mardi 2 mai 2017

Chronique XIV

Titres : Pendant qu’ils s’amusent. Pauvre en monde. À la gauche de l’homme. À l’assaut du ciel. L’esprit bourgeois.

Pareto a raison contre Marx. Bien sûr qu’il y a des conflits, un « dialogisme » dirait Mises, mais ces conflits ont lieu entre tous pour accéder à l’aristocratie. « L’histoire est un cimetière d’aristocratie. » Les intérêts sont opposés, antagonistes, et, pour le coup, dans le champs du politique, le jeu est à somme nulle—c’est justement pour cela qu’il faut annihiler le politique, car sa dimension « conflictuelle » fait du mal  l’économie et laisse à penser que la lutte antagoniste est la même partout.

Le discours culturel est au service de l’ordre. (Oui, mais quel ordre ?)

Poétique de Dieudonné. Le rôle du narrateur dans ses sketchs. Post-modernisme. Autofiction. Distance d'avec les personnages. Présentation de ses sketchs. Le rapport du showman à ses personnages. Au pupitre. Les plateaux TV (avec accents). Rapport aux spectateurs.

En relisant _Les particules_ ce qui me choque c’est la quantité d’informations qui arrive dans la première partie (100 pages), sur toutes les familles, les histoires personnelles des uns et des autres ; par exemple le rôle du gourou charismatique dont Houellebecq nous donne une brève biographie, à lui aussi. Il y a très peu de longues scènes, tout est expédié en un paragraphe ou deux, en 100 pages on brasse l’enfance atroce puis l’adolescence de Michel et Bruno, la vie de leur famille, l’apparition d’Annabelle, la mort de la grand-mère etc. Allure sidérante du récit. La première occurence d’une « thèse » sur la société post-industrielle et post-68 arrive au moment où Bruno pose sa main sur la cuisse d’une fille qui le repousse gentiment : deux pages sur ce que les jeunes filles doivent attendre de l’amour en 1960-70, les discours contradictoires, les magazines féminins.
À l’inverse, le début de _L’immortalité_ c’est lent, ça part tout de suite dans des considérations sur les gestes, sur l’ordinateur du Créateur, sur le paradis, sur l’unicité des Hommes, tout cela alors qu’Agnès est seulement allée au sauna un samedi matin. Les thèmes sont déjà là, Napoléon, son père, sa sœur, son mari avec qui elle veut la paix, sa détestation des femmes complices.

S’il reste de la xénophobie, c’est parce qu’il y a des personnes avec qui on ne peut rien échanger. Puisque comme le dit Voltaire, le commerce adoucit les mœurs, les « immigrés » sont détestés parce qu’ils n’ont rien à vendre ; parce qu’ils ne s’inscrivent pas dans le commerce mais dans le vol ou le du. Le problème, c’est donc l’idéologie qui a empêché certaines nations de devenir capitalistes et marchandes, donc d’avoir un rapport pacifié que seul le commerce permet de développer. Ce n’est pas en faisant des concerts de charité ou de tolérance, mais en commerçant avec les populations nord-africaines qu’on adoucira les mœurs en France. D’où la raison pour laquelle le rapport à l’Asie est pacifié, il y a du commerce. Or la grande littérature, c’est justement celle qui est la plus proche du commerce, celle qui atteint l’état de séduction absolu, l’état de ruse commerçante, cf. Rimbaud continue la poésie par d’autres moyens. C’est pour cela que l’humour compte, car l’humour nécessite le rire de l’autre, e.g la circulation et l’horizontal.

Bégaudeau sur Mick Jagger et Carrère sur K. Dick : les deux y découvrent la recette pour leurs grands succès à venir, e.g la littérature du « contenu » ; le passage par le documentaire les amènent à créer une forme neuve.

