce que l’on écrit, on se fait le porte-parole du sens commun, on se fait le sténographe de la violence du monde. »
Les supposées victimes de l’échange marchand sont celles qui attirent toutes les attentions. Pas les victimes en tant que telles ; car il en existe de toutes les sortes. Typiquement les perdants du « marché sexuel » sont des victimes dont on tout le monde se fout.
Car Marx c’est bien ça ; la démonstration que la création de richesses de se fait forcément aux dépends d’une victime : prolétaire, immigrée, femme, animaux…
Jacques Laurent :
Blondin est un de ces jeunes auteurs qui nous arrive sans Kafka ni Sartre sous le bras.
« La plupart des peintres abstraits aiment la peinture, mais préfèrent écrire (pour déclarer, manifester, exposer). »
Sur la nature décorative des œuvres de Miro.
De _La Parisienne_ Laurent dit, en la présentant : « elle vise à plaire » ; à l’inverse des _Temps Modernes_ cette revue « n’est pas un cours du soir ».
Un curé est toujours accompagné d’une dévote. Si les curés d’aujourd’hui sont assez connus, reste à identifier leurs dévotes.
Le consensuel ne profite qu’aux médiocres.
La mystique nationaliste contre elle calcul de l’ingénieur, dont nous parle Laurent, et qui fut si structurante dans les années 30.
Etonnamment, les bourgeois nationalistes furent les plus rapides à abandonner la France, en se soumettant à l’esprit allemand pendant l’occupation. (De même, aujourd’hui les féministes abandonneront rapidement leur combat, pour un autre…)
« Writing about Jean Baudrillard's childhood, Lotringer reminds us just how far his generation has traveled to reach The Matrix. He recalls the 11-year-old Jean and his grandparents riding an oxcart loaded with mattresses from Reims to Paris during the massive evacuation of the French populace that marked the onset of the War. »
R. Camus : Un petit remplacement—de la grande culture par le divertissement et le loisir—a rendu possible le grand remplacement.
La bourgeoisie arrivant au sommet sans histoire, elle a fait de la grande culture une légitimité. La noblesse, puisqu’elle avait une histoire, il n’y avait pas de rapport à la grande culture.
L’homme le plus riche du monde a commencé sa carrière en vendant des livres sur l’internet.
Le catholicisme de la fin du XIXème, le communisme d’après-guerre, l’antiracisme des années 90, sont les trois noms d’une même pulsion dévote, anti-libérale, anti-individualiste, conformiste et hypocrite.
L’État a défendu ces trois idéologies, pour gagner en puissance—sans y croire, bien sûr, car vivant en vase-clôt, en libertins affranchis. Les idéologies se nomment adroitement, elles se cachent derrière Dieu, puis l’Histoire et ses prolétaires, et enfin le Vivre Ensemble et ses immigrés.
Il n’y a qu’un seul moment dans l’histoire où les dévots ont coïncidé avec le « progressisme », e.g pendant le déclin du communisme qu’on appelle le gauchisme, en Europe comme aux USA—quoique le communisme européen était homophobe et peu féministe. Mais auparavant, avec le catholicisme, et puis avec l’anti-racisme, les dévots défendent plutôt le conservatisme moral. Le gauchisme a finalement été vite rattrapé par l’anti-racisme, car le gauchisme était trop individualiste, trop libéral par certains aspects—avec le libéralisme-libertaire. Les bobos furent vite rattrapés par les nouveaux dévots, aux intérêts à peu près antagonistes pour certains questions, comme les gays ou les femmes.
Trois curés : Maurras, Sartre, Bourdieu. Ils ont chacun dit des choses justes, la décentralisation, l’athéisme, la déconstruction. Mais ont généré, l’un après l’autre, une foule de dévots hystériques, à la pulsion castratrice, violente.
Aux USA : Les clubs de l’Ivy League. Greenwich Village et la New Left. Les Cultural Studies et la discrimination positive. (cf. Roth)
Les attitudes critiques, pour choquer le dévot : L’avant-garde artistique : Duchamp. Le non-engagement autour de la revue Art : Truffaut. Les nouveaux réactionnaires : Houellebecq.
Les périodes de transition sont favorables à la création, pendant que les curés se chassent les uns les autres : ils ont moins de temps pour exercer leur pression morale, pour interdire et pour emprisonner. 1. L’explosion créatrice des années 30, quand le catholicisme bourgeois s’éteint et que l’individualisme s’exacerbe partout, en Europe comme aux USA. 2. Au cours des années 90, le communisme disparait, après avoir mués en gauchisme, avec ses sous-branches hybrides et délirantes ; la nouvelle morale anti-raciste n’a pas gagné. Les curés se battent entre eux—et les décroissants finissent par perdre face aux anti-racistes.
Y a t-il un impact du côté des entrepreneurs ?
Les _imprécations_ des chrétiens du Moyen-Age. Raciste est un terme aujourd’hui religieux.
Renaud Camus nous rappelle qu’à l’époque de la répression sexuelle, seuls les pervers osèrent s’élever contre, et agir librement. Cela n’aidait pas à la conquête d’une sexualité libérée pour tout un chacun, car seuls les marginaux et pervers attaquaient la morale sexuelle de front. Il fait la comparaison avec les vrais racistes du FN, qui attaque de front l’anti-racisme, et rend ce combat plus difficile encore.
Etre victime de ses idées, comme dans _Rushmore_ ou être sauvé par ses idées, comme chez Truffaut.
« Un homme ne se re-commence guère que par une femme. Ou par la guerre, la révolution. » in _La Conspiration._
Comme avant l’affaire Dreyfus, l’antisémitisme est redevenu de gauche, e.g foncièrement anticapitaliste.
Il était mal vu d’être naziphobe quand les Allemands occupaient la France.
Kristeva : « Être psychanalyste, c'est savoir que toutes les histoires reviennent à parler d'amour. La plainte que me confient ceux qui balbutient à côté de moi a toujours pour cause un manque d'amour présent ou passé, réel ou imaginaire. Être psychiquement en vie signifie que vous êtes amoureux, en analyse, ou bien en proie à la littérature. Comme si toute l'histoire humaine n'était qu'un immense et permanent transfert. »
L’hystérique, c’est le discours divisé : l’être s’expose, comme un contre-poids au discours—discours qu’on questionne, etc.
L’objet a, c’est entre le sujet et l’objet. On n’a jamais possédé l’objet a ; on veut récupérer un objet qu’on n’a jamais eu en premier lieu, car l’objet a déjà un peu en dehors du sujet—et n’est donc pas non plus un objet. Le placenta, c’est ni l’enfant ni la mère. L’objet a se perd du fait du langage, et c’est par le langage qu’on tente de le récupérer.
Considérer le « fou » comme le naturel, et la « norme » comme le culturel. Exemple de la maternité : est-ce qu’on est naturellement une bonne mère, ou est-ce la culture qui pousse les mères à ne pas commettre d’atrocité sur leurs enfants ?
Joudet : « La curiosité (non feinte) est toujours un bon moyen de s'en sortir quand on pense être gêné. La mienne a quelque chose d'un peu lâche peut-être: se rendre curieux c'est toujours d'abord une façon de se reposer dans les propos de l'autre, de lui déléguer la responsabilité de la conversation; il suffira d'une autre question pour le relancer. »
On vit dans un monde absolument opposé au moment « Mai 68 », à ces quelques mois pendant lesquels les parents de la classe moyenne se laissèrent pousser la barbe, achetèrent un disque des Beatles.
Tout est interdit, la libération sexuelle a été renversé. On maintient un « discours » progressiste, mais la _répression intellectuelle, morale et sexuelle_ est de retour. C’est l’apparence du chaos, l’apparence de dégénérescence, qui permet de faire régner l’ordre. Notre monde n’est pas permissif—la drague est interdite, tout énoncé anti-antiraciste est interdit voir tabou.
Depuis l’école de Francfort, puis la French Theory, on casse le patriarcat en utilisant les jeunes et les femmes, car on déteste l’homme, le travailleur, le petit-bourgeois et le patriarcat.
La première fois que des critères « flous » (e.g non strictement académiques) furent mis en œuvre à Harvard, c’était pour en exclure les Juifs, ou tout au moins pour réduire leur ratio. Aujourd’hui, la discrimination positive défavorise ouvertement les Asiatiques et les Caucasiens. On lutte contre une sur-représentation en renversant la logique de jadis : on ne dit plus « on veut moins de » mais « on veut plus de ». C’est in fine exactement la même chose.
D. F. Wallace : « The next real literary “rebels” in this country might well emerge as some weird bunch of anti-rebels, born oglers who dare somehow to back away from ironic watching, who have the childish gall actually to endorse and instantiate single-entendre principles. Who treat of plain old untrendy human troubles and emotions in U.S. life with reverence and conviction. Who eschew self-consciousness and hip fatigue. These anti-rebels would be outdated, of course, before they even started. Dead on the page. Too sincere. Clearly repressed. Backward, quaint, naive, anachronistic. Maybe that’ll be the point. Maybe that’s why they’ll be the next real rebels. Real rebels, as far as I can see, risk disapproval. The old postmodern insurgents risked the gasp and squeal: shock, disgust, outrage, censorship, accusations of socialism, anarchism, nihilism. Today’s risks are different. The new rebels might be artists willing to risk the yawn, the rolled eyes, the cool smile, the nudged ribs, the parody of gifted ironists, _the “Oh how banal”._ To risk accusations of sentimentality, melodrama. Of overcredulity. Of softness. Of willingness to be suckered by a world of lurkers and starers who fear gaze and ridicule above imprisonment without law. Who knows. »
–> Cette question du « single-entendre principle », du « new sincerity », etc. me laisse froid. Le roman doit combattre les prêtres et les métaphysiciens, e.g cette pulsion tribale que nous avons de voir de l’universel partout. Nous sommes sincères par nature, et c’est l’ironie, e.g la distance, qui nous manque, et demande un effort.
Le curé, c’est celui qui décide, celui devant que le roi s’incline. On n’ose pas se dire athée, dans la noblesse, même une fois admis la stupidité de la religion, car sinon tout va péter, et qu’il faut bien obéir aux curés, qui ont l’ascendant sur les dévotes. Aujourd’hui, le pouvoir politique se soumet devant les curés : un homme d’État n’a aucun libre-arbitre, il doit prendre ne compte l’avis du curé, des Richelieu-s du jour.
Le curé est celui vers qui on se tourne quand il faut choisir une morale, si l’on veut prendre le pouvoir. Le curé a une longueur d’avance sur le pouvoir politique.
Les Beatles et Debussy ne sont pas joués aux mêmes endroits. Warhol et Van Gogh sont eux exposés dans les mêmes espaces. Il y a donc une différence entre la « pop music » et le « pop art ». Pourquoi l’art contemporain s’est-il peu à peu imposé au grand public, quand la musique contemporaine ne sort pas de l’IRCAM ? Faire l’artiste aujourd’hui, c’est faire de l’art contemporain. Faire la musique, c’est faire de la pop musique.
Pendant longtemps, les commandes publiques d’œuvres d’arts allaient dans le sens du goût du public. La crise du modernisme a été ce moment où l’art et la société, l’art et le goût commun, ont commencé à nettement diverger. La commande publique d’art, aujourd’hui, fait appelle à des œuvres censées « déranger » le public, ce qui n’aurait fait aucun sens à l’époque classique.
Christophe Honoré : « Il n'y a pas plus provincial que moi. J'ai grandi dans une petite ville bretonne, Rostrenen. Je ne me suis installé à Paris qu'à l'âge de 24 ans. Aujourd'hui, je me sens toujours autant « cousin de province ». On ne me voit jamais dans une boîte de nuit ou à une avant-première. Je n'ai pas cette culture. Le style parisien de _Dans Paris_ ou des _Chansons d'amour_ tient justement au fait que je n'ai aucun souvenir personnel de la ville. Ce ne sont que des souvenirs de films, qui me rendent ces lieux désirables et faciles d'accès. Au contraire, quand je suis retourné dans ma Bretagne pour tourner _Non ma fille, tu n'iras pas danser,_ j'ai eu d'énormes difficultés à filmer les lieux de mon enfance. »
_Plaire, aimer et courir vite_ me plaît autant car c’est l’histoire d’un provincial, idéalisant Paris, en même temps que d’un artiste sur le déclin, s’apprêtant à mourir sereinement. Le film, comme chez Desplechin, part dans tous les sens, et l’histoire d’amour n’arrive jamais vraiment : nos deux héros aimeraient vivre une passion, mais les événements contingents les ralentissent. L’un reste en Bretagne, n’arrive pas à monter à Paris ; l’autre a l’esprit occupé par son fils, son ami séropo, sa propre maladie. Trop de fiction colle à la peau, ils ne parviennent pas à s’en défaire, à vivre la passion sur laquelle débute le film. C’est le contraire d’un coup de foudre, le film nous dit : « Qu’il est dur de se libérer l’esprit, de se libérer des gens et des choses, pour aimer librement. »
Bellanger : « Le rap français, moins un cri venu de la banlieue qu’une manière de révéler les petits-bourgeois à eux-mêmes. »
« Nirvana, le cheval de Troie, à chevelure christique, qu’avait inventé l’industrie musicale pour faire survivre le rock, la musique des blancs, une décennie de plus. »
« On chercherait en vain un autre événement d’importance nationale entre mai 68 et aujourd’hui. Deux ou trois faits divers, le petit Grégory, les attentats de Carlos, les braquages de Mesrine, neufs élections présidentielles et deux référendums européens, les succès d’Ariane et du TGV, les échecs du Minitel et du Concorde. Mai 68 n’est ni une révolution manquée, ni un brusque sursaut générationnel mais d’un événement plus grand, plus profond et plus rare : de l’apparition, au milieu du chaos historique, d’un grand plateau pacifique, libéral et fertile. Il y aura eu, comme il y a eu le siècle de Périclès et le siècle d’Auguste, le siècle de mai 68. »
Penser à regarder l’écart des rémunérations entre introvertis et extravertis ; ça sera sûrement plus parlant qu’entre hommes et femmes.
Avec TC. On catégorise les romanciers et cinéastes en deux catégories : ceux qui travaillent sur une structure, ceux qui travaillent pour une scène particulière. TC me dit attendre une certaine scène, un certain climax, tout au long de l’œuvre, qui devrait être son aboutissement.
Lyotard contre l’idée que l’éclectisme puisse apporter quoi que ce soit à l’art. Au contraire, dit-il, l’éclectisme c’est la disparition du goût, le nivellement, etc.
Rorty sur Lyotard : « This last quotation suggests that we read Lyotard as saying: the trouble with Habermas is not so much that he provides a metanarrative of emancipation as that he feels the need to legitimize, that he is not content to let the narratives which hold our culture together do their stuff. He is scratching where it does not itch. » And : « They also doubt that universalism is as vital to the needs of liberal social thought as Habermas thinks it. »
Différence entre le sublime (porté par Lyotard) et le décent (porté par Habermas) comme deux pôles du « rôle social du philosophe ». Rorty se situe entre les deux, reconnaissant l’utilité public du décent et l’intérêt privé du sublime.
Lyotard dit qu’après la Shoah on ne peut plus parler de l’achèvement du « projet moderne » comme quelque chose d’enviable. Mais je maintiens que les guerres mondiales, les totalitarismes, et jusqu’à la Shoah, n’appartiennent pas au projet moderne mais au tribalisme dont nous sommes encore porteur. Le totalitarisme c’est le tribalisme de l’ère industrielle, il n’y a rien de moderne, tout y est anti-moderne, anti-marché, pro-immobilisme justement.
Les idéologies révolutionnaires ne sont pas mortes, elles sont en Silicon Valley. Il reste des grands récits. Mais c’est toujours le même, depuis avant la « Modernité », c’est le mouvement contre l’immobile.
Le « moment révolutionnaire » n’aura été qu’un épisode dans la haine du mouvement, repris désormais par le nationalisme, l’écologisme, etc. qui tentent de produire du grand récit, et d’y inclure le plus de monde possible.
(Il faut aussi réfléchir aussi au grand récit qu’on se fait de sa propre nature, de sa propre histoire, de ce que c’est que de grandir. Le grand récit de la construction du sujet.)
Peggy Sastre sur le paradoxe de la victimisation : créer un climat dans lequel les femmes se sentent oppressées par la société—et ses violences systémiques—les poussent à chercher un compagnon fort, pouvant les défendre, et donc potentiellement violent : mais un homme violent l’est aussi contre sa femme.
Quand on lui demande comment les femmes peuvent se sortir de « l’attachement » qui ralentirait leur réussite, Sastre répond, logiquement, que ça débute par l’autonomie financière, e.g la propriété privée.
Ils n’ont aucune idée originale sur le monde, ils sont si secs intellectuellement, qu’ils inventent des fascismes pour se faire exister, pour avoir une chose à dire, pour se mettre en avant sur la scène médiatique—car oui, ils sont mégalomanes et pas humbles du tout.
Louis encore : « La vie d’une personne noire, même dans ses aspects les plus quotidiens, ne serait pas la même sans James Baldwin, Toni Morrison ou Édouard Glissant. Il faut considérer la société comme un espace où des discours, les possibilités et les façons de penser le monde coexistent et s’affrontent, sous des modalités différentes : la politique, la littérature, l’art, les mouvements de grève, la conversation. Je ne place pas de hiérarchie là-dedans, la littérature joue le même rôle qu’un mouvement social. Elle est donc très importante. La politique, ce n’est pas gagner une élection, c’est faire exister une parole. La littérature en est une forme possible. Mais s’il s’agit de ne pas penser, d’être irresponsable, d’écrire, simplement, sans penser à ce que l’on écrit, on se fait le porte-parole du sens commun, on se fait le sténographe de la violence du monde. »
Les supposées victimes de l’échange marchand sont celles qui attirent toutes les attentions. Pas les victimes en tant que telles ; car il en existe de toutes les sortes. Typiquement les perdants du « marché sexuel » sont des victimes dont on tout le monde se fout.
Car Marx c’est bien ça ; la démonstration que la création de richesses de se fait forcément aux dépends d’une victime : prolétaire, immigrée, femme, animaux…
Jacques Laurent :
Blondin est un de ces jeunes auteurs qui nous arrive sans Kafka ni Sartre sous le bras.
« La plupart des peintres abstraits aiment la peinture, mais préfèrent écrire (pour déclarer, manifester, exposer). »
Sur la nature décorative des œuvres de Miro.
De _La Parisienne_ Laurent dit, en la présentant : « elle vise à plaire » ; à l’inverse des _Temps Modernes_ cette revue « n’est pas un cours du soir ».
Un curé est toujours accompagné d’une dévote. Si les curés d’aujourd’hui sont assez connus, reste à identifier leurs dévotes.
Le consensuel ne profite qu’aux médiocres.
La mystique nationaliste contre elle calcul de l’ingénieur, dont nous parle Laurent, et qui fut si structurante dans les années 30.
Etonnamment, les bourgeois nationalistes furent les plus rapides à abandonner la France, en se soumettant à l’esprit allemand pendant l’occupation. (De même, aujourd’hui les féministes abandonneront rapidement leur combat, pour un autre…)
« Writing about Jean Baudrillard's childhood, Lotringer reminds us just how far his generation has traveled to reach The Matrix. He recalls the 11-year-old Jean and his grandparents riding an oxcart loaded with mattresses from Reims to Paris during the massive evacuation of the French populace that marked the onset of the War. »
R. Camus : Un petit remplacement—de la grande culture par le divertissement et le loisir—a rendu possible le grand remplacement.
La bourgeoisie arrivant au sommet sans histoire, elle a fait de la grande culture une légitimité. La noblesse, puisqu’elle avait une histoire, il n’y avait pas de rapport à la grande culture.
L’homme le plus riche du monde a commencé sa carrière en vendant des livres sur l’internet.
Le catholicisme de la fin du XIXème, le communisme d’après-guerre, l’antiracisme des années 90, sont les trois noms d’une même pulsion dévote, anti-libérale, anti-individualiste, conformiste et hypocrite.
L’État a défendu ces trois idéologies, pour gagner en puissance—sans y croire, bien sûr, car vivant en vase-clôt, en libertins affranchis. Les idéologies se nomment adroitement, elles se cachent derrière Dieu, puis l’Histoire et ses prolétaires, et enfin le Vivre Ensemble et ses immigrés.
Il n’y a qu’un seul moment dans l’histoire où les dévots ont coïncidé avec le « progressisme », e.g pendant le déclin du communisme qu’on appelle le gauchisme, en Europe comme aux USA—quoique le communisme européen était homophobe et peu féministe. Mais auparavant, avec le catholicisme, et puis avec l’anti-racisme, les dévots défendent plutôt le conservatisme moral. Le gauchisme a finalement été vite rattrapé par l’anti-racisme, car le gauchisme était trop individualiste, trop libéral par certains aspects—avec le libéralisme-libertaire. Les bobos furent vite rattrapés par les nouveaux dévots, aux intérêts à peu près antagonistes pour certains questions, comme les gays ou les femmes.
Trois curés : Maurras, Sartre, Bourdieu. Ils ont chacun dit des choses justes, la décentralisation, l’athéisme, la déconstruction. Mais ont généré, l’un après l’autre, une foule de dévots hystériques, à la pulsion castratrice, violente.
Aux USA : Les clubs de l’Ivy League. Greenwich Village et la New Left. Les Cultural Studies et la discrimination positive. (cf. Roth)
Les attitudes critiques, pour choquer le dévot : L’avant-garde artistique : Duchamp. Le non-engagement autour de la revue Art : Truffaut. Les nouveaux réactionnaires : Houellebecq.
Les périodes de transition sont favorables à la création, pendant que les curés se chassent les uns les autres : ils ont moins de temps pour exercer leur pression morale, pour interdire et pour emprisonner. 1. L’explosion créatrice des années 30, quand le catholicisme bourgeois s’éteint et que l’individualisme s’exacerbe partout, en Europe comme aux USA. 2. Au cours des années 90, le communisme disparait, après avoir mués en gauchisme, avec ses sous-branches hybrides et délirantes ; la nouvelle morale anti-raciste n’a pas gagné. Les curés se battent entre eux—et les décroissants finissent par perdre face aux anti-racistes.
