mardi 2 mai 2017

L'esprit bourgeois 2

# Elias « Civilisation des mœurs »

C’est plus dur, dès le XVIIIème, d’accéder à la Cour en Allemagne qu’en France, pour un intellectuel issu de la bourgeoisie (Kant, Fichte). Seul Goethe a réussi à atteindre la Cour ; dont les murs sont pourtant plus hauts qu’en France. Cela explique pourquoi la tradition intellectuelle en Allemagne est restée plus proche de la classe moyenne, petit-bourgeoise, qu’en France où les intellectuels furent accueillis facilement à la Cour (Diderot, Voltaire). C’est aussi parce que la Cour en Allemagne était beaucoup plus pauvre ; et avait donc moins de « pouvoir ». (p. 47)

La Cour allemande trouvait « bourgeoise » l’attitude nationaliste, pro-allemande ; tout le monde y parle le français. Aimer l’Allemagne, au XVIIIe, c’est bon pour les instituteurs.

L’université allemande est le centre d’opposition « bourgeois » à la Cour. L’impuissance politique et économique de la bourgeoisie allemande l’oblige à se replier sur les œuvres de l’esprit, littéraire ou scientifique. (On ne leur laisse pas faire de commerce ; il s’agit donc de s’élever par l’esprit — contrairement à la bourgeoisie française.) D’où la séparation entre Kultur (l’esprit) et Zivilisation (le politique, le social). On défend la Kultur en Allemagne car ce fut longtemps le seul domaine où la bourgeoisie était libre d’opérée — à l’encontre des nobles.

Goethe admet lui même que Paris offre la possibilité qu’un jeune homme puisse avoir du talent (ex. Mérimé) car la ville rassemble tous les génies depuis des siècles. Cela est impossible en Allemagne où chacun travaille depuis sa solitude. À Paris, la conversation sert à faire passer les idées ; en Allemagne, c’est le livre.

# Youtube

Sur Youtube, la gestion du féminisme. Il y a des youtubeuses qui pensent que c’est un combat politique ; d’autres plus simplement veulent inspirer d’autres à se lancer, e.g créer de la confiance en soi pour les filles qui regardent, pour parler d’autres sujets.
Est-ce que ça met des complexes d’avoir des commentaires pervers tous les jours ?
« La meuf bonne, elle doit fermer sa gueule ; la meuf moche elle est moche donc on l’écoute même pas. »
Youtubeuse « geek et moche » ou « queer » ou « beauté » ou « la Noire qui lutte ».
Compilation des commentaires critiques dans un livre, et vente du livre au profit d’une association gauchiste.
On ne se souvient que du commentaire « mauvais », les détracteurs sont solidaires entre eux.

# Guilluy « Fractures françaises »

Les deux gros électorats, en France, ce sont 1. les fonctionnaires (gauche) et 2. les retraités (droite). Aucun d’eux ne fait face à la mondialisation. Ainsi s’explique cet espèce de bizarrerie, cette réticence à s’insérer dans le monde, ce « repli sur soi » qu’on associe à tort que au FN, mais qui touche tous les partis, bien malgré eux, e.g l’électorat.
Hier, la classe ouvrière était au cœur de l’action, des logiques politiques et culturelles, dans les villes. Aujourd’hui, les ouvriers + employés qui sont majoritaires, sont à l’écart des grandes métropoles (seule 40% de la population).
Une gauche non-protectionniste (Hollande), ou une gauche immigrationniste (Mélenchon) : voilà pourquoi Guilluy se retrouve tout seul dans son camp. Comment parler aux classes populaires sans désespérer « boboland » ?
Pour les géographes travaillant sur les villes, le terme de « classe moyenne » veut dire blanc (sans le dire).
« La classe ouvrière est tombée sur la tête de Le Pen sans qu’il ne s’en aperçoive. » C’est l’électorat qui façonne les discours, et non l’inverse. C’est le FN qui a adapté son discours. Marine Le Pen cale son discours sur un électorat qui lui tombe donc dessus.
Quand la gauche entend « classe populaire » elle pense à l’immigration et aux banlieues ; or la majorité des classes populaires sont plus éloignée encore des métropoles et constituées d’ouvriers et employés.

# Boltanski « Le nouvel esprit »

Hypocrisie bourgeoise : défendre le progrès scientifique et le conservatisme moral (la chasteté) en même temps ; la soif de profit et le moralisme. (Les deux sont-ils si antagonistes ?)

Insister sur la naissance du groupe des « cadres » à partir des 50’s avec les grandes entreprises ; de moins en moins familiales. L’esprit bourgeois à la Weber change avec les cadres, c’est la question que pose le livre.