Vertical / Horizontal. L’argent est relatif. L’écriture, la littérature, la pensée, sont verticales — le verbe poétique a une valeur en-soi ; l’argent n’a pas de valeur en-soi, mais justement relativement à ce qu’en pensent les gens. « Le verbe poétique est le contraire d’un verbe de monnaie. » Entre ce qui circule et ce qui ne circule pas, cf. Badiou. Haine de la circulation. Or, la langue peut être défendue qu’à partir du moment où elle séduit le monde, cf. Célimène dans le Misanthrope. L’argent prend de la valeur quand il s’incarne (le spectacle), d’où la haine du signe extérieur de richesse. Il n’y a pas de « séduction » dans le livre.

L’immortalité, Kundera. « C’était ses contemporains, il ne les avait pas choisis. » (p. 131)

Sancho Pança et Bloom. Deux héros littéraires « moyens » et petit-bourgeois, sans « grands sentiments », sans romantisme.

Les femmes s’occupent le dimanche soir en organisant les prochaines vacances.

Le pire est peut-être l’imbécile qui se sent guéri. Il ne se remettra plus jamais en cause.

Ils nous disent « luttons contre l’homme tiède » depuis toujours, les nostalgiques des extrémistes, les anti-bourgeois.

Apprendre à ne pas travailler. Apprendre le détachement.

Maltraitance dans l’enfance. Que chacun a eu une enfance difficile. Qu'un enfant peut se croire maltraité mais en fait non. Qu'un parent puisse s'en vouloir pour rien.

L’humour consiste à rendre XYZ ambigu.

Plus que « radicale », une œuvre doit être clivante.

Debray : L'ennui c'est qu'on ne meurt pas pour un logiciel. Pas comme pour la Foi. Le génie est local. Or il n'y a plus de lieu.

Leroi-Gourhan : Penser le squelette comme un outil.

Less things is better than organized things.

Chez Beckett, la dépression rapproche d'une profondeur d’esprit. Chez Houellebecq non, il n’y a aucun lien entre les deux.

Todd visionnaire ? « La survie à long terme du Front National me paraît tout à fait aberrante. » (1988)

Baudrillard, Amérique. « La liberté c'est de circuler pour circuler. Les pauvres gens d'URSS le savent… ils ne désirent que ça, la circulation sans raison. » Agir selon la mode ou selon la morale : être libre, c'est être soumis aux modes (des vêtements à l'opinion), plutôt qu'à la morale.

Emmanuel Carrère : « Un livre où la sexualité n'a pas sa place me parait étrange. » Il faut décrire une sexualité assez banale, pour une approche sécularisé du sexe, contre le ricanement, contre la gêne, mais aussi contre la transgression que porterait en soi la sexualité, cf. Bataille. Non, la sexualité est cette chose banale, triviale, aussi triviale que de suivre l'actualité, que d'aller au travail, c'est en-nous, c'est à l'inverse de la transgression.

Pourquoi ne suis-je pas de gauche ?
Enfant du déclassement, je n’ai pas de mauvaise conscience bourgeoise, je ne voue pas de culte aux pauvres. Mais nous n’étions bien sûr pas assez pauvre pour que je devienne anti-bourgeois par ressentiment - cf. Louis et tant d'autres. Ce juste milieu est en fait assez rare parmi les intellectuels—tout simplement parce que c’est dur de se mettre à écrire pour un déclassé, castré de toutes parts, ni revanche, ni confiance en soi.

Pourquoi je ne parle pas politique ?
Le programme d'un candidat repose sur de l'argent qui est emprunté, par définition, rien n'a de sens, car on ne connait pas le montant « disponible » des caisses publiques, on ne peut donc pas comparer sur un pied d'égalité les politiques économiques — car tout repose sur du vent.
La politique est quelque chose de très violent. Les camps souhaitent exclure des Français d'autres camps : le PS veut exclure des décisions politiques des millions de gens qui votent FN, et vice-versa bien sûr.
La centralisation, l’aspect limitatif et peu représentatif de la politique est tellement loin de ce qu'est le marché économique—qui permet à des niches d'exister—que je n’y trouve que du dégoût.