Y a t-il un impact du côté des entrepreneurs ?
Les _imprécations_ des chrétiens du Moyen-Age. Raciste est un terme aujourd’hui religieux.
Renaud Camus nous rappelle qu’à l’époque de la répression sexuelle, seuls les pervers osèrent s’élever contre, et agir librement. Cela n’aidait pas à la conquête d’une sexualité libérée pour tout un chacun, car seuls les marginaux et pervers attaquaient la morale sexuelle de front. Il fait la comparaison avec les vrais racistes du FN, qui attaque de front l’anti-racisme, et rend ce combat plus difficile encore.
Etre victime de ses idées, comme dans _Rushmore_ ou être sauvé par ses idées, comme chez Truffaut.
« Un homme ne se re-commence guère que par une femme. Ou par la guerre, la révolution. » in _La Conspiration._
Comme avant l’affaire Dreyfus, l’antisémitisme est redevenu de gauche, e.g foncièrement anticapitaliste.
Il était mal vu d’être naziphobe quand les Allemands occupaient la France.
Kristeva : « Être psychanalyste, c'est savoir que toutes les histoires reviennent à parler d'amour. La plainte que me confient ceux qui balbutient à côté de moi a toujours pour cause un manque d'amour présent ou passé, réel ou imaginaire. Être psychiquement en vie signifie que vous êtes amoureux, en analyse, ou bien en proie à la littérature. Comme si toute l'histoire humaine n'était qu'un immense et permanent transfert. »
L’hystérique, c’est le discours divisé : l’être s’expose, comme un contre-poids au discours—discours qu’on questionne, etc.
L’objet a, c’est entre le sujet et l’objet. On n’a jamais possédé l’objet a ; on veut récupérer un objet qu’on n’a jamais eu en premier lieu, car l’objet a déjà un peu en dehors du sujet—et n’est donc pas non plus un objet. Le placenta, c’est ni l’enfant ni la mère. L’objet a se perd du fait du langage, et c’est par le langage qu’on tente de le récupérer.
Considérer le « fou » comme le naturel, et la « norme » comme le culturel. Exemple de la maternité : est-ce qu’on est naturellement une bonne mère, ou est-ce la culture qui pousse les mères à ne pas commettre d’atrocité sur leurs enfants ?
Joudet : « La curiosité (non feinte) est toujours un bon moyen de s'en sortir quand on pense être gêné. La mienne a quelque chose d'un peu lâche peut-être: se rendre curieux c'est toujours d'abord une façon de se reposer dans les propos de l'autre, de lui déléguer la responsabilité de la conversation; il suffira d'une autre question pour le relancer. »
On vit dans un monde absolument opposé au moment « Mai 68 », à ces quelques mois pendant lesquels les parents de la classe moyenne se laissèrent pousser la barbe, achetèrent un disque des Beatles.
Tout est interdit, la libération sexuelle a été renversé. On maintient un « discours » progressiste, mais la _répression intellectuelle, morale et sexuelle_ est de retour. C’est l’apparence du chaos, l’apparence de dégénérescence, qui permet de faire régner l’ordre. Notre monde n’est pas permissif—la drague est interdite, tout énoncé anti-antiraciste est interdit voir tabou.
Depuis l’école de Francfort, puis la French Theory, on casse le patriarcat en utilisant les jeunes et les femmes, car on déteste l’homme, le travailleur, le petit-bourgeois et le patriarcat.
La première fois que des critères « flous » (e.g non strictement académiques) furent mis en œuvre à Harvard, c’était pour en exclure les Juifs, ou tout au moins pour réduire leur ratio. Aujourd’hui, la discrimination positive défavorise ouvertement les Asiatiques et les Caucasiens. On lutte contre une sur-représentation en renversant la logique de jadis : on ne dit plus « on veut moins de » mais « on veut plus de ». C’est in fine exactement la même chose.
D. F. Wallace : « The next real literary “rebels” in this country might well emerge as some weird bunch of anti-rebels, born oglers who dare somehow to back away from ironic watching, who have the childish gall actually to endorse and instantiate single-entendre principles. Who treat of plain old untrendy human troubles and emotions in U.S. life with reverence and conviction. Who eschew self-consciousness and hip fatigue. These anti-rebels would be outdated, of course, before they even started. Dead on the page. Too sincere. Clearly repressed. Backward, quaint, naive, anachronistic. Maybe that’ll be the point. Maybe that’s why they’ll be the next real rebels. Real rebels, as far as I can see, risk disapproval. The old postmodern insurgents risked the gasp and squeal: shock, disgust, outrage, censorship, accusations of socialism, anarchism, nihilism. Today’s risks are different. The new rebels might be artists willing to risk the yawn, the rolled eyes, the cool smile, the nudged ribs, the parody of gifted ironists, _the “Oh how banal”._ To risk accusations of sentimentality, melodrama. Of overcredulity. Of softness. Of willingness to be suckered by a world of lurkers and starers who fear gaze and ridicule above imprisonment without law. Who knows. »
–> Cette question du « single-entendre principle », du « new sincerity », etc. me laisse froid. Le roman doit combattre les prêtres et les métaphysiciens, e.g cette pulsion tribale que nous avons de voir de l’universel partout. Nous sommes sincères par nature, et c’est l’ironie, e.g la distance, qui nous manque, et demande un effort.
Le curé, c’est celui qui décide, celui devant que le roi s’incline. On n’ose pas se dire athée, dans la noblesse, même une fois admis la stupidité de la religion, car sinon tout va péter, et qu’il faut bien obéir aux curés, qui ont l’ascendant sur les dévotes. Aujourd’hui, le pouvoir politique se soumet devant les curés : un homme d’État n’a aucun libre-arbitre, il doit prendre ne compte l’avis du curé, des Richelieu-s du jour.
Le curé est celui vers qui on se tourne quand il faut choisir une morale, si l’on veut prendre le pouvoir. Le curé a une longueur d’avance sur le pouvoir politique.
Les Beatles et Debussy ne sont pas joués aux mêmes endroits. Warhol et Van Gogh sont eux exposés dans les mêmes espaces. Il y a donc une différence entre la « pop music » et le « pop art ». Pourquoi l’art contemporain s’est-il peu à peu imposé au grand public, quand la musique contemporaine ne sort pas de l’IRCAM ? Faire l’artiste aujourd’hui, c’est faire de l’art contemporain. Faire la musique, c’est faire de la pop musique.
Pendant longtemps, les commandes publiques d’œuvres d’arts allaient dans le sens du goût du public. La crise du modernisme a été ce moment où l’art et la société, l’art et le goût commun, ont commencé à nettement diverger. La commande publique d’art, aujourd’hui, fait appelle à des œuvres censées « déranger » le public, ce qui n’aurait fait aucun sens à l’époque classique.
Christophe Honoré : « Il n'y a pas plus provincial que moi. J'ai grandi dans une petite ville bretonne, Rostrenen. Je ne me suis installé à Paris qu'à l'âge de 24 ans. Aujourd'hui, je me sens toujours autant « cousin de province ». On ne me voit jamais dans une boîte de nuit ou à une avant-première. Je n'ai pas cette culture. Le style parisien de _Dans Paris_ ou des _Chansons d'amour_ tient justement au fait que je n'ai aucun souvenir personnel de la ville. Ce ne sont que des souvenirs de films, qui me rendent ces lieux désirables et faciles d'accès. Au contraire, quand je suis retourné dans ma Bretagne pour tourner _Non ma fille, tu n'iras pas danser,_ j'ai eu d'énormes difficultés à filmer les lieux de mon enfance. »
_Plaire, aimer et courir vite_ me plaît autant car c’est l’histoire d’un provincial, idéalisant Paris, en même temps que d’un artiste sur le déclin, s’apprêtant à mourir sereinement. Le film, comme chez Desplechin, part dans tous les sens, et l’histoire d’amour n’arrive jamais vraiment : nos deux héros aimeraient vivre une passion, mais les événements contingents les ralentissent. L’un reste en Bretagne, n’arrive pas à monter à Paris ; l’autre a l’esprit occupé par son fils, son ami séropo, sa propre maladie. Trop de fiction colle à la peau, ils ne parviennent pas à s’en défaire, à vivre la passion sur laquelle débute le film. C’est le contraire d’un coup de foudre, le film nous dit : « Qu’il est dur de se libérer l’esprit, de se libérer des gens et des choses, pour aimer librement. »
Bellanger : « Le rap français, moins un cri venu de la banlieue qu’une manière de révéler les petits-bourgeois à eux-mêmes. »
« Nirvana, le cheval de Troie, à chevelure christique, qu’avait inventé l’industrie musicale pour faire survivre le rock, la musique des blancs, une décennie de plus. »
« On chercherait en vain un autre événement d’importance nationale entre mai 68 et aujourd’hui. Deux ou trois faits divers, le petit Grégory, les attentats de Carlos, les braquages de Mesrine, neufs élections présidentielles et deux référendums européens, les succès d’Ariane et du TGV, les échecs du Minitel et du Concorde. Mai 68 n’est ni une révolution manquée, ni un brusque sursaut générationnel mais d’un événement plus grand, plus profond et plus rare : de l’apparition, au milieu du chaos historique, d’un grand plateau pacifique, libéral et fertile. Il y aura eu, comme il y a eu le siècle de Périclès et le siècle d’Auguste, le siècle de mai 68. »
Penser à regarder l’écart des rémunérations entre introvertis et extravertis ; ça sera sûrement plus parlant qu’entre hommes et femmes.
Avec TC. On catégorise les romanciers et cinéastes en deux catégories : ceux qui travaillent sur une structure, ceux qui travaillent pour une scène particulière. TC me dit attendre une certaine scène, un certain climax, tout au long de l’œuvre, qui devrait être son aboutissement.
Lyotard contre l’idée que l’éclectisme puisse apporter quoi que ce soit à l’art. Au contraire, dit-il, l’éclectisme c’est la disparition du goût, le nivellement, etc.
Rorty sur Lyotard : « This last quotation suggests that we read Lyotard as saying: the trouble with Habermas is not so much that he provides a metanarrative of emancipation as that he feels the need to legitimize, that he is not content to let the narratives which hold our culture together do their stuff. He is scratching where it does not itch. » And : « They also doubt that universalism is as vital to the needs of liberal social thought as Habermas thinks it. »
Différence entre le sublime (porté par Lyotard) et le décent (porté par Habermas) comme deux pôles du « rôle social du philosophe ». Rorty se situe entre les deux, reconnaissant l’utilité public du décent et l’intérêt privé du sublime.
Lyotard dit qu’après la Shoah on ne peut plus parler de l’achèvement du « projet moderne » comme quelque chose d’enviable. Mais je maintiens que les guerres mondiales, les totalitarismes, et jusqu’à la Shoah, n’appartiennent pas au projet moderne mais au tribalisme dont nous sommes encore porteur. Le totalitarisme c’est le tribalisme de l’ère industrielle, il n’y a rien de moderne, tout y est anti-moderne, anti-marché, pro-immobilisme justement.
Les idéologies révolutionnaires ne sont pas mortes, elles sont en Silicon Valley. Il reste des grands récits. Mais c’est toujours le même, depuis avant la « Modernité », c’est le mouvement contre l’immobile.
Le « moment révolutionnaire » n’aura été qu’un épisode dans la haine du mouvement, repris désormais par le nationalisme, l’écologisme, etc. qui tentent de produire du grand récit, et d’y inclure le plus de monde possible.
(Il faut aussi réfléchir aussi au grand récit qu’on se fait de sa propre nature, de sa propre histoire, de ce que c’est que de grandir. Le grand récit de la construction du sujet.)
Peggy Sastre sur le paradoxe de la victimisation : créer un climat dans lequel les femmes se sentent oppressées par la société—et ses violences systémiques—les poussent à chercher un compagnon fort, pouvant les défendre, et donc potentiellement violent : mais un homme violent l’est aussi contre sa femme.
Quand on lui demande comment les femmes peuvent se sortir de « l’attachement » qui ralentirait leur réussite, Sastre répond, logiquement, que ça débute par l’autonomie financière, e.g la propriété privée.
samedi 5 mai 2018
Chronique XX
Malraux sur Jean Moulin :
« Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. (…) Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France. »
Renaud Camus :
« La possibilité du retrait disparaît. L’absence disparaît du monde. »
Flaubert et Stendhal :
« L’homme stendhalien avait aussi souffert de la banalité inhérente au monde extérieur. Mais pendant que Julien Sorel portait une puissante volonté et devait seulement la dissimuler et la modifier par nécessité de s’adapter au monde extérieur, Frédéric Moreau n’a pas du tout besoin d’ainsi s’adapter, pour la raison qu’il ne possède aucune forte volonté : il possédait seulement quelques illusions et quand elles se sont envolées, sa médiocrité ne se distingue plus en rien de celle de son entourage. »
L’un est un parisien ironique ; l’autre, un provincial dégoûté de la vie. Le premier sourit avec pitié de la nullité du monde. Le second s’emporte avec fureur et finalement est vaincu par la bêtise.
La connaissance n’a jamais fait de moi un homme meilleur. Et l’on pourrait dire : plutôt le contraire, tant celle-ci m’a rendu aigre, malin, subtil, machiavélique, et même méprisant (dans un cadre de tolérance conceptuelle, presque feinte). La gestion de l’argent, en revanche, c’est-à-dire mon rapport charnel à la propriété privée, oui, m’a très certainement rendu meilleur moralement. Mais qu’est-ce que cela veut dire, meilleur ? Être capable de bonté, ou, à l’inverse, être incapable de cruauté.
Le capitalisme ne devrait-il donc pas avoir la priorité sur l’humanisme ? Question difficile. Si les Allemands ont pu sortir aussi rapidement du nazisme, c’est parce que la propriété privée n’avait jamais été abolie à l’échelle du pays. Contrairement à l’URSS, ce qui rend les russes d’aujourd’hui étrangers à la notion de responsabilité, mère de toutes les vertus.
Dans L’âge des possibles : « Il faut se bâtir un truc. Un endroit où tu es in-atteignable. »
Nourissier rappelle qu’il y a la littérature des grands sentiments et celle des petites misères. Comme lui, je préfère les petites misères aux grands sentiments ; d’où mon étanchéité avec Albert Cohen, en dépit de tout son talent. Mais aussi d’avec les Russes, qui ne se soucient que de la grande histoire, et même de Dieu—des choses pour lesquelles je n’arrive pas à me passionner. Céline est paradoxalement à l’entre-deux.
Il faudrait faire un livre rappelant qu'il ne faut pas oublier la plus grande erreur du XXème siècle : la complicité des intellectuels d’avec l’horreur ; et d’insister sur le fait que cela continue, notamment dans les universités, le milieu littéraire, etc. Reprendre la phrase d’Edouard Louis sur « la honte d’être de droite » aujourd’hui, et ce que ça veut dire.
Se construire un petit terrier où l’on peut cultiver sa radicalité, au quotidien. Est-ce cela, devenir inatteignable ?
Déception face à ces Think Tank, qui ne parviennent pas à s’extraire du souci du politique, des « réformes » ! Ce n’est pas que je défende la lâcheté, le non-engagement absolu, mais je trouve cela dégradant de discuter avec des hommes d’État et, pire encore, de devoir réagir à leurs discours, lois, propositions, etc. Les Think Tank se font dicter leur agenda par des hommes absolument médiocres, mauvais humainement et intellectuellement inexistant ; et j’ai trop peur que, par contagion, réagir à leurs singeries me rende tout aussi médiocre qu’eux.
Je ne parviens pas à terminer un roman de Foenkinos. C’est trop mauvais, me dis-je. Tout sonne faux dans l’espèce de ton burlesque, léger, décalé. Il voudrait nous faire du Kundera, avec de l’humour potache, des constatations ridicules, un rire-en-coin sur des personnages doux-amers, gentils et mous. Mais rien ne tient, dans son roman, aucune machine romanesque, aucun thème fédérateur, ne supporte le fil de l’histoire. Je trouve étrange que ses romans puissent avoir du succès, car cela provoque chez moi un ennui véritablement considérable—comme un livre pour enfant où rien n’arriverait à me capturer, où tout serait trop prévisible, facile, et presque injurieux pour l’intelligence du lecteur.
Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution :
L’esprit français est surtout l’esprit littéraire—on voit des habitudes d’intellectuels (rationnels, planistes, etc.) être reprises par les hommes de pouvoir ; les littéraires pensent qu’une révolution peut arriver sans heurts, ils ont trop confiance en la raison.
Les classes paysannes, bourgeoises et nobles se sont peu à peu confondues—mais tout en devenant de plus en plus isolées. Les gentilshommes ne parlaient plus à leurs serfs au moment même où leurs conditions se rapprochaient.
Les économistes, et ceci dès Quesnay, portent une vision socialiste et centralisée de l’État social de la France. Tocqueville cite des disciples de Quesnay qui décrivent des sociétés déjà complètement socialisées, avec collectivisation des moyens de production, école publique et obligatoire, etc.
Cette idée des Lumières, citée déjà par Turgot, qu’une fois éclairé par l’éducation, le peuple ne choisira plus la tyrannie.
Le structuralisme s’est lui-même détruit, car Barthes, Foucault, Bourdieu ont, à la fin de leur carrière, complètement cessé d’écrire des ouvrages structuralistes, voir même de prétendre s’insérer dans le champ de la recherche ; ils font de la littérature. Barthes, évidemment ; Bourdieu avec La misère du monde et Foucault avec ses essais sur le souci-de-soi. On voit bien que 1) ils se fichent bien de la notion de vérité, du souci de rigueur scientifique et 2) que le structuralisme a finalement été utilisé par des auteurs pour atteindre la gloire, avant de s’en débarrasser pour écrire tranquillement, à l’abris de la célébrité, des ouvrages de littérature.
Dostoïevski s’intéresse à la liberté « métaphysique », comme Flaubert s’intéresse à la connaissance. C’est-à-dire en la questionnant de tous les côtés, en en montrant toutes les aspérités et les limites, avec passion, avec aveuglement. J’ai, de mon côté, trouvé mon camp. Dostoïevski m’est illisible car la question qui se pose à travers tous ces personnages ne me touche pas ; tout aussi peu que la question de Dieu.
Thomas Sowell : « Ideas are everywhere, but knowledge is rare. »
Les crimes de « droit commun » sont, en URSS, moins réprimés que les crimes politiques ; notamment dans leur traitement au goulag. Cracher sur un tableau de Staline est plus sévèrement puni qu’un viol.
Cycle for innovations:
I’ve never heard of it. I’ve heard of it but don’t understand it. I understand it, but I don’t see how it’s useful. I see how it could be fun for rich people, but not me. I use it, but it’s just a toy. It’s becoming more useful for me. I use it all the time. I could not imagine life without it. Seriously, people lived without it? It’s too powerful and needs to be regulated.
Tristan Garcia :
La « paix » est devenue le nom un peu ennuyeux de la routine, en Europe. D’où l’envie de guerre qui règne partout, l’envie de conflit. Et avec elle, l’idée que la paix cache les divisions, cache des rapports de force ; et que seule la guerre et le conflit pourraient nous révéler les positions vraies de chacun. Deux générations ont suffi à rendre la guerre à nouveau désirable. « Une sorte de vérité va se détacher de la guerre, pensent certains. »
Il ne faut pas nier la guerre avant qu’elle arrive aujourd’hui. Voir la guerre, ne jamais la désirer.
On ne parle pas assez des Daft Punk comme standard artistique, pour le roman.
Le programme esthétique des années à venir nous est donné par Houellebecq, dans Soumission : Comment la collaboration avec les ennemis de la société ouverte va-t-elle s'opérer, dans tous les milieux, à tous les niveaux ? Autrement dit : comment chacun va parvenir à y trouver son intérêt, au moins pour un petit moment ? Houellebecq décrit le parcours collaborationniste d'un universitaire, mais bien d'autres portraits restent à écrire.
En relisant mon journal de l’année 2016—la seule période que j’ai réellement décrite de près, à un rythme quasi-quotidien—je me dis que Kundera a bien raison de comparer la vie d’un homme à celle d’un cadran, comme pour insister sur le fait qu’une vie humaine réponde aux mêmes thèmes. Imaginer un nouveau départ n’a aucun sens. On traite toujours des mêmes problèmes, ou plutôt : les mêmes problèmes se posent à nous.
Il faut éviter de fréquenter les hommes chanceux—dont la réussite ne dépend d’aucun critère objectif à nos yeux—afin de rester sain d’esprit et d’éviter la rancune, l’amertume. De fait, beaucoup parmi les artistes que nous aimons ont été ces hommes chanceux, aussi médiocres qu’opportunistes, aux yeux de leurs amis envieux ; mais nous les admirons avec raison, car cette souillure dans leur parcours nous est inconnue. Ces artistes que nous connaissons mal nous poussent vers l’avant, et cela ne nous regarde plus de savoir s’ils furent les « chanceux » de leur groupe d’amis. Or l’homme chanceux, quand nous avons la malchance de l’approcher de trop près, nous pétrifie dans une sorte d’envie stérile. (Le drame est que nous croyons au ruissellement, entre le chanceux et nous, ce qui nous pousse à le suivre, même de loin, car nous avons perdu toute confiance en nous.) Mais qu’un proche réussisse légitimement—à nos yeux toujours—est, à l’inverse, tout à fait rassurant, et nous pousse vers l’avant.
Thomas Sowell :
Le prix n’a pas seulement pour fonction de transférer de la richesse entre des personnes, mais d’indiquer une information sur un bien ou un service. Le prix permet de faire un trade-off entre plusieurs choses.
L’athée religieux ou politique dit : « Je n’ai pas besoin de religion pour respecter des valeurs morales, ni être productif au sein de la société ». Le curé, religieux ou étatiste, refuse de comprendre : comment un monde sans idéologie est-il possible ?
Le New Age est celui qui nie la merde, qui nie l'Histoire ; et pour qui le conflit peut se résoudre si l'on y met un peu du sien—et si l'on enferme ceux qui posent problème.