Daniel Bell : dans les 60’s aux USA émerge une contradiction entre les méthodes de travail « protestantes » et le mode de vie basé sur la jouissance et la satisfaction immédiate des désirs (démocratisation du crédit bancaire). L’hédonisme contre le labeur.

Plusieurs critiques du capitalisme : 1. Inauthenticité du genre de vie. 2. Oppression par une force impersonnelle. 3. Misère économique. 4. Égoïsme défaisant les liens sociaux.

La revue des « Temps Modernes » après guerre veut maintenir ensemble la critique sociale et artiste : concilier le moralisme des ouvriers et le libertinage aristocrate de l’avant-garde artistique. D’où la figure de Sade, entre 1940 et 1960, qui devient un passage obligé pour les écrivains, figure anti-bourgeois par excellence. Essayer d’éviter les deux écueils : la critique de l’individualisme conduisant au fascisme et la critique de l’oppression conduisant à l’anti-totalitarisme des néo-conservateurs des années 1980.

Apparaissent dans les 90’s : la critique de la hiérarchie par les cadres eux-mêmes, critiques des petits patrons gérant leur entreprise familiale. Aussi, l’arrivée des technologies et du rythme intensif du travail. « Surfer sur la vague » des technologie apparaît en 1990. « Apprendre aux géants à danser » est un livre par M. Kanter en 1992. 

Dans les 60’s, l’Europe, les USA, l’URSS sont les trois exemples, puis apparaissent le Japon et les dragons asiatiques en 1980-90, puis après 1995 quelques autres pays comme le Brésil.

Le rêve de « l’entreprise maigre » dès les 90’s : le juste à temps, l’amélioration continue (Kaizen), la suppression des niveaux hiérarchiques. (Le Lean vient de là.) L’entreprise travaille en réseau, avec des prestataires, des sous-traitants. En 1994 la phrase « le véritable patron c’est le client ». Le leader possède la vision. Les salariés s’auto-forment et travaillent avec des gens différents. Le « manager » remplace le « cadre » dès les 80’s.
Dès 1995, la valeur repose sur la connexion de tout un chacun dans une firme. L’homme doit se créer lui-même, être autonome.
Les anciens gauchistes de 68 arrivent dans les firmes après 83 et le retour au capitalisme ; ils imposent leur vocable : ouverture, convivialité, rhizome, autonomie, spontanéité, créativité.

Le structuralisme en sciences humaines place le réseau au centre de ses théories ; comme le management ; à partir des 60’s. La _relation plus que la substance_ disent les théories. Les propriétés relationnelles dépassent les propriétés attachés aux êtres. (C’est la naissance de la « communication » de McLuhan à Latour et Serres.) Chez Deleuze, _la connexion constitue l’identité de l’être_ dans ce qu’il nomme « la rencontre ». Deleuze attaque donc la famille et l’État en ce qu’ils ont de clôt et de rigide, par les racines ou par le calcul. Cela s’oppose à la circulation nomade.

La figure du bourgeois change : il cesse d’être gros et lourd mais contraire devient nomade et léger. On le critique toujours autant, mais pour des raisons différences. 

En 1975, des études sortent sur le « marginalisme » des jeunes qui ne veulent plus travailler : refus du patronat, mode de vie transitoire, flexible. (cf. Les freelances en 2010’s.)

Avec Chaban-Delmas, entre 69 et 72, le gouvernement répond aux critiques sociales, en axant sur la « sécurité » plus que sur « l’autonomie » donc. La critique artiste demande de l’autonomie, et des politiques individualiste sur l’amélioration des conditions de travail. La critique sociale demande des politiques holistiques, en cela de la « justice sociale » car elle privilégie un groupe de façon abstraite, sans égard aux efforts des uns et des autres, elle privilégie des individus en tant qu’ils appartiennent à un groupe dominé.

La critique sociale se transforme dans un dernier élan avec le marxisme-léninisme et le maoïsme (sur l’exploitation elle-même). La critique se mue ensuite en critique artiste avec les « nouveaux mouvements sociaux » illustrés par les groupes minoritaires, les écolos, les féministes, les LGBT, etc. (Puis, plus tard, les anti-totalitaires qui seront vraiment sur l’accomplissement de soi et non la paupérisation.)

À partir des 80’s, on s’intéresse plus aux exclus (mère seule, chômage longue durée, sans-papiers) ; et il s’agit de lutter pour les intégrer ou réinsérer à la classe moyenne.
En ce sens, il est exclu de la chaîne des « réseaux » sociaux qui font la société. Les connexions sont rompues (R. Castel et la désaffiliation).
Les restaurants du cœur ouvrent en 1985-86 avec Coluche.