Pourquoi je n’aime pas les séries TV ?
Je n'aime pas les séries car je ne sais pas à quoi me référer, c'est de l'image pure, infinie, sans contraintes formelles ou temporelles. La série TV n'est pas déjà institué comme un art, et à ce titre ne m’intéresse pas, car il n'y a pas de contraintes formelles existantes. Les mini-séries façon « Petit Quinquin » ou « True Détective », si amusantes et entertaining qu’elles soient, à quoi doivent-elles être comparées ? — À la série des « Before », ou des Doinel ?

L’éducation du pianiste ? Ce qui compte pour un musicien, c'est la technique et la mémoire. Le travail du jeune pianiste se diviser entre les répétitions de passages techniques, et la mémorisation du morceau. Certains sont meilleurs en mémorisation que d’autres, et cela les aide, alors que ce n’est pas à strictement parler un « talent musical » supérieur.

Génération 1998. Houellebecq parle, en 2006, de la génération des écrivains apparus dans les années 1990. Cela débute avec, en 1994, _Cantiques de la racaille_ (Ravalec) et _Extension._ Ensuite Houellebecq évoque la mort de Dustan (être lumineux et extrême), puis de Muray (qui n’avait peur de personne) ; ces disparitions le touchent. Il faut saluer le travail de « J’ai Lu » et « Librio » qui furent réactifs. Et bien sûr de mentionner la littérature de genre, la sci-fi et la « série noire » : même si seul Dantec y a publié, en vérité, tous furent biberonnés par cette littérature. (cf. _Sortir du XXème siècle_ du même M.H qui prédit que seul cette littérature fera date, dans l’histoire littéraire future.)
Ils auraient pu faire quelque chose vers 1998, dit Houellebecq, mais désormais en 2006 c’est trop tard ; personne n’a su succéder à Sorin chez Flammarion ; Beigbeder n’y est resté que deux ans. Cela rappelle ce dont parle Dustan dans son _Dernier roman._ Il n’arrête pas de nommer : Despentes, Angot, Ravalec, Beigbeder, Houellebecq. Il faudrait peut-être écrire un texte sur tous ces gens là.

Revel, à propos de la France : ce n’est pas qu’on préfère l’égalité à la liberté, car les USA ont plus de liberté et plus d’égalité tout à la fois (par définition). C’est qu’on tolère les inégalités faites par l’État (e.g décidées par une instance, incarnées, auprès de laquelle on peut s’indigner, donc, cf. ce que dit Hayek de la « justice sociale »), et non les inégalités produites par le marché.

Karl Kraus. Le travail du satiriste consiste à faire entendre à ses lecteurs (et, au cours des soirées de lecture, à ses auditeurs) cette corruption de la langue, à leur faire prendre conscience de l'abîme qui sépare la langue de Goethe de celle de Goebbels là où ils ne perçoivent entre les deux aucune solution de continuité. L'une des armes privilégiées de Kraus pour atteindre cet objectif est la citation.
En 1899, Kraus prend parti pour la « toute nouvelle psychologie » que Sigmund Freud est alors en train d'élaborer (L'interprétation des rêves est publié à la fin de la même année.) Ses travaux rejoignent l'un de ses combats de l'époque contre la pénalisation de l'homosexualité, et de façon plus générale en vue de dissocier la sexualité du statut d'exception où l'a reléguée la morale bourgeoise.

Le roman de Salinger introduit le monde de l’adolescence contre celui des adultes ; c’est une préfiguration du rock, du punk etc. À la fin, même son vieux professeur lui caresse les cheveux, avec un soupçon de pédophilie, et le héros s’enfuit ; c’est bien le monde adulte qui est condamné, il n’y a personne à sauver.

La sociologie est incapable de penser notre société. Il n’y a plus de classes sociales. Il n’y a plus d’habitus qui ne change deux fois en dix ans seulement. Comme la psychanalyse, la sociologie va mourir ; et c’est tant mieux.