Le New Age vise à l'harmonie, et est persuadé qu'il peut y arrive en changeant l'homme.
Ce qui pose problème n'est pas de chercher à se comprendre, mais la pulsion sous-jacente consistant à se dire qu'on pourrait résoudre tous les problèmes par la psychologie ; comme si l'Histoire et la négativité n'était pas motivé par une nature humaine sous-jacente, égoïste et rationnelle.
Chercher à se comprendre, à mûrir, à s’améliorer : c’est très bien. Mais c’est le pas suivant qui m’inquiète chez le New Age : de croire qu’on peut changer une collectivité d’individus, comme si un homme et un groupe d’hommes répondaient aux mêmes « lois psychologiques ». Or non, la main invisible nous apprend que des choses vraies à l’échelle collective ne s’appliquent pas à l’échelle individuelle—e.g la planification économique, par exemple, qui se rapproche étroitement du développement personnel.
Il faut combattre la collectivisation du « développement personnel », au même titre qu’il faut combattre la collectivisation de la planification économique, vraie au niveau du ménage ou de la firme, mais pas au-delà.
Le totalitarisme, du XX au XXIème : du développement collectif—e.g le communisme—au développement personnel.
L’ironiste arrive forcément à une conclusion pragmatique, après son geste destructeur—e.g postmoderne—de subversion de l’idée de vérité, de nature, bref de nécessité. On critique les postmodernes européens d’avoir détruit la raison, mais ceux-ci ne sont pas ironistes, car ils dé-construisent des concepts pour leur trouver des origines bourgeoises, mais espèrent remplacer ses vieux concepts biaisés par les leurs, nécessaires et objectifs. Au contraire de l’ironiste, ils luttent donc avec des outils « meilleurs », ou tout au moins « plus vrais » que les vérités bourgeoises historiquement installées. Un Bourdieu, dans ce sens, n’est absolument pas ironiste : il crée à son tour des vérités. Chomsky critiquant le postmodernisme de Foucault frappe à côté : Foucault est un lâche car il n’adopte aucune attitude permettant de discriminer les idées/idéologies/epistémés entre elles ; notons que Dewey avait, quarante ans avant lui, effectué le même geste ironiste, mais l’avait conclu courageusement d’une défense pragmatiste d’un certain libéralisme américain.
L’ironiste, une fois arrivé au bout du « chemin métaphysique », n’a plus que le pragmatisme pour le sauver de l’immobilisme dans lequel son geste le place. S’il prend la voie nihiliste, il rebrousse chemin, car de nouveau il jugera des faits (au sens le plus large qui soit) d’après une certaine métaphysique, certes très plate, mais métaphysique tout de même. Pragmatiste, l’ironiste se soumet désormais au critère de jugement par l’action, d’où découle nécessairement son pluralisme. Seul le pluralisme permet de multiplier les essais et les erreurs, et donc le champ d’application de nos actions. Puisque l’ironiste juge d’après l’action, son seul critère de jugement est la multiplication des actions imaginables et autorisées.
Il est toujours surprenant de voir à quel point l’alt-right reste incapable d’expliquer notre époque ; tandis que l’abandon aujourd’hui évident de la gauche pour les idées leur laisse pourtant un espace pour s’exprimer. Pour eux, l’humanisme individualiste n’a pas les « moyens conceptuels » pour lutter contre l’immigration massive—et le risque d’un « grand remplacement »—car l’humanisme voit l’individu comme inter-changeable, etc. Mais ils loupent le fait que la grille économique explique l’actualité beaucoup plus subtilement : le capitalisme, e.g ce qui a fait l’occident, défend l’idée d’un individu _responsable_ et non pas l’individu-tout-court. Il y a un monde entre les deux. Car s’il y a bien une chose que le socialisme a inventé—cristallisé avec l’URSS mais datant de bien avant—c’est de dé-responsabiliser l’individu plus encore que ne l’avaient fait les primitifs grâce à l’Etat, dont l’intervention soit-disant providentielle reste surtout théorique.
S’il devait y avoir un « grand remplacement » en Europe, ce serait un grand remplacement du capitalisme par un tribalisme à grande échelle, autrement dit un socialisme, évidemment, et ce serait le seul produit de l’Etat providence. Une fois remplacée, la démocratie libérale laisserait place à une société tribale, comme ce fut le cas partout ailleurs qu’en occident, à une échelle certes tout à fait colossale.
Si des tas de gens immigrent en Europe, c’est parce qu’ils raisonnent en homo economicus, et cherchent à minimiser leurs efforts : ils savent qu’ils trouveront un système plus généreux que chez eux, et à moindre frais. Et il se trouve qu’il existe ici des acteurs ayant un intérêt personnel évident à voir s’étendre le pouvoir de l’Etat dans cette direction-ci—e.g de nouveaux immigrés—exactement comme, dans d’autres champs en voie d’être accaparés par l’État, l’écologie et l’anti-spécisme ont intérêt à substituer la morale à la science.
Un roman exposant non pas une thèse, mais un problème. En poésie, j’aime les idées et les faits, disait-on. Et désormais j’ajoute : j’aime qu’une œuvre d’art m’expose un problème, et différentes façons de s’y confronter—de le résoudre ou de l’éviter. La peinture, la sculpture, ne me posent que des problèmes de formes, de représentation, e.g des problèmes très intellectuels, et non existentiels.
Le MBTI m’apprend à ne pas parler de « ma génération », ou de « à notre époque, les gens »… Toutes les réactions varient selon les personnalités, qui certes ne sont pas aussi ancrées dans le marbre que le prétend Jung. Dire que nous sommes dans « une société où règne les victimes », c’est ne parler que pour certains groupes de gens, qui répondent à certains besoins psychologiques en glorifiant les victimes—qui, les « reconnaissant », leur donnent l’impression d’œuvre au bien public, par exemple.
On n’a pas d’opinion véritable tant qu’on ne se considère pas soi-même comme un adversaire, et qu’on ne s’amuse pas à être aussi exigeant avec soi qu’avec un adversaire. Un épargné ne peut pas concevoir l'idée de se considérer soi-même comme un adversaire, puisqu'il ressent son existence—e.g la somme de contingences dont il est le fruit—comme une évidence.
Nathalie Heinich :
Dire qu’un objet social est socialement construit ne veut pas dire que c’est arbitraire, mais tout au contraire que ça a bien une raison d’exister. C’est pourquoi le « construit » est plus dur à dé-construire que ce qui est « naturel ». On a pu changer le rapport biologique à la procréation en quelques décennies depuis la pilule, tandis qu’on travaille encore déconstruire nos propres jugements et habitudes mentales sur la procréation dans nos sociétés. Ce qui est socialement construit est plus dur à déconstruire, et donc moins arbitraire, que ce qui nous semble naturel—c’est bien là tout le paradoxe qu'ignorent les bourdieusiens.
Godard—plus que ses autres amis de la Nouvelle Vague—est parvenu à créer un nouveau statut public pour les cinéastes, les intégrant aux autres « grands artistes ». C’est sa fameuse citation sur Hitchcock qui équivaudrait Aragon.
J’aime le côté « chronique » des années 1980 à 2000 dans La théorie de l’information. Bellanger nous parle de la guerre du golf, du livre de Baudrillard publié à l’occasion ; mais aussi du « buzz » de la mémoire de l’eau, de la construction du Sentier, la sortie du Nom de la rose etc. Mais cela me paraît trop français, trop anecdotique, même pour des lecteurs Français.
Comment faire la même chose aujourd’hui, sur les années 1990 et 2010, mais à l’échelle mondiale, ou tout au moins occidentale ? Qu’est-ce que des enfants nés à Berlin, à Paris ou à San Francisco ont connu de commun ? Le 9/11, l’arrivée de MSN, Facebook, la sortie du iPod, Harry Potter, émergence du hip-hop, Obama, etc. Mais est-ce vraiment ces rares éléments épars, un peu pathétiques, qui nous ont bercé, sur plus de vingt-cinq ans ? Bellanger ose intégrer des découvertes scientifiques, certes moins mainstream que Harry Potter, mais peut-être tout aussi intéressantes dans leurs répercussions.
« La séduction réside dans la sauvegarde de l’étrangeté, dans l’irréconciliation. Il ne faut pas se réconcilier avec son corps, ni avec soi-même, il ne faut pas se réconcilier avec l’autre, il ne faut pas se réconcilier avec la nature, il ne faut pas réconcilier le masculin et le féminin, ni le bien et le mal. Là demeure le secret d’une attraction étrange. » Baudrillard, Le crime parfait.
(À ce sujet, comme toujours, prendre les défenseurs de la cause animale, et tout le New Age, pour ce qu’ils sont vraiment : des hommes incapables de gérer l’ambiguïté, le pluralisme, et donc la liberté, tels des primitifs. Les idéalistes seront toujours prêts à utiliser la prison, la rééducation ou l’assassinat pour faire advenir leur idéal, que ce monde soit débarrassé des antagonismes, des Juifs ou des capitalistes : c’est exactement la même chose. Ils rêvent d’un monde plat, immobile et prévisible.)
« What are you doing after the orgy? »
Edouard Louis :
« C’est pour ça aussi que j’ai écrit, pour me venger de la littérature. La bourgeoisie parle toujours de la littérature comme de quelque chose qui sauve, qui «ouvre les esprits», mais dans la plupart des cas, la littérature, c’est une manière d’exclure et d’humilier les dominés. Il faudrait à la limite toujours se poser la question : qu’est-ce que la littérature exclut pour se constituer comme littérature ? […] Ce qui me terrifie, ce sont les gens qui écrivent sans honte. Il y a les migrants qui meurent dans la Méditerranée, des gays qui se font massacrer en Tchétchénie, des transgenres qui se font agresser dans la rue et pour qui la France ne fait rien, il y a des Noirs tués par les forces de l’ordre comme Adama Traoré, et pendant ce temps il y a des gens qui continuent à écrire sur les petits problèmes de leur vie bourgeoise, leur ennui, leur petit divorce, leurs petites aventures de la bourgeoisie blanche, et ils arrivent à le faire sans honte. Je ne comprendrai jamais ça. »
- Le plus amusant là-dedans, c’est que recommence le débat de l’engagement. Ce sont les moins talentueux qui, pour ne pas que ça se voit, se cache derrière le thème de l’engagement, de la défense-des-pauvres (bien malgré eux), pour se défendre comme a priori. On ne peut pas dire que Louis écrit de mauvais livres, car pour lui il ne s’agit pas de juger d’un livre sur sa forme ou son contenu (cela est bourgeois) mais de sa prise de position morale, bien en amont du livre.
- Dire cela, c’est vouloir tuer l’art, la subjectivité, e.g installer une société totalitaire qui étouffe le citoyen, qui le prive de sa liberté, qui met les déviants en prison.
- Dire cela, c’est confondre deux choses, l’expérience esthétique (e.g le perfectionnisme moral individuel) et la question politique. Les confondre, c’est aussi perdre sur les deux tableaux.
- La pulsion dirigiste, communiste, tribale, c’est être incapable de concevoir la « main invisible ». Ne pas comprendre « la main invisible » empêche de comprendre l’économie, certes, mais empêche aussi de concevoir une forme quelconque de pluralisme ; et être incapable de penser la contradiction, la complexité, l’antagonisme sans y voir une forme de pouvoir à abolir sur-le-champ.
- Ce mythe d’une littérature au service de la communauté (version Sartre), ou de l’ordre moral (version P. Bourget). On soumet l’art à quelque chose de « plus important » ; ce qui finit toujours par la destruction pure et simple de l’art dit bourgeois, de la liberté créatrice, et donc de l’originalité, de la subjectivité ; et in fine de la liberté individuelle pure et simple. Empiriquement, tous les régimes dictatoriaux ont commencé par la soumission de l’art au soit-disant « bien commun ».
- Le chantage moral place Louis du côté du pouvoir : il s’arroge le droit de dire qui a le droit ou non de publier, en vue des intérêts d’une communauté dont il se croit le porte-parole. Cette communauté n’en a pourtant rien à faire : elle attend simplement que le capitalisme continue de faire son travail, e.g d’améliorer les conditions de vie des moins productifs.
- Comment ose-t-il se dire « de gauche » sans s’excuser immédiatement après de marcher dans les pas des léninistes, des castristes, des staliniens, des maoïstes ? E.g des intellectuels ayant activement aidés des régimes s’employant à faire des millions de morts pour le « bien commun ».
Dans La meilleure part, Garcia met en scène le petit milieu des intellectuels de gauche parisiens, désenchantés, dans les années 80. Le succès du roman tient sans doute au côté « roman à clef » ; on reconnait le rôle de Dustan, de Finkielkraut. C’est un discours critique du trajet des intellectuels des années 80. Quel serait l’équivalent aujourd’hui ? Peut-être de décrire le trajet des « nouveaux réactionnaires » au cours des 90’s, et leur structuration pendant les 00’s.
Muray et Dantec, comme Houellebecq, acceptent d’écrire uniquement pour leurs lecteurs, et jamais pour un milieu. Cela en fait les trois seuls auteurs avec des idées neuves dans le paysage contemporain—plus que tous les intellectuels, journalistes, experts, etc. Car ils se sont intéressés à la vie, au couple, au quotidien.
« Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. (…) Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France. »
Renaud Camus :
« La possibilité du retrait disparaît. L’absence disparaît du monde. »
Flaubert et Stendhal :
« L’homme stendhalien avait aussi souffert de la banalité inhérente au monde extérieur. Mais pendant que Julien Sorel portait une puissante volonté et devait seulement la dissimuler et la modifier par nécessité de s’adapter au monde extérieur, Frédéric Moreau n’a pas du tout besoin d’ainsi s’adapter, pour la raison qu’il ne possède aucune forte volonté : il possédait seulement quelques illusions et quand elles se sont envolées, sa médiocrité ne se distingue plus en rien de celle de son entourage. »
L’un est un parisien ironique ; l’autre, un provincial dégoûté de la vie. Le premier sourit avec pitié de la nullité du monde. Le second s’emporte avec fureur et finalement est vaincu par la bêtise.
La connaissance n’a jamais fait de moi un homme meilleur. Et l’on pourrait dire : plutôt le contraire, tant celle-ci m’a rendu aigre, malin, subtil, machiavélique, et même méprisant (dans un cadre de tolérance conceptuelle, presque feinte). La gestion de l’argent, en revanche, c’est-à-dire mon rapport charnel à la propriété privée, oui, m’a très certainement rendu meilleur moralement. Mais qu’est-ce que cela veut dire, meilleur ? Être capable de bonté, ou, à l’inverse, être incapable de cruauté.
Le capitalisme ne devrait-il donc pas avoir la priorité sur l’humanisme ? Question difficile. Si les Allemands ont pu sortir aussi rapidement du nazisme, c’est parce que la propriété privée n’avait jamais été abolie à l’échelle du pays. Contrairement à l’URSS, ce qui rend les russes d’aujourd’hui étrangers à la notion de responsabilité, mère de toutes les vertus.
Dans L’âge des possibles : « Il faut se bâtir un truc. Un endroit où tu es in-atteignable. »
Nourissier rappelle qu’il y a la littérature des grands sentiments et celle des petites misères. Comme lui, je préfère les petites misères aux grands sentiments ; d’où mon étanchéité avec Albert Cohen, en dépit de tout son talent. Mais aussi d’avec les Russes, qui ne se soucient que de la grande histoire, et même de Dieu—des choses pour lesquelles je n’arrive pas à me passionner. Céline est paradoxalement à l’entre-deux.
Il faudrait faire un livre rappelant qu'il ne faut pas oublier la plus grande erreur du XXème siècle : la complicité des intellectuels d’avec l’horreur ; et d’insister sur le fait que cela continue, notamment dans les universités, le milieu littéraire, etc. Reprendre la phrase d’Edouard Louis sur « la honte d’être de droite » aujourd’hui, et ce que ça veut dire.
Se construire un petit terrier où l’on peut cultiver sa radicalité, au quotidien. Est-ce cela, devenir inatteignable ?
Déception face à ces Think Tank, qui ne parviennent pas à s’extraire du souci du politique, des « réformes » ! Ce n’est pas que je défende la lâcheté, le non-engagement absolu, mais je trouve cela dégradant de discuter avec des hommes d’État et, pire encore, de devoir réagir à leurs discours, lois, propositions, etc. Les Think Tank se font dicter leur agenda par des hommes absolument médiocres, mauvais humainement et intellectuellement inexistant ; et j’ai trop peur que, par contagion, réagir à leurs singeries me rende tout aussi médiocre qu’eux.
Je ne parviens pas à terminer un roman de Foenkinos. C’est trop mauvais, me dis-je. Tout sonne faux dans l’espèce de ton burlesque, léger, décalé. Il voudrait nous faire du Kundera, avec de l’humour potache, des constatations ridicules, un rire-en-coin sur des personnages doux-amers, gentils et mous. Mais rien ne tient, dans son roman, aucune machine romanesque, aucun thème fédérateur, ne supporte le fil de l’histoire. Je trouve étrange que ses romans puissent avoir du succès, car cela provoque chez moi un ennui véritablement considérable—comme un livre pour enfant où rien n’arriverait à me capturer, où tout serait trop prévisible, facile, et presque injurieux pour l’intelligence du lecteur.
Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution :
L’esprit français est surtout l’esprit littéraire—on voit des habitudes d’intellectuels (rationnels, planistes, etc.) être reprises par les hommes de pouvoir ; les littéraires pensent qu’une révolution peut arriver sans heurts, ils ont trop confiance en la raison.
Les classes paysannes, bourgeoises et nobles se sont peu à peu confondues—mais tout en devenant de plus en plus isolées. Les gentilshommes ne parlaient plus à leurs serfs au moment même où leurs conditions se rapprochaient.
Les économistes, et ceci dès Quesnay, portent une vision socialiste et centralisée de l’État social de la France. Tocqueville cite des disciples de Quesnay qui décrivent des sociétés déjà complètement socialisées, avec collectivisation des moyens de production, école publique et obligatoire, etc.
Cette idée des Lumières, citée déjà par Turgot, qu’une fois éclairé par l’éducation, le peuple ne choisira plus la tyrannie.
Le structuralisme s’est lui-même détruit, car Barthes, Foucault, Bourdieu ont, à la fin de leur carrière, complètement cessé d’écrire des ouvrages structuralistes, voir même de prétendre s’insérer dans le champ de la recherche ; ils font de la littérature. Barthes, évidemment ; Bourdieu avec La misère du monde et Foucault avec ses essais sur le souci-de-soi. On voit bien que 1) ils se fichent bien de la notion de vérité, du souci de rigueur scientifique et 2) que le structuralisme a finalement été utilisé par des auteurs pour atteindre la gloire, avant de s’en débarrasser pour écrire tranquillement, à l’abris de la célébrité, des ouvrages de littérature.
Dostoïevski s’intéresse à la liberté « métaphysique », comme Flaubert s’intéresse à la connaissance. C’est-à-dire en la questionnant de tous les côtés, en en montrant toutes les aspérités et les limites, avec passion, avec aveuglement. J’ai, de mon côté, trouvé mon camp. Dostoïevski m’est illisible car la question qui se pose à travers tous ces personnages ne me touche pas ; tout aussi peu que la question de Dieu.
Thomas Sowell : « Ideas are everywhere, but knowledge is rare. »
Les crimes de « droit commun » sont, en URSS, moins réprimés que les crimes politiques ; notamment dans leur traitement au goulag. Cracher sur un tableau de Staline est plus sévèrement puni qu’un viol.
Cycle for innovations:
I’ve never heard of it. I’ve heard of it but don’t understand it. I understand it, but I don’t see how it’s useful. I see how it could be fun for rich people, but not me. I use it, but it’s just a toy. It’s becoming more useful for me. I use it all the time. I could not imagine life without it. Seriously, people lived without it? It’s too powerful and needs to be regulated.
Tristan Garcia :
La « paix » est devenue le nom un peu ennuyeux de la routine, en Europe. D’où l’envie de guerre qui règne partout, l’envie de conflit. Et avec elle, l’idée que la paix cache les divisions, cache des rapports de force ; et que seule la guerre et le conflit pourraient nous révéler les positions vraies de chacun. Deux générations ont suffi à rendre la guerre à nouveau désirable. « Une sorte de vérité va se détacher de la guerre, pensent certains. »
Il ne faut pas nier la guerre avant qu’elle arrive aujourd’hui. Voir la guerre, ne jamais la désirer.
On ne parle pas assez des Daft Punk comme standard artistique, pour le roman.
Le programme esthétique des années à venir nous est donné par Houellebecq, dans Soumission : Comment la collaboration avec les ennemis de la société ouverte va-t-elle s'opérer, dans tous les milieux, à tous les niveaux ? Autrement dit : comment chacun va parvenir à y trouver son intérêt, au moins pour un petit moment ? Houellebecq décrit le parcours collaborationniste d'un universitaire, mais bien d'autres portraits restent à écrire.
En relisant mon journal de l’année 2016—la seule période que j’ai réellement décrite de près, à un rythme quasi-quotidien—je me dis que Kundera a bien raison de comparer la vie d’un homme à celle d’un cadran, comme pour insister sur le fait qu’une vie humaine réponde aux mêmes thèmes. Imaginer un nouveau départ n’a aucun sens. On traite toujours des mêmes problèmes, ou plutôt : les mêmes problèmes se posent à nous.
Il faut éviter de fréquenter les hommes chanceux—dont la réussite ne dépend d’aucun critère objectif à nos yeux—afin de rester sain d’esprit et d’éviter la rancune, l’amertume. De fait, beaucoup parmi les artistes que nous aimons ont été ces hommes chanceux, aussi médiocres qu’opportunistes, aux yeux de leurs amis envieux ; mais nous les admirons avec raison, car cette souillure dans leur parcours nous est inconnue. Ces artistes que nous connaissons mal nous poussent vers l’avant, et cela ne nous regarde plus de savoir s’ils furent les « chanceux » de leur groupe d’amis. Or l’homme chanceux, quand nous avons la malchance de l’approcher de trop près, nous pétrifie dans une sorte d’envie stérile. (Le drame est que nous croyons au ruissellement, entre le chanceux et nous, ce qui nous pousse à le suivre, même de loin, car nous avons perdu toute confiance en nous.) Mais qu’un proche réussisse légitimement—à nos yeux toujours—est, à l’inverse, tout à fait rassurant, et nous pousse vers l’avant.
