Les cuistres publient des livres sur la civilisation des loisirs que sera, paraît-il, celle de l’an 2000. Pour moi, je pense au contraire qu’il n’y aura pas de valeur plus étrangère à la termitière de l’an 2000 que le loisir. La termitière de l’an 2000 - plus encore que celle de l’an 1964 - sera démocratique et collectiviste. Le loisir, lui, est d’essence aristocratique ; il est le privilège des meilleurs, donc du petit nombre.
Si je les aime [les Romains], c’est parce que la civilisation antique fut une civilisation de l’art de vivre, une civilisation de la paresse. L’idéal du monde antique fut l’otium cum dignitate. La formule est de Cicéron, mais les vers de Lucrèce sur les "divins loisirs", le traité de Sénèque sur l’oisiveté, l’œuvre d’Horace, le Satiricon de Pétrone et de nombreux autres textes témoignent qu’elle fut la devise de toute l’Antiquité classique.
N’en déplaise à nos technocrates, la civilisation de demain ne sera pas celle des loisirs, mais celle de l’image, du bruit et de la dispersion qui sont les instruments diaboliques de la fausse culture et de la crétinisation massive.
Ce qui, au contraire, caractérise notre temps, c’est l’obsession de la distraction et du divertissement, qui ne sont que des formes camouflées du travail : qu’il soit au bureau ou en "voyage organisé", l’homme moderne recherche toujours la même chose, qui est l’oubli de son vide intérieur. Avoir peur de s’ennuyer et peur d’être seul, répugner à ne rien faire, aimer l’action pour l’action, autant de signes irréfragables de médiocrité et de bassesse d’âme.