L’exploitation : la richesse des uns et la pauvreté des autres sont connectées. Ils doivent donc vivre dans un monde en commun.
L’exploitation provient donc selon Boltanski de la mobilité des grands (particulièrement firmes financières) par rapport à l’immobilisme des petits. Les multinationales fonctionnent ainsi, et le _on-demand_ la livraison par la poste aussi.

Hausse des « indicateurs de l’anomie » (Durkheim) depuis les 80’s, avec une hausse forte des suicides entre 75 et 85 puis une baisse relative. Aussi, la consommation de tranquillisant depuis les 80’s.
L’autonomie n’est donc pas synonyme de bien-être.
L’authenticité dans notre rapport aux choses est en question.

L’accroissement de l’autonomie s’accompagne d’un contrôle par les pairs : le salarié est-il plus libre qu’avant ?

Les biens exotiques, comme le baladeur Walkman, permettent aux consommateurs de s’affranchir du temps et de l’espace. (Mais, ne peut s’empêcher d’ajouter Boltanski, ils demandent des plages horaires pour être maîtrisés, donc du temps.)

L’inauthentique : au début, on critique les bourgeois pour s’occuper des bonnes manières plutôt que de la vérité, des vrais sentiments et de la « sincérité » des sentiments. Ensuite, ce fut au tour de la standardisation et de la massification.

Critique de la massification. Démocratique : donner le pouvoir à la foule va favoriser les démagogues. Antifascistes : pourquoi les Allemands ont-il élu Hitler ? Médiatique : avec les 50’s, uniformisation des consommateurs : les biens sont standards et appellent le même usage, les travailleurs sont remplaçables dans le taylorisme.
Chez Heidegger (souci) et Sartre (projet), il s’agit pour l’homme d’accepter sa part de tragique, sa contingence, sa facticité ; et d’éviter de fuir l’angoisse en s’échappant à soi-même, en se repliant dans la consommation, donc la vie sérielle, inauthentique (le « on dit » chez Heidegger, la « mauvaise foi » chez Sartre).
Adorno et Horkheimer dès 1947 attaquent la société moderne qui voudrait tuer toutes les différences, la domination conformiste. Ils comparent les patrons de la publicité à des chefs de la propagande, au service des trusts. (Adorno critique Heidegger car, sous ses principes se cachent des concepts bourgeois comme la personnalité, l’intériorité, la conscience.)
Marcuse critique la « culture du drugstore » où Platon et Hegel côtoient les mêmes rayons les romans policiers. Le livre de Marcuse, publié un peu avant Mai 68, connait un succès tel qu’il doit être réimprimé plusieurs fois ; succès inattendu qui ne durera pas longtemps. « L’homme de la civilisation industrielle avancée est crétinisé et uniformisé par la production de masse et par le confort, devenu incapable d’accéder à l’expérience immédiate du monde, soumis à des besoins manipulés par d’autres. »
La réponse est rapide de la part de l’industrie, il s’agit de proposer des biens de plus en plus divers. Puis la critique va devenir moins ascétique, moins portée sur « le confort » que pendant Mai 68. (Même si l’écologisme arrive là…)

Les « renifleurs » qui doivent faire preuve d’intuition sur le marché, cf. les entrepreneurs tech aujourd’hui, arrivent dans le monde de la mode, de la musique, voir du tourisme, du design etc. Ils ne se reposent pas sur des modèles existants et peuvent donc, légitimement, créer de l’authentique. Avant 68, tous ces îlots d’authenticité (musique, bar, manière d’être) n’appartiennent pas encore à la sphère marchande. 

Mais après la critique de l’inauthenticité de 68, arrivent des philosophes français qui déconstruisent cette notion. La quête de l’authenticité renverrait en fait à des conceptions fascisantes, « se trouver soi-même » etc. Bourdieu (1963) l’assimile à un ethos bourgeois qui critique la massification de son point de vue, aristocratique. Déconstruction du « goût authentique » en art selon Bourdieu : tout cela répond à des normes construites historiquement, au service d’une classe sociale. Derrida (1967) montre que la voix, contre l’écriture, a été gage d’authenticité depuis Rousseau. Deleuze et son « plan d’immanence » (1968) nie les hiérarchies et l’identité. Le Barthes de _Mythologies_ incarne aussi cette tentative de décrypter des stratégies, des signes, derrière des postures authentiques. Il s’agit toujours de dévoiler, depuis les coulisses, ce qui se présente au monde comme authentique.
Tout n’est plus que construction, code, spectacle ou simulacre.