Thomas Sowell :
Le prix n’a pas seulement pour fonction de transférer de la richesse entre des personnes, mais d’indiquer une information sur un bien ou un service. Le prix permet de faire un trade-off entre plusieurs choses.
L’athée religieux ou politique dit : « Je n’ai pas besoin de religion pour respecter des valeurs morales, ni être productif au sein de la société ». Le curé, religieux ou étatiste, refuse de comprendre : comment un monde sans idéologie est-il possible ?
Le New Age est celui qui nie la merde, qui nie l'Histoire ; et pour qui le conflit peut se résoudre si l'on y met un peu du sien—et si l'on enferme ceux qui posent problème.
Le New Age vise à l'harmonie, et est persuadé qu'il peut y arrive en changeant l'homme.
Ce qui pose problème n'est pas de chercher à se comprendre, mais la pulsion sous-jacente consistant à se dire qu'on pourrait résoudre tous les problèmes par la psychologie ; comme si l'Histoire et la négativité n'était pas motivé par une nature humaine sous-jacente, égoïste et rationnelle.
Chercher à se comprendre, à mûrir, à s’améliorer : c’est très bien. Mais c’est le pas suivant qui m’inquiète chez le New Age : de croire qu’on peut changer une collectivité d’individus, comme si un homme et un groupe d’hommes répondaient aux mêmes « lois psychologiques ». Or non, la main invisible nous apprend que des choses vraies à l’échelle collective ne s’appliquent pas à l’échelle individuelle—e.g la planification économique, par exemple, qui se rapproche étroitement du développement personnel.
Il faut combattre la collectivisation du « développement personnel », au même titre qu’il faut combattre la collectivisation de la planification économique, vraie au niveau du ménage ou de la firme, mais pas au-delà.
Le totalitarisme, du XX au XXIème : du développement collectif—e.g le communisme—au développement personnel.
L’ironiste arrive forcément à une conclusion pragmatique, après son geste destructeur—e.g postmoderne—de subversion de l’idée de vérité, de nature, bref de nécessité. On critique les postmodernes européens d’avoir détruit la raison, mais ceux-ci ne sont pas ironistes, car ils dé-construisent des concepts pour leur trouver des origines bourgeoises, mais espèrent remplacer ses vieux concepts biaisés par les leurs, nécessaires et objectifs. Au contraire de l’ironiste, ils luttent donc avec des outils « meilleurs », ou tout au moins « plus vrais » que les vérités bourgeoises historiquement installées. Un Bourdieu, dans ce sens, n’est absolument pas ironiste : il crée à son tour des vérités. Chomsky critiquant le postmodernisme de Foucault frappe à côté : Foucault est un lâche car il n’adopte aucune attitude permettant de discriminer les idées/idéologies/epistémés entre elles ; notons que Dewey avait, quarante ans avant lui, effectué le même geste ironiste, mais l’avait conclu courageusement d’une défense pragmatiste d’un certain libéralisme américain.
L’ironiste, une fois arrivé au bout du « chemin métaphysique », n’a plus que le pragmatisme pour le sauver de l’immobilisme dans lequel son geste le place. S’il prend la voie nihiliste, il rebrousse chemin, car de nouveau il jugera des faits (au sens le plus large qui soit) d’après une certaine métaphysique, certes très plate, mais métaphysique tout de même. Pragmatiste, l’ironiste se soumet désormais au critère de jugement par l’action, d’où découle nécessairement son pluralisme. Seul le pluralisme permet de multiplier les essais et les erreurs, et donc le champ d’application de nos actions. Puisque l’ironiste juge d’après l’action, son seul critère de jugement est la multiplication des actions imaginables et autorisées.
Il est toujours surprenant de voir à quel point l’alt-right reste incapable d’expliquer notre époque ; tandis que l’abandon aujourd’hui évident de la gauche pour les idées leur laisse pourtant un espace pour s’exprimer. Pour eux, l’humanisme individualiste n’a pas les « moyens conceptuels » pour lutter contre l’immigration massive—et le risque d’un « grand remplacement »—car l’humanisme voit l’individu comme inter-changeable, etc. Mais ils loupent le fait que la grille économique explique l’actualité beaucoup plus subtilement : le capitalisme, e.g ce qui a fait l’occident, défend l’idée d’un individu _responsable_ et non pas l’individu-tout-court. Il y a un monde entre les deux. Car s’il y a bien une chose que le socialisme a inventé—cristallisé avec l’URSS mais datant de bien avant—c’est de dé-responsabiliser l’individu plus encore que ne l’avaient fait les primitifs grâce à l’Etat, dont l’intervention soit-disant providentielle reste surtout théorique.
S’il devait y avoir un « grand remplacement » en Europe, ce serait un grand remplacement du capitalisme par un tribalisme à grande échelle, autrement dit un socialisme, évidemment, et ce serait le seul produit de l’Etat providence. Une fois remplacée, la démocratie libérale laisserait place à une société tribale, comme ce fut le cas partout ailleurs qu’en occident, à une échelle certes tout à fait colossale.
Si des tas de gens immigrent en Europe, c’est parce qu’ils raisonnent en homo economicus, et cherchent à minimiser leurs efforts : ils savent qu’ils trouveront un système plus généreux que chez eux, et à moindre frais. Et il se trouve qu’il existe ici des acteurs ayant un intérêt personnel évident à voir s’étendre le pouvoir de l’Etat dans cette direction-ci—e.g de nouveaux immigrés—exactement comme, dans d’autres champs en voie d’être accaparés par l’État, l’écologie et l’anti-spécisme ont intérêt à substituer la morale à la science.
Un roman exposant non pas une thèse, mais un problème. En poésie, j’aime les idées et les faits, disait-on. Et désormais j’ajoute : j’aime qu’une œuvre d’art m’expose un problème, et différentes façons de s’y confronter—de le résoudre ou de l’éviter. La peinture, la sculpture, ne me posent que des problèmes de formes, de représentation, e.g des problèmes très intellectuels, et non existentiels.
Le MBTI m’apprend à ne pas parler de « ma génération », ou de « à notre époque, les gens »… Toutes les réactions varient selon les personnalités, qui certes ne sont pas aussi ancrées dans le marbre que le prétend Jung. Dire que nous sommes dans « une société où règne les victimes », c’est ne parler que pour certains groupes de gens, qui répondent à certains besoins psychologiques en glorifiant les victimes—qui, les « reconnaissant », leur donnent l’impression d’œuvre au bien public, par exemple.
On n’a pas d’opinion véritable tant qu’on ne se considère pas soi-même comme un adversaire, et qu’on ne s’amuse pas à être aussi exigeant avec soi qu’avec un adversaire. Un épargné ne peut pas concevoir l'idée de se considérer soi-même comme un adversaire, puisqu'il ressent son existence—e.g la somme de contingences dont il est le fruit—comme une évidence.
Nathalie Heinich :
Dire qu’un objet social est socialement construit ne veut pas dire que c’est arbitraire, mais tout au contraire que ça a bien une raison d’exister. C’est pourquoi le « construit » est plus dur à dé-construire que ce qui est « naturel ». On a pu changer le rapport biologique à la procréation en quelques décennies depuis la pilule, tandis qu’on travaille encore déconstruire nos propres jugements et habitudes mentales sur la procréation dans nos sociétés. Ce qui est socialement construit est plus dur à déconstruire, et donc moins arbitraire, que ce qui nous semble naturel—c’est bien là tout le paradoxe qu'ignorent les bourdieusiens.
Godard—plus que ses autres amis de la Nouvelle Vague—est parvenu à créer un nouveau statut public pour les cinéastes, les intégrant aux autres « grands artistes ». C’est sa fameuse citation sur Hitchcock qui équivaudrait Aragon.
J’aime le côté « chronique » des années 1980 à 2000 dans La théorie de l’information. Bellanger nous parle de la guerre du golf, du livre de Baudrillard publié à l’occasion ; mais aussi du « buzz » de la mémoire de l’eau, de la construction du Sentier, la sortie du Nom de la rose etc. Mais cela me paraît trop français, trop anecdotique, même pour des lecteurs Français.
Comment faire la même chose aujourd’hui, sur les années 1990 et 2010, mais à l’échelle mondiale, ou tout au moins occidentale ? Qu’est-ce que des enfants nés à Berlin, à Paris ou à San Francisco ont connu de commun ? Le 9/11, l’arrivée de MSN, Facebook, la sortie du iPod, Harry Potter, émergence du hip-hop, Obama, etc. Mais est-ce vraiment ces rares éléments épars, un peu pathétiques, qui nous ont bercé, sur plus de vingt-cinq ans ? Bellanger ose intégrer des découvertes scientifiques, certes moins mainstream que Harry Potter, mais peut-être tout aussi intéressantes dans leurs répercussions.
« La séduction réside dans la sauvegarde de l’étrangeté, dans l’irréconciliation. Il ne faut pas se réconcilier avec son corps, ni avec soi-même, il ne faut pas se réconcilier avec l’autre, il ne faut pas se réconcilier avec la nature, il ne faut pas réconcilier le masculin et le féminin, ni le bien et le mal. Là demeure le secret d’une attraction étrange. » Baudrillard, Le crime parfait.
(À ce sujet, comme toujours, prendre les défenseurs de la cause animale, et tout le New Age, pour ce qu’ils sont vraiment : des hommes incapables de gérer l’ambiguïté, le pluralisme, et donc la liberté, tels des primitifs. Les idéalistes seront toujours prêts à utiliser la prison, la rééducation ou l’assassinat pour faire advenir leur idéal, que ce monde soit débarrassé des antagonismes, des Juifs ou des capitalistes : c’est exactement la même chose. Ils rêvent d’un monde plat, immobile et prévisible.)
« What are you doing after the orgy? »
Edouard Louis :
« C’est pour ça aussi que j’ai écrit, pour me venger de la littérature. La bourgeoisie parle toujours de la littérature comme de quelque chose qui sauve, qui «ouvre les esprits», mais dans la plupart des cas, la littérature, c’est une manière d’exclure et d’humilier les dominés. Il faudrait à la limite toujours se poser la question : qu’est-ce que la littérature exclut pour se constituer comme littérature ? […] Ce qui me terrifie, ce sont les gens qui écrivent sans honte. Il y a les migrants qui meurent dans la Méditerranée, des gays qui se font massacrer en Tchétchénie, des transgenres qui se font agresser dans la rue et pour qui la France ne fait rien, il y a des Noirs tués par les forces de l’ordre comme Adama Traoré, et pendant ce temps il y a des gens qui continuent à écrire sur les petits problèmes de leur vie bourgeoise, leur ennui, leur petit divorce, leurs petites aventures de la bourgeoisie blanche, et ils arrivent à le faire sans honte. Je ne comprendrai jamais ça. »
- Le plus amusant là-dedans, c’est que recommence le débat de l’engagement. Ce sont les moins talentueux qui, pour ne pas que ça se voit, se cache derrière le thème de l’engagement, de la défense-des-pauvres (bien malgré eux), pour se défendre comme a priori. On ne peut pas dire que Louis écrit de mauvais livres, car pour lui il ne s’agit pas de juger d’un livre sur sa forme ou son contenu (cela est bourgeois) mais de sa prise de position morale, bien en amont du livre.
- Dire cela, c’est vouloir tuer l’art, la subjectivité, e.g installer une société totalitaire qui étouffe le citoyen, qui le prive de sa liberté, qui met les déviants en prison.
- Dire cela, c’est confondre deux choses, l’expérience esthétique (e.g le perfectionnisme moral individuel) et la question politique. Les confondre, c’est aussi perdre sur les deux tableaux.
- La pulsion dirigiste, communiste, tribale, c’est être incapable de concevoir la « main invisible ». Ne pas comprendre « la main invisible » empêche de comprendre l’économie, certes, mais empêche aussi de concevoir une forme quelconque de pluralisme ; et être incapable de penser la contradiction, la complexité, l’antagonisme sans y voir une forme de pouvoir à abolir sur-le-champ.
- Ce mythe d’une littérature au service de la communauté (version Sartre), ou de l’ordre moral (version P. Bourget). On soumet l’art à quelque chose de « plus important » ; ce qui finit toujours par la destruction pure et simple de l’art dit bourgeois, de la liberté créatrice, et donc de l’originalité, de la subjectivité ; et in fine de la liberté individuelle pure et simple. Empiriquement, tous les régimes dictatoriaux ont commencé par la soumission de l’art au soit-disant « bien commun ».
- Le chantage moral place Louis du côté du pouvoir : il s’arroge le droit de dire qui a le droit ou non de publier, en vue des intérêts d’une communauté dont il se croit le porte-parole. Cette communauté n’en a pourtant rien à faire : elle attend simplement que le capitalisme continue de faire son travail, e.g d’améliorer les conditions de vie des moins productifs.
- Comment ose-t-il se dire « de gauche » sans s’excuser immédiatement après de marcher dans les pas des léninistes, des castristes, des staliniens, des maoïstes ? E.g des intellectuels ayant activement aidés des régimes s’employant à faire des millions de morts pour le « bien commun ».
Dans La meilleure part, Garcia met en scène le petit milieu des intellectuels de gauche parisiens, désenchantés, dans les années 80. Le succès du roman tient sans doute au côté « roman à clef » ; on reconnait le rôle de Dustan, de Finkielkraut. C’est un discours critique du trajet des intellectuels des années 80. Quel serait l’équivalent aujourd’hui ? Peut-être de décrire le trajet des « nouveaux réactionnaires » au cours des 90’s, et leur structuration pendant les 00’s.
Muray et Dantec, comme Houellebecq, acceptent d’écrire uniquement pour leurs lecteurs, et jamais pour un milieu. Cela en fait les trois seuls auteurs avec des idées neuves dans le paysage contemporain—plus que tous les intellectuels, journalistes, experts, etc. Car ils se sont intéressés à la vie, au couple, au quotidien.
vendredi 29 décembre 2017
Chronique XIX
Le communiste est binaire : il y a deux offres, si ce n'est pas nous, c'est le fascisme ; le capitalisme (américain) n'étant qu'un stade préparant l'avènement du fascisme.
La Gauche, comme la profession des philosophes en Europe, n’ont jamais fait leur autocritique quant à leur complicité massive, au point même qu'on pourrait l'appeler _sa responsabilité_, dans la mise en place de dictatures dans la moitié des pays du globe. Il n’y aucune honnêteté intellectuelle chez ces gens-là, chez ceux parlant de la gauche, chez ceux se targuant d’idées philosophiques.
On peut certes citer Bouveresse, et peut-être Bricmont, qui vont dans ce sens. Les autres intellectuels sérieux, Furet, Boudon… sont passés à droite depuis longtemps. Mais cela ne devrait pas nous réjouir, car Bruckner, Glucksmann & co n’ont finalement rien fait pour que cette autocritique ait lieu. Or c’est un préalable avant que ces gens-là (la Gauche, la profession des philosophes) puissent avoir des idées intéressantes, originales, imaginatives, et qu’ils puissent consacrer leur énergie à « décrire le monde en des termes nouveaux »—cf. Rorty.
« J’ai très longtemps été dramatiquement seule dans la vie. Ça a généré chez moi une si profonde faim de contact humain, que c’est pour ça que j’accorde une telle importance à chaque personne que je rencontre. » Nothomb
Pourquoi le rap français m’intéresse ?
Le rap parvient à éviter le kitsch tout en se basant sur une culture ultra-mainstream, d’une pauvreté extrême, affligeante, et presque touchante à nos yeux de sur-singes sur-éduqués. Je suis ébahi devant ce qu’on parvient à faire avec la culture populaire, d’une énorme pauvreté. Les références sont extrêmement limitées : blockbusters US, Scarface, la marque Louboutin… Les thèmes aussi : la galère dans la banlieue, la subversion de l’ordre, l’argent facile, les affaires…
Pourtant, l’écosystème rap parvient à produire du « niche » avec ce mainstream, alors que l’habitude voulait qu’on produise du niche avec du niche—les avant-gardes, et même une certaine partie du post-moderne produit du niche avec du niche (ou pseudo-mainstream, comme Lynch, Hitchcock…).
Le rap français montre ce à quoi mène la pure culture mainstream, comment on peut l’utiliser pour créer du « niche », au contraire de la variété populaire, qui tombe dans le kitsch en faisant du mainstream avec du mainstream.
À cet égard, le R&B est une dérive kitsch du rap, avec des bons sentiments, une espèce de lissage opéré sur la haine et la négativité du rap.
La conclusion, d’un point de vue esthétique, c’est que la « culture historique » sur laquelle un artiste se base compte peut-être moins que la négativité dont il est l’objet, pour produire des choses surprenantes, pour étendre son imagination, son pouvoir de (re)description.
En France, 240,000 personnes vivraient de la vente du cannabis, dont 100,000 dans le 93. Uniquement en Seine-Saint-Denis, la drogue rapporterait plus d’un milliard d'euros de chiffre d'affaires par an.
Kacem : « L’homme est l’animal traumatisé par la science. »
Quel serait « un nouveau type d'interlocuteur » aujourd'hui ; comme Roth a trouvé le psychanalyste dans Portnoy pour construire un type de narration innovant, encore inexistant.
« Nos frères inférieurs. »
En dépit de ce qu’on dit ci-et-là, les femmes voient encore la sexualité comme quelque chose d’un peu sale. Du coup, elles attendent d’être prises en charge pour ne pas avoir à se mêler de sexualité, de plaisir ; elles laissent à l’homme la responsabilité là-dessus. (Et ce dès le départ : de leur dire qu’elles sont belles, de les draguer, de les amener au lit…) Le paradoxe étant qu’en dépit de la libération sexuelle bla-bla-bla, le partenaire doit s’occuper à la fois de son propre plaisir et du plaisir de la femme—e.g délivrer le sacro-saint orgasme par cunnilingus. Bref, les femmes, parce qu’elles ont peur et ont encore cette vision détériorée du sexe, font finalement peser la qualité d’une relation sur leur partenaire. Elles se déchargent du fait d’être elles-aussi présentes pendant l’acte et, partant de là, tout aussi responsables que l’homme dans le plaisir qu’elles prennent.
(Le rapport ambiguë des femmes à la masturbation évoque bien cela : si elles refusent de prendre en charge leur propre plaisir, comment espèrent-elles en prendre à deux ? Les excuses : « Ça m’excite pas », « Je me sens ridicule », montrent que, au fond, elles se fichent pas mal de leur corps et de leur plaisir ; elles ont abandonné le combat.)
Dans les années 1980 aux USA, on compte 40% d’avortements pour 100 enfants à
naître.
Kundera, Essais :
Le modernisme, c’est la recherche de l’essence dans la pratique de son art. La poésie enlève la rhétorique et se concentre sur la fantaisie. La peinture enlève l’aspect documentaire et mimétique. Le roman refuse d’être une illustration de son temps, ou d’une thèse quelconque.
Kafka écrit sur la bureaucratie alors qu’elle commence à peine. Luther critique l’église qui commence tout juste à être corrompue. Baudrillard parle d’une société où la consommation commence juste à s’entendre. Bref, il est plus facile d’écrire sur un phénomène qui vient de naître, même si ses effets sont encore minimes. Exemple donné par Kundera : un romancier évoque pour la première fois les nuisances sonores des voitures alors que Prague, à cette époque, n’en compte littéralement que quelques unes. (Je pense aussi à Muray qui parle du caractère festif du kitsch contemporain, dix ans avant la « fête des voisins », la Gay Pride ou la Nuit Blanche.)
Chez Musil, l’organisation imaginaire qui organise une fête de célébration pour la paix juste avant 14-18 se nomme L’Action parallèle.
« Un jour viendra où l’on demandera à l’art d’être au service de la vie collective, on exigera de lui qu’il rende belle la répétition et aide l’individu à se confondre, en paix et dans la joie, avec l’uniformité de l’être. » Comme la musique qui fut jusqu’au XII siècle une simple répétition du même chant grégorien, avant qu’on ait l’idée d’introduire des contrepoints chantés.
Céline a vécu à côté de l’histoire, du côté du perdant, il n’est pas du côté du tralala comme tous ceux qui ont écrit plus tard sur la guerre, auréolé du Bien et des supplices. Cela permet à Céline de décrire la mort d’un chien justement sans tralala et de voir la vanité non comme une qualité mais comme une part de l’identité de l’homme qui, au seuil de sa mort, ne peut s’empêcher de prendre une pose.
L’amour des parents chez Roth montre une génération pas si éloignée et des rapports au sexe qui paraissent terriblement datés. L’homme chevauche deux voir trois périodes historiques aujourd’hui. (L’amour émouvant et vieillot des parents.)
Sartre dit que l’étranger chez Camus est une reprise de la figure du XVIIIe. « Des personnages qui voient les faits avant d’en saisir le sens. » Ce qui provoque chez le lecteur le sentiment de l’absurde. Flaubert admire Candide pour la même raison.
Bellanger : « On lit des romans, parfois, comme on pourrait lire des panneaux d'indication, des notices de médicament ou des textos sur son téléphone. Pour s’orienter, peut-être, pour aller mieux, sans doute, ou tout simplement car les mots sont apparus et que lire fait partie de nos tâches quotidiennes — du psychédélisme léger de la réalité. Le roman d'une certaine façon appartient au paysage normal du monde. C'est, d’une autre manière, ce qu’expliquait déjà Tolstoï en faisant figurer un livre dans son roman : la validation esthétique peut en passer par une reconnaissance, même grossière, du travail fourni. Quelqu’un a réfléchi à cette histoire, quelqu’un a travaillé à ce dictionnaire. L’auteur existe, mais il est au travail. Un travail dont Franzen spécifie le sens : il doit aboutir à la naturalisation du roman. À son admission calme parmi les objets naïfs du monde. »
Les écrivains séducteurs : Montherlant, Albert Cohen, Matzneff. Les écrivains vieux garçons : Perec, Ionesco, Sartre.
Aussi : les écrivains évidents (Houellebecq), et les non-évidents (D.F. Wallace).
Smartphones are cameras connected to the internet.
« Les hommes, fripons en détail, sont en gros de très honnêtes gens ; ils aiment la morale. » Montesquieu
Banks get to decide what your store of value should be, and you go along because that will be account unit & exchange medium. Unfortunate (& undemocratic) b/c choice of value store carries moral dimension (dollars supports US policy, Google stock supports Google).
« It was easier to predict mass car-ownership than to predict Walmart. »
Crypto automates more than money, it automates trust. A blockchain provides trusted database without a central authority, where each record can do things, act on itself and others. But what does it mean to have money that is active, and not passive like fiat is?
Todd disant que tout s’explique par les structures familiales loupe l’explication en terme dynamique : comment expliquer l’enrichissement, par exemple, si tout est joué par les structures—sachant que celles-ci sont à peu près fixes, selon lui. Todd a besoin de faire rentrer des éléments historiques contingents pour expliquer l’apparition du communisme par exemple, même si il explique bien pourquoi le communisme apparaît ici et non ailleurs. Il faut de l’input historique pour faire fonctionner son modèle.
Si l’on dit plutôt que c’est la rhétorique vis-à-vis des bourgeois qui guide le monde, alors on explique la dynamique, car la rhétorique change.
L’alphabétisation de masse et le nazisme n’auraient jamais pu naître ailleurs qu’en Allemagne, explique Todd.
À la fin des années 30, tous les pays de l’Europe de l’euro aujourd’hui étaient en fait sous une dictature autoritaire—avec Salazar, Castro, Mussolini, Hitler, presque Pétain, etc. C’est après 45, avec l’arrivée des anglo-saxons que met en place de la démocratie en Europe. Mais pour la première fois débarrassée des USA et de l’Angleterre, avec le Brexit, depuis 1945, l’Europe retrouve sa voie historique autoritaire avec l’euro, imposé au peuple, etc. L’Europe, historiquement, n’a à peu près rien fait pour la démocratie libérale—qui est seulement britannique, américaine, et française.
New Victorians: Clothing: We are not walking or riding bikes for transportation, but for exercise. It displays virtues, just as the corseted dresses did. Food discipline: virtuous self-denial, self-discipline ; virtues much praised by Victorians. Ethos of improvement and discipline. Posting photos of a marathon on social media to say: I've made so much effort, I'm so virtuous.
Soumission n’est pas un roman sur l’Islam, ni sur la religion, mais sur la collaboration.
Le style vient du rapport d’un auteur à la langue parlée, à la façon dont il parle lui-même. Car on commence toujours par avec un contact avec le parler, bien avant l’écrit. Flaubert, bien avant Céline, passe son « parler » provincial à l’écrit, car il est dit partout qu’il faisait des fautes de prononciation.
Double tendance : supermarché des religions des « dominants » (le bouddhiste-catholique) et fanatisme structurant des jeunes paumés. Vocation thérapeutique du bouddhisme, aller-mieux sans verticalité.
La Gauche, comme la profession des philosophes en Europe, n’ont jamais fait leur autocritique quant à leur complicité massive, au point même qu'on pourrait l'appeler _sa responsabilité_, dans la mise en place de dictatures dans la moitié des pays du globe. Il n’y aucune honnêteté intellectuelle chez ces gens-là, chez ceux parlant de la gauche, chez ceux se targuant d’idées philosophiques.
On peut certes citer Bouveresse, et peut-être Bricmont, qui vont dans ce sens. Les autres intellectuels sérieux, Furet, Boudon… sont passés à droite depuis longtemps. Mais cela ne devrait pas nous réjouir, car Bruckner, Glucksmann & co n’ont finalement rien fait pour que cette autocritique ait lieu. Or c’est un préalable avant que ces gens-là (la Gauche, la profession des philosophes) puissent avoir des idées intéressantes, originales, imaginatives, et qu’ils puissent consacrer leur énergie à « décrire le monde en des termes nouveaux »—cf. Rorty.
« J’ai très longtemps été dramatiquement seule dans la vie. Ça a généré chez moi une si profonde faim de contact humain, que c’est pour ça que j’accorde une telle importance à chaque personne que je rencontre. » Nothomb
Pourquoi le rap français m’intéresse ?
Le rap parvient à éviter le kitsch tout en se basant sur une culture ultra-mainstream, d’une pauvreté extrême, affligeante, et presque touchante à nos yeux de sur-singes sur-éduqués. Je suis ébahi devant ce qu’on parvient à faire avec la culture populaire, d’une énorme pauvreté. Les références sont extrêmement limitées : blockbusters US, Scarface, la marque Louboutin… Les thèmes aussi : la galère dans la banlieue, la subversion de l’ordre, l’argent facile, les affaires…
Pourtant, l’écosystème rap parvient à produire du « niche » avec ce mainstream, alors que l’habitude voulait qu’on produise du niche avec du niche—les avant-gardes, et même une certaine partie du post-moderne produit du niche avec du niche (ou pseudo-mainstream, comme Lynch, Hitchcock…).
Le rap français montre ce à quoi mène la pure culture mainstream, comment on peut l’utiliser pour créer du « niche », au contraire de la variété populaire, qui tombe dans le kitsch en faisant du mainstream avec du mainstream.
À cet égard, le R&B est une dérive kitsch du rap, avec des bons sentiments, une espèce de lissage opéré sur la haine et la négativité du rap.
La conclusion, d’un point de vue esthétique, c’est que la « culture historique » sur laquelle un artiste se base compte peut-être moins que la négativité dont il est l’objet, pour produire des choses surprenantes, pour étendre son imagination, son pouvoir de (re)description.
En France, 240,000 personnes vivraient de la vente du cannabis, dont 100,000 dans le 93. Uniquement en Seine-Saint-Denis, la drogue rapporterait plus d’un milliard d'euros de chiffre d'affaires par an.
Kacem : « L’homme est l’animal traumatisé par la science. »
Quel serait « un nouveau type d'interlocuteur » aujourd'hui ; comme Roth a trouvé le psychanalyste dans Portnoy pour construire un type de narration innovant, encore inexistant.
« Nos frères inférieurs. »
En dépit de ce qu’on dit ci-et-là, les femmes voient encore la sexualité comme quelque chose d’un peu sale. Du coup, elles attendent d’être prises en charge pour ne pas avoir à se mêler de sexualité, de plaisir ; elles laissent à l’homme la responsabilité là-dessus. (Et ce dès le départ : de leur dire qu’elles sont belles, de les draguer, de les amener au lit…) Le paradoxe étant qu’en dépit de la libération sexuelle bla-bla-bla, le partenaire doit s’occuper à la fois de son propre plaisir et du plaisir de la femme—e.g délivrer le sacro-saint orgasme par cunnilingus. Bref, les femmes, parce qu’elles ont peur et ont encore cette vision détériorée du sexe, font finalement peser la qualité d’une relation sur leur partenaire. Elles se déchargent du fait d’être elles-aussi présentes pendant l’acte et, partant de là, tout aussi responsables que l’homme dans le plaisir qu’elles prennent.
(Le rapport ambiguë des femmes à la masturbation évoque bien cela : si elles refusent de prendre en charge leur propre plaisir, comment espèrent-elles en prendre à deux ? Les excuses : « Ça m’excite pas », « Je me sens ridicule », montrent que, au fond, elles se fichent pas mal de leur corps et de leur plaisir ; elles ont abandonné le combat.)
Dans les années 1980 aux USA, on compte 40% d’avortements pour 100 enfants à
naître.
Kundera, Essais :
Le modernisme, c’est la recherche de l’essence dans la pratique de son art. La poésie enlève la rhétorique et se concentre sur la fantaisie. La peinture enlève l’aspect documentaire et mimétique. Le roman refuse d’être une illustration de son temps, ou d’une thèse quelconque.
Kafka écrit sur la bureaucratie alors qu’elle commence à peine. Luther critique l’église qui commence tout juste à être corrompue. Baudrillard parle d’une société où la consommation commence juste à s’entendre. Bref, il est plus facile d’écrire sur un phénomène qui vient de naître, même si ses effets sont encore minimes. Exemple donné par Kundera : un romancier évoque pour la première fois les nuisances sonores des voitures alors que Prague, à cette époque, n’en compte littéralement que quelques unes. (Je pense aussi à Muray qui parle du caractère festif du kitsch contemporain, dix ans avant la « fête des voisins », la Gay Pride ou la Nuit Blanche.)
Chez Musil, l’organisation imaginaire qui organise une fête de célébration pour la paix juste avant 14-18 se nomme L’Action parallèle.
« Un jour viendra où l’on demandera à l’art d’être au service de la vie collective, on exigera de lui qu’il rende belle la répétition et aide l’individu à se confondre, en paix et dans la joie, avec l’uniformité de l’être. » Comme la musique qui fut jusqu’au XII siècle une simple répétition du même chant grégorien, avant qu’on ait l’idée d’introduire des contrepoints chantés.
Céline a vécu à côté de l’histoire, du côté du perdant, il n’est pas du côté du tralala comme tous ceux qui ont écrit plus tard sur la guerre, auréolé du Bien et des supplices. Cela permet à Céline de décrire la mort d’un chien justement sans tralala et de voir la vanité non comme une qualité mais comme une part de l’identité de l’homme qui, au seuil de sa mort, ne peut s’empêcher de prendre une pose.
L’amour des parents chez Roth montre une génération pas si éloignée et des rapports au sexe qui paraissent terriblement datés. L’homme chevauche deux voir trois périodes historiques aujourd’hui. (L’amour émouvant et vieillot des parents.)
Sartre dit que l’étranger chez Camus est une reprise de la figure du XVIIIe. « Des personnages qui voient les faits avant d’en saisir le sens. » Ce qui provoque chez le lecteur le sentiment de l’absurde. Flaubert admire Candide pour la même raison.
Bellanger : « On lit des romans, parfois, comme on pourrait lire des panneaux d'indication, des notices de médicament ou des textos sur son téléphone. Pour s’orienter, peut-être, pour aller mieux, sans doute, ou tout simplement car les mots sont apparus et que lire fait partie de nos tâches quotidiennes — du psychédélisme léger de la réalité. Le roman d'une certaine façon appartient au paysage normal du monde. C'est, d’une autre manière, ce qu’expliquait déjà Tolstoï en faisant figurer un livre dans son roman : la validation esthétique peut en passer par une reconnaissance, même grossière, du travail fourni. Quelqu’un a réfléchi à cette histoire, quelqu’un a travaillé à ce dictionnaire. L’auteur existe, mais il est au travail. Un travail dont Franzen spécifie le sens : il doit aboutir à la naturalisation du roman. À son admission calme parmi les objets naïfs du monde. »
Les écrivains séducteurs : Montherlant, Albert Cohen, Matzneff. Les écrivains vieux garçons : Perec, Ionesco, Sartre.
Aussi : les écrivains évidents (Houellebecq), et les non-évidents (D.F. Wallace).
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« Les hommes, fripons en détail, sont en gros de très honnêtes gens ; ils aiment la morale. » Montesquieu
Banks get to decide what your store of value should be, and you go along because that will be account unit & exchange medium. Unfortunate (& undemocratic) b/c choice of value store carries moral dimension (dollars supports US policy, Google stock supports Google).
« It was easier to predict mass car-ownership than to predict Walmart. »
Crypto automates more than money, it automates trust. A blockchain provides trusted database without a central authority, where each record can do things, act on itself and others. But what does it mean to have money that is active, and not passive like fiat is?
Todd disant que tout s’explique par les structures familiales loupe l’explication en terme dynamique : comment expliquer l’enrichissement, par exemple, si tout est joué par les structures—sachant que celles-ci sont à peu près fixes, selon lui. Todd a besoin de faire rentrer des éléments historiques contingents pour expliquer l’apparition du communisme par exemple, même si il explique bien pourquoi le communisme apparaît ici et non ailleurs. Il faut de l’input historique pour faire fonctionner son modèle.
Si l’on dit plutôt que c’est la rhétorique vis-à-vis des bourgeois qui guide le monde, alors on explique la dynamique, car la rhétorique change.
L’alphabétisation de masse et le nazisme n’auraient jamais pu naître ailleurs qu’en Allemagne, explique Todd.
À la fin des années 30, tous les pays de l’Europe de l’euro aujourd’hui étaient en fait sous une dictature autoritaire—avec Salazar, Castro, Mussolini, Hitler, presque Pétain, etc. C’est après 45, avec l’arrivée des anglo-saxons que met en place de la démocratie en Europe. Mais pour la première fois débarrassée des USA et de l’Angleterre, avec le Brexit, depuis 1945, l’Europe retrouve sa voie historique autoritaire avec l’euro, imposé au peuple, etc. L’Europe, historiquement, n’a à peu près rien fait pour la démocratie libérale—qui est seulement britannique, américaine, et française.
New Victorians: Clothing: We are not walking or riding bikes for transportation, but for exercise. It displays virtues, just as the corseted dresses did. Food discipline: virtuous self-denial, self-discipline ; virtues much praised by Victorians. Ethos of improvement and discipline. Posting photos of a marathon on social media to say: I've made so much effort, I'm so virtuous.
Soumission n’est pas un roman sur l’Islam, ni sur la religion, mais sur la collaboration.
Le style vient du rapport d’un auteur à la langue parlée, à la façon dont il parle lui-même. Car on commence toujours par avec un contact avec le parler, bien avant l’écrit. Flaubert, bien avant Céline, passe son « parler » provincial à l’écrit, car il est dit partout qu’il faisait des fautes de prononciation.
Double tendance : supermarché des religions des « dominants » (le bouddhiste-catholique) et fanatisme structurant des jeunes paumés. Vocation thérapeutique du bouddhisme, aller-mieux sans verticalité.
mardi 26 septembre 2017
Chronique XVIII
Le prix du succès (2017, scènes intéressantes avec un rappeur et d’autres, qui se sont aussi sortis de la merde). Petit paysan (2017, mélange de comique et de drame très bien fait). Patty Cake (2017, belle légèreté et un montage ébouriffant). Barbara (2017, sans intérêt). Le redoutable (2017, comédie réussie, la fin flanche un peu). Ghost Dog (intéressant, mais si peu intense en idées, en propositions…)
—
Le pragmatiste ne s’intéresse pas à la « nature du vrai » mais aux attitudes que les gens prennent en déclarant un énoncé vrai.
Finalement, le surréalisme vient après Dada, qui vient à son tour après le futurisme—le message se dégrade à chaque fois. Le surréalisme est accusé par certains de détruire l’héritage Dada et de « marchandiser » l’art à nouveau, en dépit des prouesses formelles qui cachent l’art = marchandise plus qu’autre chose.
Rorty voit le « progrès » comme un progrès de l’imagination, plus que du Bien, du Juste, etc. C’est l’aptitude qui consiste à décrire le familier dans des termes non-familiers qui l’intéresse. Rendre le futur plus « riche » que son passé.
Le lyrisme (intériorité pure de l’adolescent, enfermé dans sa libido, à soi-même une trop grande énigme pour s’intéresser à d’autres énigmes) n’est pas une forme de connaissance, contrairement au donjuanisme (ouvrir le monde au scalpel). Le libertin, comme « le roman », est dans une non-adhésion radicale ; quand le lyrique est encore aveuglé par les grandes mythes de l’amour, la fidélité, l’extase, la vraie passion…
Dans la sexualité, dans les manifestations, Kundera montre deux attitudes : ceux qui parviennent à se perdre dans le monde, et ceux qui restent toujours distants. (Quand elle voit une manifestation, elle dit que le plus grand mal est de chanter à l’unisson, y compris lorsque c’est pour accuser un régime totalitaire ; car celui-ci fonctionne aussi en faisant chanter les hommes à l’unisson.)
L’extase (donc la jouissance) est une annulation momentanée de l’individu. (On pourrait dire : Heidegger qui vise la quête de l’être plus que de l’étant veut nous faire revenir à l’état de l’extase, quand _tous les hommes se ressemblent_ justement.) Ce moment d’extase n’est pas chez Kundera un moment de sens unique, mais l’approche du nihilisme, d’où son scepticisme à l’égard du romantisme, voir du mensonge poétique, du délire poétique, qui veut en fait annihiler la pensée. En cela, parler d’individualisme quand on s’amuse à sortir faire la fête et écouter de la musique, e.g quand les individus se transforment en un seul corps collectif à la recherche de l’effusion, de l’identification… Le bonheur implique identité et différence, surtout pas la perte de l’identification de soi à soi que provoquent ces moments de communion des foules.
Le kitsch abolit l’idée que pourrait survenir de l’insolite.
« Bientôt, peut-être reconnaîtra-t-on les homosexuels à ce signe : – Non mais tu sais, lui, il est... enfin... tu vois, quoi... il lit Proust, il a une moustache, il va au Queen... il... il est... marié. » Beigbeder, à propos d’un livre de Duteurtre.
Au fond, l’ironie de Duteurtre est certes plus « visible » que celle de Houellebecq, mais, étrangement, elle me paraît moins radicale. À la lecture _Voyage en France_, qui me donne un certain bonheur, je sens qu’il « manque quelque chose » par rapport à MH. Déjà, la densité historique, le fait d’insérer des purs essais—car Duteurtre si essaie mais cela s’apparente à un carnet de voyage sur le rapport USA/France les fois où il « théorise ». Le reste du temps, c’est une description ironique de personnages, notamment des pseudo-artistes, ou des simili-nostalgiques des années 1900 ; mais cela n’arrive pas à percer quoi que ce soit. Comme si, c’est dur à dire, mais cela sonnait creux d’en-dessous. Le malaise en tant que lecteur est absent, par rapport à MH bien sûr, ou même par rapport à la scène incroyable de viol dans _Travelingue._ Peut-être ma gêne vient-elle simplement du fait c’est du Muray/Camus un peu déguisé, et disons « retranscrit en fiction » ?
Je ne sens pas chez Duteurtre ou Aymé la « confession de faiblesse » qu’il y a chez MH, ou même chez Perec. (Tant dans _L’homme_ que dans _Les choses_ : on sent une compassion de l’auteur pour des personnages tristes, ratés, très fortement honteux d’eux-mêmes, de leurs rêves, de leur ambition déçue.)
Duteurtre reste d’aplomb, il n’arrive pas à participer à la grande destruction des clichés. Il ne se diminue pas comme narrateur. Le lecteur sent trop la distance entre l’auteur et le narrateur, Duteurtre lui-même ne s’avoue pas vaincu. Disons qu’il le fait un peu, avec le personnage du quadragénaire et de son amante collante, mais comme cela paraît palot face à du MH ! Les héros de Kundera se confessent de trop, eux-aussi, ils apparaissent dans leurs contradictions, et se ridiculisent autant que les autres personnages. Kundera, comme Flaubert, s’amuse avec eux, il les piège. Les personnages participent de la dénonciation de clichés par l’auteur.
Duteurtre ne conçoit pas ses romans comme des aveux de faiblesse. Et paradoxalement, il n’y pas tant de négativité que chez MH—qui cède pourtant à l’histoire d’amour à l’eau de rose, ou fait intervenir des personnages pathétiques. Duteurtre refuse le pathos, et pour cela ses romans perdent paradoxalement en légèreté—car ils manquent de contraste entre la légèreté et l’artillerie lourde du lyrisme, qu’il ne traite pas, et dont il ne peut donc se moquer à l’intérieur de ses romans, puisqu’il les supprime de ses romans, de ses mondes… Il refuse tant le lyrisme qu’il le supprime de ses romans, quand MH parvient à placer du lyrisme pour le subvertir à l’intérieur même du récit : MH accepte cette part du monde, l’utilise, et la pousse à bout. Duteurtre la supprime de ses romans, peignant un monde à moitié réel, le lecteur a l’impression d’une arnaque sur la marchandise (« mais ce n’est pas ma vie qu’il décrit là ! ») ou, disons de discours utopique, véritablement anti-existentialiste.
On aimerait que le monde ressemble aux romans de Duteurtre, seulement ce n’est pas le cas : nous sommes—malgré nous—plongé dans un univers à la MH ou Kundera, plein de lyrisme, de sérieux, engoncé et ridicule dans notre sens du tragique. Car c’est aussi cela qu’il faut dénoncer : les sages eux-mêmes ne parviennent pas à s’en sortir, que l’exil lui-même est interdit, ou tout au moins dramatique. cf. Agnès dans _L’immortalité_ ou Michel dans _Extension_ et _Plateforme._ Bref, il faut embrasser l’ironie et le drame pour éviter de tomber dans la simple satire sociale, cf. Duteurtre, Aymé, etc. (Il ne faut avoir aucun jugement critique vis-à-vis de ses personnages, même de ceux qu’on déteste, et dont on désapprouve les actions et les pensées.)
Le cinéma apprend à gérer sa névrose, à préférer la vie plutôt que la mort, très littéralement. Desplechin nous dit : nous autres les névrosés, nous autres qui sommes presque des vieux-garçons, qui sommes à la tangente permanente, nous parviendrons à nous réconcilier avec le monde, avec nos amis, nos familles, nos aimées…
Le roman, de son côté, est un moyen d’utiliser son intelligence—de ne pas prendre sa non-adhésion au monde comme une malédiction, mais à l’embrasser, à la travailler, à la raffiner au point de faire la liste de tous les clichés, des « a priori », de son époque (seule tâche, petite mais noble, dévolues aux bons romanciers) ; e.g tout ce que son époque « ne pense pas » justement, tout ce qui passe à la trappe de la réflexion, de la remise-en-cause (on pourrait oser dire « du débat »).
Chez Kundera, le libertin et l’exilé sont les deux faces d’une même figure. (Tomas, le quarantenaire, etc.) On est d’abord l’un, puis l’autre. Le rapport au monde est finalement le même, celui d’une non-adhésion ; c’est le rire du Diable qu’on veut empêcher de faire rentrer dans les idylles que les hommes tentent de créer partout, toujours. (J’imagine que Milan Kundera, l’auteur, est lui-même ce doublon du libertin passé exilé.)
La satire défend une thèse. Et l'ironie aucune. L'ironie juxtapose des discours mais ne tient aucune certitude pour acquise.
Si 60 millions de petits gestes peuvent vraiment « avoir un effet » sur le réchauffement climatique, et l’avenir de l’humanité ; alors pourquoi ne pas nous y obliger plus durement, surtout s'il en va de notre survie ! Et donc de "punir" ceux qui ne le font pas.
Notre plus grand problème n'est-il pas justement l'insignifiance ? Demande Kundera, en commentant un livre de Sterne qui n'adresse que des questions futiles…
Roth a besoin d'un narrateur témoin car ses personnages évoluent dans le temps. Kundera explore des personnages-concepts qui n'ont pas de rupture sensible dans leur vie, il peut se contenter d'un narrateur extérieur.
Des héros qui abandonnent la course :
Agnès qui abandonne la lutte, qui préfère aller se balader plutôt que de rentrer à Paris. Elle fait un pas de côté. Ce n'est pas une ascension comme dans les romans modernes (Stendhal, Proust) décrits par Girard, c'est un exil, un abandon.
K. continue de lutter pour que la justice se fasse, même si le monde déjà n'est plus modifiable par son action, de façon à priori. (Par rapport au roman moderne, le monde a cessé d'être modifiable par le héros, mais K. souhaite toujours agir ; il adhère.)
Dans _Les Choses_, voir dans _Un homme qui dort_, Perec n'arrive pas à enlever à ses personnages la volonté de se changer (eux mêmes à défaut du monde). Ni d'ailleurs Ionesco dans _Le solitaire_ qui donne à son héros des raisons d'agir, une volonté de s'échapper de soi-même ; mais jamais un abandon total du combat.
Seul Houellebecq parvient à avoir un narrateur qui abandonne la course, qui cesse de lutter pour la domination sexuelle etc. D'ailleurs, les expressions de « sens du combat », de « domaine de la lutte »… expriment le débat intérieur de Houellebecq. L'action est-elle encore possible, souhaitable ?
Pourquoi cela diffère néanmoins du nouveau roman, qui voulait tuer les personnages, tuer le monde finalement, pour une simple recherche formelle ?
Le lyrisme poétique chez Kundera :
Version négative : la négation de la merde. Version positive : l’accord avec l'être. (Le poème manifeste l'accord avec l'être, l'absence de faille perçue dans son identité, son raccord avec le monde. Ni l'ombre de l'erreur, ni celle de la mort ou de la merde ne s'y projette plus !…)
L'innocence du bourreau qui croit aller dans le sens de l'histoire, avec le sentiment d'être en accord total avec la foule… D'où son lien avec la poésie, qui donne elle-aussi l'image d'un homme en accord total avec lui même. (Et d'une certaine musique dite pop ; et pourrait-on dire aussi de certains drogues récréatives.)
L'esprit de poésie : la faute et l'imperfection sont ignorés, niés. Le poète immature s'identifie toujours à ses émotions. Une posture abri-poétique est méfiante face aux sentiments, elle est distante.
Faire suite à _La vie est ailleurs_ : faire un roman contre la figure du jeune homme, du lyrisme, de l'amour passion etc. Se moquer du jeune homme, refuser les discours « poétique » et kitsch comme finalement en produit Easton Ellis, en fabriquant du mythe.
Ainsi : le New Age, comme toutes les spiritualités, veulent raccorder l'être avec lui-même ; presque à tout jamais. Faire de la méditation, c'est s'assurer que l'erreur, que l'imperfection, disparaissent à tout jamais. C'est vivre dans le rêve d'une pureté absolue du désagrément, nier l'erreur comme constitutionnelle, rêver d'un accord total avec soi-même.
Le cinéma dit : il faut se réconcilier avec le monde. Le roman dit : il faut traiter des clichés. (Le cinéma fait du burlesque, le roman fait de l'ironie. Le domaine est très clairement délimité.)
Yannick Haenel écrit des scènes sans aucun ordre dans de petits cahiers, « à la main ». Tous les matins, il retranscrit sur l’ordinateur toutes ces scènes avec tous ses cahiers disposés autour de lui, car les scènes sont écrites dans des ordres plus ou moins aléatoires. Il s’assure ainsi de ne jamais avoir de « page blanche » à écrire quand il prend son ordinateur, le matin, et écrit la version au propre. Il a déjà du contenu grâce à ces petits cahiers, qu’il ré-ouvre en permanence pour « partir de quelque chose », de scènes, de citations, de dialogues, etc.
Raymond Boudon : Il n'y a aucune inculcation par un milieu ou une nature, mais seulement des justifications ; une série de justifications que n'importe qui vous ressortira quand il se trouve en danger. Le moins intellectuel des ouvriers vous justifiera—à son échelle—le moindre de ses goûts, la moindre de ses croyances. Il dira : « Si j’aime la viande plutôt que le poisson, c’est parce que … » quand Bourdieu _aimerait_ que les pauvres n’aiment pas le poisson de façon a priori, et qu’on le leur a inculqué ce dégoût. Les gens se convainquent eux-mêmes de leurs a priori—ceux-ci ne sortent pas de nulle part.
« Il est affreux de ressembler à son père », dit Nizan dans _La Conspiration_ ; affreux de se prévoir.
« The IKEA effect has also been observed in animals, such as rats and starlings, which prefer to obtain food from sources that required effort on their part. »
Désavantager quelqu’un a un résultat immédiat, non-falsifiable. Avantager une personne prend du temps ; car c’est une trajectoire qu’on veut faire infléchir.
Il est donc plus simple de désavantager que d’avantager quelqu’un. (Aussi : nos automatismes brident notre bonne-volonté, si bien que les moyens qu’on donne à un homme ne changent pas ses fins.) De là, un présupposé stupide : désavantager l’un, c’est forcément aider l’autre.
People leave managers, not companies.
Garcia : « Ce qui me rend sombre, c’est la masse de gens à qui il va falloir dire adieu : tout le Nouvel Hollywood, tout le minimalisme américain, Steve Reich, Philip Glass,Godard, etc. Parfois, je me dis que s’il avait fallu que le XXe siècle dise à ce point adieu au XIXe, on n’aurait jamais eu d’avant-garde, on n’aurait jamais eu le surréalisme, le dadaïsme. Heureusement que les grandes figures du XIXe siècle n’étaient plus pour laisser la place aux artistes avant-gardistes, entre 1905 et 1913. Cela a permis la formation du siècle. Nous, on est déjà en 2017 et on va devoir prendre encore 15 ans à dire adieu aux grandes figures du siècle passé. »
Muray : « Rien n'est plus dangereux que l'Avant-gardiste acculé dans ses retranchements dorés. Ce ne sont pas des valeurs qu'il défend, ce sont des intérêts. “L’esprit de notre temps est celui d'une société dont le moindre soupir se veut déjà culture”, constate encore Duteurtre.
“Ce que l'État encourage dépérit, ce qu'il protège meurt”, disait Paul-Louis Courier. L'Etat détruit tout ce qu'il approuve ; il lui a même suffi, récemment, de créer un Musée des tags pour que ceux-ci disparaissent presque aussitôt du paysage urbain. Qui pourrait désirer vraiment quelque chose que l'État désire ?
Qu'on le veuille ou non, qu'on s'en réjouisse ou pas, c'est le raï et le rap qui innovent, non les chercheurs ircamiens. Il y a toujours plus de sensibilité dans trois phrases de Prévert que dans l'oeuvre entière de René Char, cacographe officiel. Marcel Aymé reste lisible, non Claude Simon ou Duras. Et tout le reste à l'avenant. Le “nouveau” lui-même est une vieille habitude qui commence à se perdre. »
Le premier titre des _Particules_ était « La grande mutation ». Si Houellebecq a refusé, c’est peut-être parce que le titre est trop programmatique du programme romanesque lui-même : un grand roman doit par définition faire état d’une grande mutation ; dans la façon de voir/sentir, ou dans les événements politico-sociaux eux-mêmes ; et idéalement les deux sont liés. cf. Proust et Céline.
Pour prévoir le futur, il suffit d’observer la Californie : « Aujourd'hui, un seul État a rendu obligatoire la castration chimique pour les pédophiles récidivistes : la Californie, depuis 1996. »
L’alcoolisme a baissé en France en même temps que la consommation d’anxiolytiques augmentait. On leur donne des anxiolytiques qui entraînent une dépression qu'on combat avec des antidépresseurs, qui aggravent la dépression sur la durée et génèrent des comportements suicidaires.
L’extase c’est ce qui me rend égal à tous les autres ; dans la foule, la fête ou l’orgasme, je perd mon identité. On n’y trouve pas le bonheur, mais la fusion.
Nozick : « Le canevas d’utopie que nous avons décrit est équivalent à l’État minimal. L’État minimal nous traite comme des individus inviolés, qui ne peuvent pas être utilisés de certaines façons par d’autres, comme moyens, outils, instruments, ou ressources. Nous traitant avec respect et respectant nos droits, il nous permet individuellement ou avec ceux que nous choisissons, de choisir notre vie et de réaliser nos desseins et notre conception de nous-mêmes, dans la mesure où nous pouvons le faire, aidés par la coopération volontaire d’autres individus possédant la même dignité. Comment un État ou un groupe d’individus ose-t-il en faire plus ? Ou moins ? »
La modération est préférable à l’hypocrisie.
Dewey et Foucault partagent un même « perspectivisme » sur l'histoire des sciences et des sciences sociales en particulier. Ils défendent tous les deux l'intuition de Nietzsche que le mensonge le plus long est celui d'une nature (Dieu, la Science, la Vérité…) sous-jacente qui puisse venir nous sauver. Mais Rorty est du côté de Dewey car son discours défend un plus grand pluralisme. Dewey ne pense pas que l'homme soit livré à lui-même (sans solidarité humaine) une fois les grands concepts de Dieu ou du Prolétariat disparus : les valeurs bourgeoises continuent bien d'exercer une solidarité. Or le soupçon général de Foucault ne donne aucune réponse à cela, ni ne l’explique.
_L’Anti-nature,_ de Rosset : Rousseau fuit le déguisement, et l'artifice. Des Esseintes hait la nature car elle n'est justement pas solide et monumentale, contrairement à ce qu'on prétend. Il pourrait dire : donnez moi de la vraie nature et j'oublie l'artifice. L'état de délabrement de la nature en appelle donc à l'artifice.
Contre la mort de l’auteur chez Barthes et Foucault : Kundera intervient dans le roman, en cela on ne pourrait pas imaginer que son texte circule sans l'auteur comme le souhaite Foucault/Barthes en réaction à l'individualisme bourgeois qui a inventé l'auteur (pour se faire plaisir entre soi, entre bourgeois.) Cela rappelle l'anonymat obligatoire du totalitarisme bien sûr… Tuer l'individu bourgeois c'est faire de nous tous des esclaves.
Houellebecq : « Et maintenant, j’étais là, seul comme un connard, à quelques mètres du guichet XYZ. Pour dire les choses crûment, ce que je souhaite au fond, c’est pratiquer le tourisme. »
L’ironie est une attitude strictement européenne, les seuls Américains à pratiquer cet art—et encore dans des dimensions communautaires, donc limitées—sont les Juifs de la côte Est, mais pourquoi donc ? Faut-il être du _côté de l’échec_ ?
Histoire de la virilité :
Au contraire du XIXe, on ne dit pas que le sexe épuise le corps ; on est, à l’inverse, inquiet car on ne fait pas assez l’amour. À partir de 1970, le fait de réussir sexuellement est associé au succès, à l'équilibre et à la force. Naissance concomitante de la sexologie. La sexualité conçue comme un sport d'endurance.
Les femmes tondues à la libération : honte des hommes d'avoir subi la défaite, d'avoir laissé rentrer les nazis dans leur intérieur. On tond les femmes, alors qu’on leur donne le droit de vote. (Haine-de-soi de l’homme occidental ?)
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Le pragmatiste ne s’intéresse pas à la « nature du vrai » mais aux attitudes que les gens prennent en déclarant un énoncé vrai.
Finalement, le surréalisme vient après Dada, qui vient à son tour après le futurisme—le message se dégrade à chaque fois. Le surréalisme est accusé par certains de détruire l’héritage Dada et de « marchandiser » l’art à nouveau, en dépit des prouesses formelles qui cachent l’art = marchandise plus qu’autre chose.
Rorty voit le « progrès » comme un progrès de l’imagination, plus que du Bien, du Juste, etc. C’est l’aptitude qui consiste à décrire le familier dans des termes non-familiers qui l’intéresse. Rendre le futur plus « riche » que son passé.
Le lyrisme (intériorité pure de l’adolescent, enfermé dans sa libido, à soi-même une trop grande énigme pour s’intéresser à d’autres énigmes) n’est pas une forme de connaissance, contrairement au donjuanisme (ouvrir le monde au scalpel). Le libertin, comme « le roman », est dans une non-adhésion radicale ; quand le lyrique est encore aveuglé par les grandes mythes de l’amour, la fidélité, l’extase, la vraie passion…
Dans la sexualité, dans les manifestations, Kundera montre deux attitudes : ceux qui parviennent à se perdre dans le monde, et ceux qui restent toujours distants. (Quand elle voit une manifestation, elle dit que le plus grand mal est de chanter à l’unisson, y compris lorsque c’est pour accuser un régime totalitaire ; car celui-ci fonctionne aussi en faisant chanter les hommes à l’unisson.)
L’extase (donc la jouissance) est une annulation momentanée de l’individu. (On pourrait dire : Heidegger qui vise la quête de l’être plus que de l’étant veut nous faire revenir à l’état de l’extase, quand _tous les hommes se ressemblent_ justement.) Ce moment d’extase n’est pas chez Kundera un moment de sens unique, mais l’approche du nihilisme, d’où son scepticisme à l’égard du romantisme, voir du mensonge poétique, du délire poétique, qui veut en fait annihiler la pensée. En cela, parler d’individualisme quand on s’amuse à sortir faire la fête et écouter de la musique, e.g quand les individus se transforment en un seul corps collectif à la recherche de l’effusion, de l’identification… Le bonheur implique identité et différence, surtout pas la perte de l’identification de soi à soi que provoquent ces moments de communion des foules.
Le kitsch abolit l’idée que pourrait survenir de l’insolite.
« Bientôt, peut-être reconnaîtra-t-on les homosexuels à ce signe : – Non mais tu sais, lui, il est... enfin... tu vois, quoi... il lit Proust, il a une moustache, il va au Queen... il... il est... marié. » Beigbeder, à propos d’un livre de Duteurtre.
Au fond, l’ironie de Duteurtre est certes plus « visible » que celle de Houellebecq, mais, étrangement, elle me paraît moins radicale. À la lecture _Voyage en France_, qui me donne un certain bonheur, je sens qu’il « manque quelque chose » par rapport à MH. Déjà, la densité historique, le fait d’insérer des purs essais—car Duteurtre si essaie mais cela s’apparente à un carnet de voyage sur le rapport USA/France les fois où il « théorise ». Le reste du temps, c’est une description ironique de personnages, notamment des pseudo-artistes, ou des simili-nostalgiques des années 1900 ; mais cela n’arrive pas à percer quoi que ce soit. Comme si, c’est dur à dire, mais cela sonnait creux d’en-dessous. Le malaise en tant que lecteur est absent, par rapport à MH bien sûr, ou même par rapport à la scène incroyable de viol dans _Travelingue._ Peut-être ma gêne vient-elle simplement du fait c’est du Muray/Camus un peu déguisé, et disons « retranscrit en fiction » ?
Je ne sens pas chez Duteurtre ou Aymé la « confession de faiblesse » qu’il y a chez MH, ou même chez Perec. (Tant dans _L’homme_ que dans _Les choses_ : on sent une compassion de l’auteur pour des personnages tristes, ratés, très fortement honteux d’eux-mêmes, de leurs rêves, de leur ambition déçue.)
Duteurtre reste d’aplomb, il n’arrive pas à participer à la grande destruction des clichés. Il ne se diminue pas comme narrateur. Le lecteur sent trop la distance entre l’auteur et le narrateur, Duteurtre lui-même ne s’avoue pas vaincu. Disons qu’il le fait un peu, avec le personnage du quadragénaire et de son amante collante, mais comme cela paraît palot face à du MH ! Les héros de Kundera se confessent de trop, eux-aussi, ils apparaissent dans leurs contradictions, et se ridiculisent autant que les autres personnages. Kundera, comme Flaubert, s’amuse avec eux, il les piège. Les personnages participent de la dénonciation de clichés par l’auteur.
Duteurtre ne conçoit pas ses romans comme des aveux de faiblesse. Et paradoxalement, il n’y pas tant de négativité que chez MH—qui cède pourtant à l’histoire d’amour à l’eau de rose, ou fait intervenir des personnages pathétiques. Duteurtre refuse le pathos, et pour cela ses romans perdent paradoxalement en légèreté—car ils manquent de contraste entre la légèreté et l’artillerie lourde du lyrisme, qu’il ne traite pas, et dont il ne peut donc se moquer à l’intérieur de ses romans, puisqu’il les supprime de ses romans, de ses mondes… Il refuse tant le lyrisme qu’il le supprime de ses romans, quand MH parvient à placer du lyrisme pour le subvertir à l’intérieur même du récit : MH accepte cette part du monde, l’utilise, et la pousse à bout. Duteurtre la supprime de ses romans, peignant un monde à moitié réel, le lecteur a l’impression d’une arnaque sur la marchandise (« mais ce n’est pas ma vie qu’il décrit là ! ») ou, disons de discours utopique, véritablement anti-existentialiste.
On aimerait que le monde ressemble aux romans de Duteurtre, seulement ce n’est pas le cas : nous sommes—malgré nous—plongé dans un univers à la MH ou Kundera, plein de lyrisme, de sérieux, engoncé et ridicule dans notre sens du tragique. Car c’est aussi cela qu’il faut dénoncer : les sages eux-mêmes ne parviennent pas à s’en sortir, que l’exil lui-même est interdit, ou tout au moins dramatique. cf. Agnès dans _L’immortalité_ ou Michel dans _Extension_ et _Plateforme._ Bref, il faut embrasser l’ironie et le drame pour éviter de tomber dans la simple satire sociale, cf. Duteurtre, Aymé, etc. (Il ne faut avoir aucun jugement critique vis-à-vis de ses personnages, même de ceux qu’on déteste, et dont on désapprouve les actions et les pensées.)
Le cinéma apprend à gérer sa névrose, à préférer la vie plutôt que la mort, très littéralement. Desplechin nous dit : nous autres les névrosés, nous autres qui sommes presque des vieux-garçons, qui sommes à la tangente permanente, nous parviendrons à nous réconcilier avec le monde, avec nos amis, nos familles, nos aimées…
Le roman, de son côté, est un moyen d’utiliser son intelligence—de ne pas prendre sa non-adhésion au monde comme une malédiction, mais à l’embrasser, à la travailler, à la raffiner au point de faire la liste de tous les clichés, des « a priori », de son époque (seule tâche, petite mais noble, dévolues aux bons romanciers) ; e.g tout ce que son époque « ne pense pas » justement, tout ce qui passe à la trappe de la réflexion, de la remise-en-cause (on pourrait oser dire « du débat »).
Chez Kundera, le libertin et l’exilé sont les deux faces d’une même figure. (Tomas, le quarantenaire, etc.) On est d’abord l’un, puis l’autre. Le rapport au monde est finalement le même, celui d’une non-adhésion ; c’est le rire du Diable qu’on veut empêcher de faire rentrer dans les idylles que les hommes tentent de créer partout, toujours. (J’imagine que Milan Kundera, l’auteur, est lui-même ce doublon du libertin passé exilé.)
La satire défend une thèse. Et l'ironie aucune. L'ironie juxtapose des discours mais ne tient aucune certitude pour acquise.
Si 60 millions de petits gestes peuvent vraiment « avoir un effet » sur le réchauffement climatique, et l’avenir de l’humanité ; alors pourquoi ne pas nous y obliger plus durement, surtout s'il en va de notre survie ! Et donc de "punir" ceux qui ne le font pas.
Notre plus grand problème n'est-il pas justement l'insignifiance ? Demande Kundera, en commentant un livre de Sterne qui n'adresse que des questions futiles…
Roth a besoin d'un narrateur témoin car ses personnages évoluent dans le temps. Kundera explore des personnages-concepts qui n'ont pas de rupture sensible dans leur vie, il peut se contenter d'un narrateur extérieur.
Des héros qui abandonnent la course :
Agnès qui abandonne la lutte, qui préfère aller se balader plutôt que de rentrer à Paris. Elle fait un pas de côté. Ce n'est pas une ascension comme dans les romans modernes (Stendhal, Proust) décrits par Girard, c'est un exil, un abandon.
K. continue de lutter pour que la justice se fasse, même si le monde déjà n'est plus modifiable par son action, de façon à priori. (Par rapport au roman moderne, le monde a cessé d'être modifiable par le héros, mais K. souhaite toujours agir ; il adhère.)
Dans _Les Choses_, voir dans _Un homme qui dort_, Perec n'arrive pas à enlever à ses personnages la volonté de se changer (eux mêmes à défaut du monde). Ni d'ailleurs Ionesco dans _Le solitaire_ qui donne à son héros des raisons d'agir, une volonté de s'échapper de soi-même ; mais jamais un abandon total du combat.
Seul Houellebecq parvient à avoir un narrateur qui abandonne la course, qui cesse de lutter pour la domination sexuelle etc. D'ailleurs, les expressions de « sens du combat », de « domaine de la lutte »… expriment le débat intérieur de Houellebecq. L'action est-elle encore possible, souhaitable ?
Pourquoi cela diffère néanmoins du nouveau roman, qui voulait tuer les personnages, tuer le monde finalement, pour une simple recherche formelle ?
Le lyrisme poétique chez Kundera :
Version négative : la négation de la merde. Version positive : l’accord avec l'être. (Le poème manifeste l'accord avec l'être, l'absence de faille perçue dans son identité, son raccord avec le monde. Ni l'ombre de l'erreur, ni celle de la mort ou de la merde ne s'y projette plus !…)
L'innocence du bourreau qui croit aller dans le sens de l'histoire, avec le sentiment d'être en accord total avec la foule… D'où son lien avec la poésie, qui donne elle-aussi l'image d'un homme en accord total avec lui même. (Et d'une certaine musique dite pop ; et pourrait-on dire aussi de certains drogues récréatives.)
L'esprit de poésie : la faute et l'imperfection sont ignorés, niés. Le poète immature s'identifie toujours à ses émotions. Une posture abri-poétique est méfiante face aux sentiments, elle est distante.
Faire suite à _La vie est ailleurs_ : faire un roman contre la figure du jeune homme, du lyrisme, de l'amour passion etc. Se moquer du jeune homme, refuser les discours « poétique » et kitsch comme finalement en produit Easton Ellis, en fabriquant du mythe.
Ainsi : le New Age, comme toutes les spiritualités, veulent raccorder l'être avec lui-même ; presque à tout jamais. Faire de la méditation, c'est s'assurer que l'erreur, que l'imperfection, disparaissent à tout jamais. C'est vivre dans le rêve d'une pureté absolue du désagrément, nier l'erreur comme constitutionnelle, rêver d'un accord total avec soi-même.
Le cinéma dit : il faut se réconcilier avec le monde. Le roman dit : il faut traiter des clichés. (Le cinéma fait du burlesque, le roman fait de l'ironie. Le domaine est très clairement délimité.)
Yannick Haenel écrit des scènes sans aucun ordre dans de petits cahiers, « à la main ». Tous les matins, il retranscrit sur l’ordinateur toutes ces scènes avec tous ses cahiers disposés autour de lui, car les scènes sont écrites dans des ordres plus ou moins aléatoires. Il s’assure ainsi de ne jamais avoir de « page blanche » à écrire quand il prend son ordinateur, le matin, et écrit la version au propre. Il a déjà du contenu grâce à ces petits cahiers, qu’il ré-ouvre en permanence pour « partir de quelque chose », de scènes, de citations, de dialogues, etc.
Raymond Boudon : Il n'y a aucune inculcation par un milieu ou une nature, mais seulement des justifications ; une série de justifications que n'importe qui vous ressortira quand il se trouve en danger. Le moins intellectuel des ouvriers vous justifiera—à son échelle—le moindre de ses goûts, la moindre de ses croyances. Il dira : « Si j’aime la viande plutôt que le poisson, c’est parce que … » quand Bourdieu _aimerait_ que les pauvres n’aiment pas le poisson de façon a priori, et qu’on le leur a inculqué ce dégoût. Les gens se convainquent eux-mêmes de leurs a priori—ceux-ci ne sortent pas de nulle part.
« Il est affreux de ressembler à son père », dit Nizan dans _La Conspiration_ ; affreux de se prévoir.
« The IKEA effect has also been observed in animals, such as rats and starlings, which prefer to obtain food from sources that required effort on their part. »
Désavantager quelqu’un a un résultat immédiat, non-falsifiable. Avantager une personne prend du temps ; car c’est une trajectoire qu’on veut faire infléchir.
Il est donc plus simple de désavantager que d’avantager quelqu’un. (Aussi : nos automatismes brident notre bonne-volonté, si bien que les moyens qu’on donne à un homme ne changent pas ses fins.) De là, un présupposé stupide : désavantager l’un, c’est forcément aider l’autre.
People leave managers, not companies.
Garcia : « Ce qui me rend sombre, c’est la masse de gens à qui il va falloir dire adieu : tout le Nouvel Hollywood, tout le minimalisme américain, Steve Reich, Philip Glass,Godard, etc. Parfois, je me dis que s’il avait fallu que le XXe siècle dise à ce point adieu au XIXe, on n’aurait jamais eu d’avant-garde, on n’aurait jamais eu le surréalisme, le dadaïsme. Heureusement que les grandes figures du XIXe siècle n’étaient plus pour laisser la place aux artistes avant-gardistes, entre 1905 et 1913. Cela a permis la formation du siècle. Nous, on est déjà en 2017 et on va devoir prendre encore 15 ans à dire adieu aux grandes figures du siècle passé. »
Muray : « Rien n'est plus dangereux que l'Avant-gardiste acculé dans ses retranchements dorés. Ce ne sont pas des valeurs qu'il défend, ce sont des intérêts. “L’esprit de notre temps est celui d'une société dont le moindre soupir se veut déjà culture”, constate encore Duteurtre.
“Ce que l'État encourage dépérit, ce qu'il protège meurt”, disait Paul-Louis Courier. L'Etat détruit tout ce qu'il approuve ; il lui a même suffi, récemment, de créer un Musée des tags pour que ceux-ci disparaissent presque aussitôt du paysage urbain. Qui pourrait désirer vraiment quelque chose que l'État désire ?
Qu'on le veuille ou non, qu'on s'en réjouisse ou pas, c'est le raï et le rap qui innovent, non les chercheurs ircamiens. Il y a toujours plus de sensibilité dans trois phrases de Prévert que dans l'oeuvre entière de René Char, cacographe officiel. Marcel Aymé reste lisible, non Claude Simon ou Duras. Et tout le reste à l'avenant. Le “nouveau” lui-même est une vieille habitude qui commence à se perdre. »
Le premier titre des _Particules_ était « La grande mutation ». Si Houellebecq a refusé, c’est peut-être parce que le titre est trop programmatique du programme romanesque lui-même : un grand roman doit par définition faire état d’une grande mutation ; dans la façon de voir/sentir, ou dans les événements politico-sociaux eux-mêmes ; et idéalement les deux sont liés. cf. Proust et Céline.
Pour prévoir le futur, il suffit d’observer la Californie : « Aujourd'hui, un seul État a rendu obligatoire la castration chimique pour les pédophiles récidivistes : la Californie, depuis 1996. »
L’alcoolisme a baissé en France en même temps que la consommation d’anxiolytiques augmentait. On leur donne des anxiolytiques qui entraînent une dépression qu'on combat avec des antidépresseurs, qui aggravent la dépression sur la durée et génèrent des comportements suicidaires.
L’extase c’est ce qui me rend égal à tous les autres ; dans la foule, la fête ou l’orgasme, je perd mon identité. On n’y trouve pas le bonheur, mais la fusion.
Nozick : « Le canevas d’utopie que nous avons décrit est équivalent à l’État minimal. L’État minimal nous traite comme des individus inviolés, qui ne peuvent pas être utilisés de certaines façons par d’autres, comme moyens, outils, instruments, ou ressources. Nous traitant avec respect et respectant nos droits, il nous permet individuellement ou avec ceux que nous choisissons, de choisir notre vie et de réaliser nos desseins et notre conception de nous-mêmes, dans la mesure où nous pouvons le faire, aidés par la coopération volontaire d’autres individus possédant la même dignité. Comment un État ou un groupe d’individus ose-t-il en faire plus ? Ou moins ? »
La modération est préférable à l’hypocrisie.
Dewey et Foucault partagent un même « perspectivisme » sur l'histoire des sciences et des sciences sociales en particulier. Ils défendent tous les deux l'intuition de Nietzsche que le mensonge le plus long est celui d'une nature (Dieu, la Science, la Vérité…) sous-jacente qui puisse venir nous sauver. Mais Rorty est du côté de Dewey car son discours défend un plus grand pluralisme. Dewey ne pense pas que l'homme soit livré à lui-même (sans solidarité humaine) une fois les grands concepts de Dieu ou du Prolétariat disparus : les valeurs bourgeoises continuent bien d'exercer une solidarité. Or le soupçon général de Foucault ne donne aucune réponse à cela, ni ne l’explique.
_L’Anti-nature,_ de Rosset : Rousseau fuit le déguisement, et l'artifice. Des Esseintes hait la nature car elle n'est justement pas solide et monumentale, contrairement à ce qu'on prétend. Il pourrait dire : donnez moi de la vraie nature et j'oublie l'artifice. L'état de délabrement de la nature en appelle donc à l'artifice.
Contre la mort de l’auteur chez Barthes et Foucault : Kundera intervient dans le roman, en cela on ne pourrait pas imaginer que son texte circule sans l'auteur comme le souhaite Foucault/Barthes en réaction à l'individualisme bourgeois qui a inventé l'auteur (pour se faire plaisir entre soi, entre bourgeois.) Cela rappelle l'anonymat obligatoire du totalitarisme bien sûr… Tuer l'individu bourgeois c'est faire de nous tous des esclaves.
Houellebecq : « Et maintenant, j’étais là, seul comme un connard, à quelques mètres du guichet XYZ. Pour dire les choses crûment, ce que je souhaite au fond, c’est pratiquer le tourisme. »
L’ironie est une attitude strictement européenne, les seuls Américains à pratiquer cet art—et encore dans des dimensions communautaires, donc limitées—sont les Juifs de la côte Est, mais pourquoi donc ? Faut-il être du _côté de l’échec_ ?
Histoire de la virilité :
Au contraire du XIXe, on ne dit pas que le sexe épuise le corps ; on est, à l’inverse, inquiet car on ne fait pas assez l’amour. À partir de 1970, le fait de réussir sexuellement est associé au succès, à l'équilibre et à la force. Naissance concomitante de la sexologie. La sexualité conçue comme un sport d'endurance.
Les femmes tondues à la libération : honte des hommes d'avoir subi la défaite, d'avoir laissé rentrer les nazis dans leur intérieur. On tond les femmes, alors qu’on leur donne le droit de vote. (Haine-de-soi de l’homme occidental ?)
dimanche 27 août 2017
Chronique XVII
Films : Apaches (2012 ; drôles d’accents en Corse). The Overnight (2015 ; comédie des Duplass). Les derniers parisiens (2016 ; belle exploration du quartier Pigalle). Tonnerre (2013, seconde vision, décevant). Une femme fantastique (2017, être transsexuel en Argentine : c’est pas drôle). Planète des singes 3 (2017, aucun intérêt). Une vie violente (film corse, moins bien que le Parrain etc.) 120 battements (2017, sans intérêt). Gifted (2017, aucun intérêt).
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Juger de la qualité d’une œuvre par la vitesse de la narration, ou le brassage comme valeur esthétique. La vitesse comme valeur en soi. Viser ce seuil (cette intensité) où « la quantité » en arrive à changer « la qualité ». cf. Hegel etc.
À propos de Desplechin, je prétends : Ses films ne m’appartiennent pas, mais j’appartiens à ses films, comme l’un de ses personnages.
Houellebecq découvre, en recevant le prix de Flore, accoudé à la balustrade avec Sorin, et alors qu’un photographe prend une photo de lui et qu’il émet un petit rictus… il découvre une manière de vivre qui lui convient. Il sera une star, réalise-t-il.
Depuis Hegel on considère tout type de travail comme « une œuvre » alors que c'est faux, le travail manufacturé est soumis à une logique de production et n’a rien à voir avec la réalisation personnelle de toutes les personnes incluses dans le process. Hegel veut nous faire croire que le travail—e.g la production—est la chose « la plus humaine » qui soit ; tout acte de production serait une forme d’expression personnelle ; le « seul mode de communication sociale » serait même la production d'objets ou de services. (Le travail serait un moyen de réaliser tous nos désirs.) Confusion facile entre le fait de peindre, de lire, d’apprendre, d’écrire… et le travail inséré dans un cycle production-consommation.
Aujourd’hui, la lutte contre l'exclusion sociale passe par le travail. C'est devenu le premier moteur de la reconnaissance.
Le dandy est celui qui n’attribue pas au travail sa valeur de reconnaissance sociale—parce qu’il a la chance d’évoluer dans des sphères où 1) la sociabilité, 2) la reconnaissance et 3) le sentiment de réalisation personnelle passent par autre chose. Il sait pertinemment que ce qu’il y a « de plus humains » ne veut rien dire ou, en tout cas, n’a rien à voir avec le travail—mais plutôt avec la contemplation, la jouissance, la quête du sublime, la pratique artistique… (qui, si elle demande un effort énorme, n’a rien à voir avec la pénibilité du travail). Le dandy se réalise par autre chose, et il ne communique pas à travers le cycle production-consommation… L’égalité travail = œuvre est bancale : tout travail n’engage pas notre réalisation personnelle.
Ambiguïté du freelancing : à la fois l’acmé du « travail = œuvre » (ou travail comme réalisation de soi) car le freelance délivre un produit/service à lui tout seul. Mais c’est aussi une manière de sortir du « travail = inclusion sociale », car il n’y a plus de collègues. Le freelancing fait-il que tout acte de production est effectivement un acte d’expression ? Ou à l’inverse, le freelancing aggrave le cas du « travail ≠ œuvre », car le freelance se soumet au cahier des charges d’un autre ; il n’a même plus aucun contact avec autre chose que sa mission.
Que faire ? 1) Faire que l’on travaille moins en général ou 2) faire que le travail ressemble plus à une œuvre, e.g que de plus en plus de monde parviennent (effectivement) à se réaliser au travail. Le freelancing serait-il un mode de responsabilisation de masse ? La croissance des side-projects (ou des associations du weekend, ou des clubs de lecture…) sont des modes de « communication sociale » non-liés au travail ; mais dont, parfois, aux USA notamment, on peut dire qu’ils s’intègrent là-encore dans le cycle production-consommation.
De fait, ce que regrettent les critiques réactionnaires du travail, c’est la contemplation solitaire du poète… ou plutôt, plus généralement, des activités qui ignoreraient les « désirs » de la population ; des activités autistes, e.g non-marchandes. Ils veulent s’interdire de pactiser avec l’époque—car les grands artistes sont à contre-courant d’une époque, e.g des consommateurs. Ce qu’ils détestent dans la production, c’est le fait que cela répond à « un besoin » de leurs contemporains.
Constat tragique : se plaindre de la « reconnaissance » est un problème qui se pose après que le taux de mortalité infantile, et le niveau de vie en général, se sont stabilisés. Il faut donc reposer la question : à partir du moment où l’on peut arrêter de travailler—ce qui est plus ou moins le cas aujourd’hui—quid du travail comme 1) sociabilité et 2) forme d’expression personnelle.
Pourquoi allait-on au travail ? Parce qu’on n’avait pas le choix. Certes…
« Les femmes chez Houellebecq sont obsolescentes. Elles surgissent pour mourir. Il est seul sur son île. »
Taddéi : « Avant, on ricanait quand on parlait de religion, et on parlait sérieusement de politique. C’est aujourd’hui l’inverse : on parle sérieusement de religion et on ricane quand on parle politique. »
Ce qui me déplaît c'est finalement que rien ne se déplie dans la peinture. Tout est déjà là dès la première seconde. Seules des « explications » peuvent venir complexifier l'expérience… mais l'expérience en tant que telle est terminée. Le roman laisse du temps à l'œuvre de se complexifier « en tant qu'oeuvre. »
Dans un musée on préfère regarder les spectateurs plutôt que les toiles. Notamment les gens vulgaires, portant un t-shirt GTA, au crâne rasé, devant les toiles de pop art.
Stendhal passe d'une géographie abstraite à une géographie vécue—quand le narrateur décrit les bruits qu'on entend à l'entrée d'une ville, après l'avoir localisée abstraitement.
Flaubert sur le comique dans Bouvard : « Mettre en scène des idées, comme de petits drames, mis en mouvement comme des personnages. »
Partout chez lui, c’est l’homme & la femme désœuvrés. Il n’y a pas de grands malheurs dans la vie des héros—et d’ailleurs les autres personnages ne les comprennent pas quand Frédéric ou Bovary se plaignent—mais les héros ne savent pas quoi faire, ils s’ennuient, ils fantasment de vies plus intenses que la leur ; de la vie des romans (aujourd’hui, de la télé-réalité, etc.)
« Mieux vaut l'exubérance que le goût. » dans _l’Éducation sentimentale._
J’ai l’impression que le romancier écrit pour le futur, comme l’ethnologue des clichés d’une époque ; quand le cinéaste, beaucoup moins. Ce qui étonne, car le cinéaste capte des images d’un temps présent (qui deviendra le temps passé) ; images qu’il est si difficile de reconstituer à l’écrit. Mais le romancier capte les clichés et, de fait, on comprend peut-être mieux une époque en connaissant ses clichés, ses atteintes faites aux mœurs, ses rêves de grandeur, ses damnés, ses mythes, ses ennemis, ses tabous… qu’en en observant seulement les habits, l’architecture, etc. Comment mieux dépeindre ce qu’était un étudiant petit-bourgeois en 1850’s que Flaubert, qui nous décrit les rêves, l’ennui, les aspirations, les clichés, les « attitudes originales », les tendances de fonds et les tendances émergentes, de ces années-là. (Ce qu’il faut penser, ce qu’il faut faire ; l’attitude à avoir ; les mots à utiliser… tous ces détails qui donne la matière de notre vie quotidienne, pour nous qui y vivons. Flaubert nous décrit un monde où il est plus grave d’appeler une dame par son prénom que de véhiculer des clichés sur les Juifs… par exemple…)
Ce qui sépare le bon romancier du mauvais, c’est à quel point celui-ci est conscient du fait qu’il véhicule les clichés de son temps. Par définition, un auteur communique quelque chose de son époque, mais le mauvais le fera sans s’en apercevoir, quand le bon aura le souci d’ironiser, d’en montrer l’aspect contingent, déterminé, construit ; bref d’en montrer les codes. C’est pourquoi il faut juger le roman à l’aune de l’humour, c’est-à-dire de la méchanceté avec laquelle l’auteur traite de ses contemporains. La méchanceté étant l’inverse de la complaisance ; d’où ma réticence pour Céline qui, parfois, insensiblement, se complait dans sa misère et sauve quelques uns de ses personnages ; d’où aussi ma franche détestation de Beckett qui aime et défend ses personnages comme de petits Christs.
Etre absolument certain de son génie permet de se comporter comme un artiste déjà accompli, c’est-à-dire être _décadent_ plutôt que _moralisateur_ ; comme le sont les jeunes artistes (cf. l’épisode de Girls qui confronte Hannah à un auteur reconnu).
Ne plus avoir aucune conviction (cf. Taddéi), et écrire un livre comme on écrirait le dernier… comme d’Ormesson, un vieux mourant, qui continue d’écrire par pur plaisir, sans ne ressentir aucune obligation morale ; ou comme Houellebecq, ou encore les « hussards », qui écrivent avec insolence, sans aucun respect pour les Belles Lettres.
L’insolence, afin de ne jamais tenir des propos aussi ridicules (concernant « la littérature ») que FAF—propos d’une naïveté désolante, qui sont pleinement bêtes (même si ces gens citent Flaubert partout !…) car ils n’ont aucune ironie. Ces gens-là, FAF et les autres, ont lu Sartre et tous les autres, mais ils n’y comprennent rien ; ils laissent les « belles phrases » dans les livres plutôt que de s’en servir ; ce n’est pourtant pas difficile du tout. Ils sont pleinement sérieux, et ne se remettent jamais en question, ni ne prennent le recul nécessaire pour—a minima—rire de leur propre position, pour _désamorcer_ à l’avance notre petitesse d’êtres humains.
Tout cela pour revenir à la même idée, fuir absolument l’esprit de sérieux, et lui préférer la légèreté, jusqu’à toucher la folie—car nier absolument tous les discours, toutes les « nécessités », nous rapproche toujours un peu plus du gouffre. Vivre en ironiste est proprement insoutenable, cf. Rorty, Kundera…
« Tend moi la joue, ‘faut bien que je m’essuie. » Damso
Écrire le roman « classique » d’une racaille de banlieue, hyper-violente, mais banale. Un _American Psycho_ plus subversif encore ; avec tout le discours sur la victimisation. Un _La haine_ contemporain. Avec, comme en contre-point, l’histoire de sa famille, de ses parents et grands-parents—qui vécurent des misères, la guerre, le colonialisme ; et montrer à travers cela le changement du regard de « la société » sur les Arabes, e.g sur les victimes. (On peut ajouter le parcours intellectuel de gauche d’une bobo qui s’entiche de cette racaille, et de la récupération « nationale » à la E&R ; cf. Bouvard.) Raconter la tournante, l’anti-sémitisme, le tribalisme, un peu de poésie aussi (tribalisme, passion, adrénaline), les dealers, la prison, la CAF, le monoparental, l’islamisation. Je vois bien un roman écrit à la manière du _Hussard bleu_ avec plusieurs personnages qui s’entre-croisent, le fils, la mère, le père, la bobo, le riche du XVIe qui l’utilise comme dealer… peut-être un peu cliché !…
Avant Flaubert, la bêtise est simplement considérée comme un « défaut d’éducation » aisément traitable par la connaissance. C’est Flaubert qui comprend que la bêtise ne diminuera pas avec la technique, les sciences, la modernité, le progrès… et peut-être même qu’au contraire, elle ne fera que croître. La bêtise ne se soigne pas, et surtout pas par l’érudition… au contraire, elle risque de s’aggraver. (Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut rien y faire, mais il faut être prêt à affronter la l’humanité dans sa bassesse, ce que font Bouvard et Pécuchet avec tant d’efforts, tant de résignation… mais in fine ils y parviennent !… ils retournent à la copie.)
« Je rêve d'un monde où les écrivains seraient obligés par la loi de garder secrète leur identité et d'employer des pseudonymes. Trois avantages : limitation radicale de la graphomanie ; diminution de l'agressivité dans la vie littéraire ; disparition de l'interprétation biographique d'une oeuvre. » nous dit Kundera. (Même si, de fait, je ne suis pas assez radical, ou dandy, pour être entièrement d’accord car, comme Houellebecq, je pense que la manière de vivre qu’est le fait d’être « une star » peut convenir à certains d’entre nous… je veux dire, par rapport au suicide…)
« On en peut pas me laisser déprimer tranquillement » dit Houellebecq à propos d’Extension ; inspiré par _L’homme qui dort_ de Perec où, là, le narrateur déprime mais n’a pas besoin d’aller au travail !…
_Les Particules _considère comme un « fait historique » l’histoire depuis 1945 ; certains furent énervés de se voir ainsi étudiés ; ils pensaient pouvoir échapper à l’analyse historique de ce qui a eu lieu depuis soixante ans, la naissance de la consommation, la nouvelle morale, etc. (Quel sujet aborder de façon historique aujourd’hui, sujet qui n’a jamais été traité, même pas par les historiens…)
« Les animaux sacrifient leur vie, sans hésiter, pour un rapport sexuel. » « Il doit y avoir une limite à l’action de la civilisation sur l’homme—le déterminisme biologique reste encore très puissant. » « Limiter l’opération biologique sur l’homme me paraît d’un conservatisme exagéré. »
« What are you optimizing your life for? »
Impressionné par le niveau de _La vie est ailleurs_ de Kundera. Roman d’une puissance folle ; notamment par sa postface (rédigée par un Français) qui en explique—ou plutôt en confirme—la radicalité de son intention : décrire la poésie comme un aveuglement. La poésie, plus que l’art moderne qui est sauvé, à un certain moment, est littéralement assimilé à une idiotie ; à l’idiot utile de tout régime totalitaire. C’est la phrase de Rimbaud, sur l’absolument moderne, qui fait faire des horreurs aux poètes, qui leur fait écrire des vers pendant qu’on enferme les autres. La postface décrit cette violence : la poésie comme supercherie totale, l’innocence « lyrique » comme un chemin paisible (mais inébranlable) vers la complicité d’avec l’horreur. Le héros de Kundera—Jaromil—est un homme niais, convaincu d’avoir du talent, une vie intérieure ; convaincu par un partisan de l’art moderne (qui finira en prison, ironie de l’histoire) de la puissance de sa vie intérieure, de son intuition.
Les pages que je préfère sont celles où Kundera montre en direct la supercherie de « la création artistique » : comment le personnage du peintre (le mentor) décèle de l’intuition, de l’art brut, de l’inconscient à l’œuvre, derrière des explications simples et banales. (L’enfant ne dessine que des femmes nues sans têtes afin d’y glisser la photo d’une camarade…) Et, le plus beau, c’est le fait que le petit enfant y croit, il est bien obligé d’y croire, quand on lui dit qu’il est « l’élu », quand on lui parle de son puissant inconscient.
Puissance incroyable aussi des pages où Kundera admet que la poésie de ces années-là n’est pas forcément « mauvaise » (contrairement aux romans) car la poésie n’admet pas la contradiction ; tout ce qu’elle énonce est vraie, par définition. C’est en cela que la poésie est un art adolescent.
De belles pages aussi, peut-être plus convenues, sur le fait que Jaromil ne plus de la valeur qu’à ce qui est simple, compris de tous—par sa « simple » amante rousse notamment—et appelle cela le moderne. L’art moderne conduit inexorablement à sa subversion, à l’art socialiste, à l’emprisonnement des artistes eux-mêmes. La passion de la révolution, de la table-rase, etc.
Jaromil, comme Bovary, est une pure victime ; et Kundera comme Flaubert tendent un piège à leur petit personnage, bien standard. La mère de Jaromil, intimidée par le peintre-mentor, incapable de comprendre les vers libres, est certes drôle, notamment dans les moments où l’intimité avec son fils se fait un peu trop sentir, et frise l’inceste, mais plus convenu.
En lisant _Les rameaux noirs_ de Liberati, je réalise que je prends un peu de plaisir à lire ce livre alors que je déteste tout ce qu’il s’y raconte. Liberati est genre de poète que je déteste, catholique, citant de Maistre partout, et Aragon, Breton… Bref, du lyrisme à chaque page, des fêtes, des filles, de la drogue ; tout ce que je hais profondément comme manière de vivre. Mais Liberati parvient à écrire un livre qui me touche (un peu…) par son inadéquation totale avec mes valeurs : voilà tout ce à quoi je ne crois pas, résumé en un livre paru aujourd’hui… et cela me donne finalement pas mal d’informations sur moi-même ; peut-être même plus qu’un livre qui me serait proche.
Kundera : si la situation kafkaïenne peut paraître drôle vue de l’extérieur, elle capture la victime « dans les entrailles d’une blague, dans «l’horrible du comique. » Chez Kafka, la souffrance des personnages ne vient pas de leur isolement, mais du viol de leur solitude et de leur intimité. Les personnages de Kafka sont des intellectuels, rarement des artistes, qui agonisent aux prises avec la vie. Ils se débattent dans leur impuissance à contrôler leur existence. Ils s’acharnent à expliquer de manière tragicomique leurs responsabilités et leurs fautes, terrassés par la culpabilité. Ces êtres inventés sont autant de manifestations de l’image que Kafka avait de lui-même et de son monde imaginaire.
Kundera : L’ironie dans un roman, c’est d’admettre qu’aucune phrase, aucun énoncé, ne vaut par lui-même ; mais que les phrases sont juxtaposées, qu’elles s’éclairent les unes et les autres. Les phrases sont en contradiction avec d’autres phrases, avec des gestes, des idées, des situations du roman ; elles ne valent pas pour elles-mêmes. L’ironie c’est une affaire de connexion entre les phrases, sans lesquelles le sens du roman nous échappe.
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Juger de la qualité d’une œuvre par la vitesse de la narration, ou le brassage comme valeur esthétique. La vitesse comme valeur en soi. Viser ce seuil (cette intensité) où « la quantité » en arrive à changer « la qualité ». cf. Hegel etc.
À propos de Desplechin, je prétends : Ses films ne m’appartiennent pas, mais j’appartiens à ses films, comme l’un de ses personnages.
Houellebecq découvre, en recevant le prix de Flore, accoudé à la balustrade avec Sorin, et alors qu’un photographe prend une photo de lui et qu’il émet un petit rictus… il découvre une manière de vivre qui lui convient. Il sera une star, réalise-t-il.
Depuis Hegel on considère tout type de travail comme « une œuvre » alors que c'est faux, le travail manufacturé est soumis à une logique de production et n’a rien à voir avec la réalisation personnelle de toutes les personnes incluses dans le process. Hegel veut nous faire croire que le travail—e.g la production—est la chose « la plus humaine » qui soit ; tout acte de production serait une forme d’expression personnelle ; le « seul mode de communication sociale » serait même la production d'objets ou de services. (Le travail serait un moyen de réaliser tous nos désirs.) Confusion facile entre le fait de peindre, de lire, d’apprendre, d’écrire… et le travail inséré dans un cycle production-consommation.
Aujourd’hui, la lutte contre l'exclusion sociale passe par le travail. C'est devenu le premier moteur de la reconnaissance.
Le dandy est celui qui n’attribue pas au travail sa valeur de reconnaissance sociale—parce qu’il a la chance d’évoluer dans des sphères où 1) la sociabilité, 2) la reconnaissance et 3) le sentiment de réalisation personnelle passent par autre chose. Il sait pertinemment que ce qu’il y a « de plus humains » ne veut rien dire ou, en tout cas, n’a rien à voir avec le travail—mais plutôt avec la contemplation, la jouissance, la quête du sublime, la pratique artistique… (qui, si elle demande un effort énorme, n’a rien à voir avec la pénibilité du travail). Le dandy se réalise par autre chose, et il ne communique pas à travers le cycle production-consommation… L’égalité travail = œuvre est bancale : tout travail n’engage pas notre réalisation personnelle.
Ambiguïté du freelancing : à la fois l’acmé du « travail = œuvre » (ou travail comme réalisation de soi) car le freelance délivre un produit/service à lui tout seul. Mais c’est aussi une manière de sortir du « travail = inclusion sociale », car il n’y a plus de collègues. Le freelancing fait-il que tout acte de production est effectivement un acte d’expression ? Ou à l’inverse, le freelancing aggrave le cas du « travail ≠ œuvre », car le freelance se soumet au cahier des charges d’un autre ; il n’a même plus aucun contact avec autre chose que sa mission.
Que faire ? 1) Faire que l’on travaille moins en général ou 2) faire que le travail ressemble plus à une œuvre, e.g que de plus en plus de monde parviennent (effectivement) à se réaliser au travail. Le freelancing serait-il un mode de responsabilisation de masse ? La croissance des side-projects (ou des associations du weekend, ou des clubs de lecture…) sont des modes de « communication sociale » non-liés au travail ; mais dont, parfois, aux USA notamment, on peut dire qu’ils s’intègrent là-encore dans le cycle production-consommation.
De fait, ce que regrettent les critiques réactionnaires du travail, c’est la contemplation solitaire du poète… ou plutôt, plus généralement, des activités qui ignoreraient les « désirs » de la population ; des activités autistes, e.g non-marchandes. Ils veulent s’interdire de pactiser avec l’époque—car les grands artistes sont à contre-courant d’une époque, e.g des consommateurs. Ce qu’ils détestent dans la production, c’est le fait que cela répond à « un besoin » de leurs contemporains.
Constat tragique : se plaindre de la « reconnaissance » est un problème qui se pose après que le taux de mortalité infantile, et le niveau de vie en général, se sont stabilisés. Il faut donc reposer la question : à partir du moment où l’on peut arrêter de travailler—ce qui est plus ou moins le cas aujourd’hui—quid du travail comme 1) sociabilité et 2) forme d’expression personnelle.
Pourquoi allait-on au travail ? Parce qu’on n’avait pas le choix. Certes…
« Les femmes chez Houellebecq sont obsolescentes. Elles surgissent pour mourir. Il est seul sur son île. »
Taddéi : « Avant, on ricanait quand on parlait de religion, et on parlait sérieusement de politique. C’est aujourd’hui l’inverse : on parle sérieusement de religion et on ricane quand on parle politique. »
Ce qui me déplaît c'est finalement que rien ne se déplie dans la peinture. Tout est déjà là dès la première seconde. Seules des « explications » peuvent venir complexifier l'expérience… mais l'expérience en tant que telle est terminée. Le roman laisse du temps à l'œuvre de se complexifier « en tant qu'oeuvre. »
Dans un musée on préfère regarder les spectateurs plutôt que les toiles. Notamment les gens vulgaires, portant un t-shirt GTA, au crâne rasé, devant les toiles de pop art.
Stendhal passe d'une géographie abstraite à une géographie vécue—quand le narrateur décrit les bruits qu'on entend à l'entrée d'une ville, après l'avoir localisée abstraitement.
Flaubert sur le comique dans Bouvard : « Mettre en scène des idées, comme de petits drames, mis en mouvement comme des personnages. »
Partout chez lui, c’est l’homme & la femme désœuvrés. Il n’y a pas de grands malheurs dans la vie des héros—et d’ailleurs les autres personnages ne les comprennent pas quand Frédéric ou Bovary se plaignent—mais les héros ne savent pas quoi faire, ils s’ennuient, ils fantasment de vies plus intenses que la leur ; de la vie des romans (aujourd’hui, de la télé-réalité, etc.)
« Mieux vaut l'exubérance que le goût. » dans _l’Éducation sentimentale._
J’ai l’impression que le romancier écrit pour le futur, comme l’ethnologue des clichés d’une époque ; quand le cinéaste, beaucoup moins. Ce qui étonne, car le cinéaste capte des images d’un temps présent (qui deviendra le temps passé) ; images qu’il est si difficile de reconstituer à l’écrit. Mais le romancier capte les clichés et, de fait, on comprend peut-être mieux une époque en connaissant ses clichés, ses atteintes faites aux mœurs, ses rêves de grandeur, ses damnés, ses mythes, ses ennemis, ses tabous… qu’en en observant seulement les habits, l’architecture, etc. Comment mieux dépeindre ce qu’était un étudiant petit-bourgeois en 1850’s que Flaubert, qui nous décrit les rêves, l’ennui, les aspirations, les clichés, les « attitudes originales », les tendances de fonds et les tendances émergentes, de ces années-là. (Ce qu’il faut penser, ce qu’il faut faire ; l’attitude à avoir ; les mots à utiliser… tous ces détails qui donne la matière de notre vie quotidienne, pour nous qui y vivons. Flaubert nous décrit un monde où il est plus grave d’appeler une dame par son prénom que de véhiculer des clichés sur les Juifs… par exemple…)
Ce qui sépare le bon romancier du mauvais, c’est à quel point celui-ci est conscient du fait qu’il véhicule les clichés de son temps. Par définition, un auteur communique quelque chose de son époque, mais le mauvais le fera sans s’en apercevoir, quand le bon aura le souci d’ironiser, d’en montrer l’aspect contingent, déterminé, construit ; bref d’en montrer les codes. C’est pourquoi il faut juger le roman à l’aune de l’humour, c’est-à-dire de la méchanceté avec laquelle l’auteur traite de ses contemporains. La méchanceté étant l’inverse de la complaisance ; d’où ma réticence pour Céline qui, parfois, insensiblement, se complait dans sa misère et sauve quelques uns de ses personnages ; d’où aussi ma franche détestation de Beckett qui aime et défend ses personnages comme de petits Christs.
Etre absolument certain de son génie permet de se comporter comme un artiste déjà accompli, c’est-à-dire être _décadent_ plutôt que _moralisateur_ ; comme le sont les jeunes artistes (cf. l’épisode de Girls qui confronte Hannah à un auteur reconnu).
Ne plus avoir aucune conviction (cf. Taddéi), et écrire un livre comme on écrirait le dernier… comme d’Ormesson, un vieux mourant, qui continue d’écrire par pur plaisir, sans ne ressentir aucune obligation morale ; ou comme Houellebecq, ou encore les « hussards », qui écrivent avec insolence, sans aucun respect pour les Belles Lettres.
L’insolence, afin de ne jamais tenir des propos aussi ridicules (concernant « la littérature ») que FAF—propos d’une naïveté désolante, qui sont pleinement bêtes (même si ces gens citent Flaubert partout !…) car ils n’ont aucune ironie. Ces gens-là, FAF et les autres, ont lu Sartre et tous les autres, mais ils n’y comprennent rien ; ils laissent les « belles phrases » dans les livres plutôt que de s’en servir ; ce n’est pourtant pas difficile du tout. Ils sont pleinement sérieux, et ne se remettent jamais en question, ni ne prennent le recul nécessaire pour—a minima—rire de leur propre position, pour _désamorcer_ à l’avance notre petitesse d’êtres humains.
Tout cela pour revenir à la même idée, fuir absolument l’esprit de sérieux, et lui préférer la légèreté, jusqu’à toucher la folie—car nier absolument tous les discours, toutes les « nécessités », nous rapproche toujours un peu plus du gouffre. Vivre en ironiste est proprement insoutenable, cf. Rorty, Kundera…
« Tend moi la joue, ‘faut bien que je m’essuie. » Damso
Écrire le roman « classique » d’une racaille de banlieue, hyper-violente, mais banale. Un _American Psycho_ plus subversif encore ; avec tout le discours sur la victimisation. Un _La haine_ contemporain. Avec, comme en contre-point, l’histoire de sa famille, de ses parents et grands-parents—qui vécurent des misères, la guerre, le colonialisme ; et montrer à travers cela le changement du regard de « la société » sur les Arabes, e.g sur les victimes. (On peut ajouter le parcours intellectuel de gauche d’une bobo qui s’entiche de cette racaille, et de la récupération « nationale » à la E&R ; cf. Bouvard.) Raconter la tournante, l’anti-sémitisme, le tribalisme, un peu de poésie aussi (tribalisme, passion, adrénaline), les dealers, la prison, la CAF, le monoparental, l’islamisation. Je vois bien un roman écrit à la manière du _Hussard bleu_ avec plusieurs personnages qui s’entre-croisent, le fils, la mère, le père, la bobo, le riche du XVIe qui l’utilise comme dealer… peut-être un peu cliché !…
Avant Flaubert, la bêtise est simplement considérée comme un « défaut d’éducation » aisément traitable par la connaissance. C’est Flaubert qui comprend que la bêtise ne diminuera pas avec la technique, les sciences, la modernité, le progrès… et peut-être même qu’au contraire, elle ne fera que croître. La bêtise ne se soigne pas, et surtout pas par l’érudition… au contraire, elle risque de s’aggraver. (Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut rien y faire, mais il faut être prêt à affronter la l’humanité dans sa bassesse, ce que font Bouvard et Pécuchet avec tant d’efforts, tant de résignation… mais in fine ils y parviennent !… ils retournent à la copie.)
« Je rêve d'un monde où les écrivains seraient obligés par la loi de garder secrète leur identité et d'employer des pseudonymes. Trois avantages : limitation radicale de la graphomanie ; diminution de l'agressivité dans la vie littéraire ; disparition de l'interprétation biographique d'une oeuvre. » nous dit Kundera. (Même si, de fait, je ne suis pas assez radical, ou dandy, pour être entièrement d’accord car, comme Houellebecq, je pense que la manière de vivre qu’est le fait d’être « une star » peut convenir à certains d’entre nous… je veux dire, par rapport au suicide…)
« On en peut pas me laisser déprimer tranquillement » dit Houellebecq à propos d’Extension ; inspiré par _L’homme qui dort_ de Perec où, là, le narrateur déprime mais n’a pas besoin d’aller au travail !…
_Les Particules _considère comme un « fait historique » l’histoire depuis 1945 ; certains furent énervés de se voir ainsi étudiés ; ils pensaient pouvoir échapper à l’analyse historique de ce qui a eu lieu depuis soixante ans, la naissance de la consommation, la nouvelle morale, etc. (Quel sujet aborder de façon historique aujourd’hui, sujet qui n’a jamais été traité, même pas par les historiens…)
« Les animaux sacrifient leur vie, sans hésiter, pour un rapport sexuel. » « Il doit y avoir une limite à l’action de la civilisation sur l’homme—le déterminisme biologique reste encore très puissant. » « Limiter l’opération biologique sur l’homme me paraît d’un conservatisme exagéré. »
« What are you optimizing your life for? »
Impressionné par le niveau de _La vie est ailleurs_ de Kundera. Roman d’une puissance folle ; notamment par sa postface (rédigée par un Français) qui en explique—ou plutôt en confirme—la radicalité de son intention : décrire la poésie comme un aveuglement. La poésie, plus que l’art moderne qui est sauvé, à un certain moment, est littéralement assimilé à une idiotie ; à l’idiot utile de tout régime totalitaire. C’est la phrase de Rimbaud, sur l’absolument moderne, qui fait faire des horreurs aux poètes, qui leur fait écrire des vers pendant qu’on enferme les autres. La postface décrit cette violence : la poésie comme supercherie totale, l’innocence « lyrique » comme un chemin paisible (mais inébranlable) vers la complicité d’avec l’horreur. Le héros de Kundera—Jaromil—est un homme niais, convaincu d’avoir du talent, une vie intérieure ; convaincu par un partisan de l’art moderne (qui finira en prison, ironie de l’histoire) de la puissance de sa vie intérieure, de son intuition.
Les pages que je préfère sont celles où Kundera montre en direct la supercherie de « la création artistique » : comment le personnage du peintre (le mentor) décèle de l’intuition, de l’art brut, de l’inconscient à l’œuvre, derrière des explications simples et banales. (L’enfant ne dessine que des femmes nues sans têtes afin d’y glisser la photo d’une camarade…) Et, le plus beau, c’est le fait que le petit enfant y croit, il est bien obligé d’y croire, quand on lui dit qu’il est « l’élu », quand on lui parle de son puissant inconscient.
Puissance incroyable aussi des pages où Kundera admet que la poésie de ces années-là n’est pas forcément « mauvaise » (contrairement aux romans) car la poésie n’admet pas la contradiction ; tout ce qu’elle énonce est vraie, par définition. C’est en cela que la poésie est un art adolescent.
De belles pages aussi, peut-être plus convenues, sur le fait que Jaromil ne plus de la valeur qu’à ce qui est simple, compris de tous—par sa « simple » amante rousse notamment—et appelle cela le moderne. L’art moderne conduit inexorablement à sa subversion, à l’art socialiste, à l’emprisonnement des artistes eux-mêmes. La passion de la révolution, de la table-rase, etc.
Jaromil, comme Bovary, est une pure victime ; et Kundera comme Flaubert tendent un piège à leur petit personnage, bien standard. La mère de Jaromil, intimidée par le peintre-mentor, incapable de comprendre les vers libres, est certes drôle, notamment dans les moments où l’intimité avec son fils se fait un peu trop sentir, et frise l’inceste, mais plus convenu.
En lisant _Les rameaux noirs_ de Liberati, je réalise que je prends un peu de plaisir à lire ce livre alors que je déteste tout ce qu’il s’y raconte. Liberati est genre de poète que je déteste, catholique, citant de Maistre partout, et Aragon, Breton… Bref, du lyrisme à chaque page, des fêtes, des filles, de la drogue ; tout ce que je hais profondément comme manière de vivre. Mais Liberati parvient à écrire un livre qui me touche (un peu…) par son inadéquation totale avec mes valeurs : voilà tout ce à quoi je ne crois pas, résumé en un livre paru aujourd’hui… et cela me donne finalement pas mal d’informations sur moi-même ; peut-être même plus qu’un livre qui me serait proche.
Kundera : si la situation kafkaïenne peut paraître drôle vue de l’extérieur, elle capture la victime « dans les entrailles d’une blague, dans «l’horrible du comique. » Chez Kafka, la souffrance des personnages ne vient pas de leur isolement, mais du viol de leur solitude et de leur intimité. Les personnages de Kafka sont des intellectuels, rarement des artistes, qui agonisent aux prises avec la vie. Ils se débattent dans leur impuissance à contrôler leur existence. Ils s’acharnent à expliquer de manière tragicomique leurs responsabilités et leurs fautes, terrassés par la culpabilité. Ces êtres inventés sont autant de manifestations de l’image que Kafka avait de lui-même et de son monde imaginaire.
Kundera : L’ironie dans un roman, c’est d’admettre qu’aucune phrase, aucun énoncé, ne vaut par lui-même ; mais que les phrases sont juxtaposées, qu’elles s’éclairent les unes et les autres. Les phrases sont en contradiction avec d’autres phrases, avec des gestes, des idées, des situations du roman ; elles ne valent pas pour elles-mêmes. L’ironie c’est une affaire de connexion entre les phrases, sans lesquelles le sens du roman nous échappe.
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