Drôle de noter que Boltanski a l’intuition du « sharing » quand il énonce que l’homme doit être flexible et malléable, qu’il doit apprendre à se défaire de tout, y compris de ses biens—dans la quête à la connexion, au réseau etc. C’est ce qui arrivera avec Airbnb, et les problèmes moraux au début, qui ont vite laissé place à l’appât du gain et, par là, à la « moralisation » par le marché d’une relation à la propriété.

La psychothérapie peut aider à deux choses : à traiter le mal, ou à aider le malade à le gérer dans sa vie sociale.

80% des hommes entre 25 et 40 ans sont mariés en 1973, contre 54% en 1995.

Au XIXème siècle, l’embourgeoisement passe par l’épargne, la baisse de la fécondité et l’ouverture d’un commerce. Après 1945, on remplace la commerce par la scolarité, et donc l’épargne par le paiement des frais de scolarité pour les enfants.

Fin 1990, les supermarchés occupent 50% du marché alimentaire, contre 13% en 1970.

# Sloterdijk « Colère et temps »

La révolution, c’est l’idée d’un grand renversement, que les premiers seront les derniers.

Tocqueville raconte l’anecdote sur une servante qui, en 1848 alors que les canons de la bourgeoisie tirent sur le peuple, a esquissé un sourire en servant à table ; façon de se réjouir de l’action, ou d’imaginer que c’est bientôt Tocqueville qui la servira à table ?

Negri et les autres, après les désillusions de l’URSS, reprendre l’idée du sourire en tirant de chez Chaplin l’idée que la pauvreté et la vitalité indomptable vont de pairs. (L’idée donc, que les bourgeois, eux, ne savent pas vivre, ni rire, ni être légers.)

Himmler, en 1943, s’adressant à des officiers SS, les enjoint à suivre l’exemple des commissaires soviétiques pour augmenter la capacité de tuer des troupes allemandes ; « ils ont vingt ans d’avance sur nous » se dit-il.

Le bourgeois est celui qui ne se salit pas les mains. Malraux commence _La condition humaine_ en posant l’égalité crime = chemin révolutionnaire.

Le Parti remplace le peuple devant le peuple ; c’est le parti qui incarne « la colère » du peuple, d’où le fait qu’on enferme les dissidents : le Parti doit être le seul organe par lequel la « colère du peuple » s’exprime (contre quoi ? on ne sait pas).

Que Mao parvienne à instaurer un régime communiste, et non les démocraties occidentales, est une erreur dans le logiciel des écrits de Marx puis de Lénine. De fait, tous les pays communistes seront des anciens pays féodaux, et un coup d’État (plutôt qu’une révolution des masses) amènera un dictateur au pouvoir. Cela embarrasse beaucoup Moscou, car petit à petit les gens comprendront que ce fut aussi le cas pour Octobre 17, un simple coup d’État qui a mis à la tête du régime un chef plus sanglant encore que le Tsar (en nombre de morts par an).

En 1966, la faculté de philosophie de Pékin se renomme faculté de « pensée de Mao Zedong » alors que, de part le monde, les jeunes gens en colère se nomment maoïstes. Pompidou qu’on accuse d’être « fascisants » quand on défend, en Chine au même moment, l’assassinant des professeurs, la Bible maoïste, l’absence de presse etc.
En 1972, quand Nixon serre la main à Mao, la presse française s’étonne que Mao puisse accueillir une pareille canaille impérialiste.
En 1972, Glucksmann dans _Les temps modernes_ démontre que la France est une dictature fasciste.

Le « mal français » : la division du monde entre révolution et restauration.

Sartre : dénégation de soi-même afin d’expier leur appartenance à la bourgeoisie. Quand il descend dans la rue pour vendre _La gauche prolélatarienne_ (La cause du peuple), journal maoïste, pour défendre les intellectuels dissidents de France.

Le comte de Monte-Cristo illustre l’idéalisme prolétarien : se venger du bourgeois, le faire expier de ses crimes. Mais ici, Monte-Cristo ne vise pas la dépossession pour s’enrichir lui-même ; le trésor donné par l’abbé lui a déjà apporté la richesse. Il humilie le banquier par esprit de vengeance.

# Hirschmann « Passions et intérêts »

Avec Corneille, on arrive à l’acmé de ce que peut être la défense de la gloire, la recherche de la renommée comme unique raison de vivre. Mais très vite, et au même moment, arrivent les « destructeurs du héros » : La Rochefoucauld y décèle de l’amour propre ; Hobbes montre l’instinct de conservation dans les passions héroïques ; Pascal y montre la vanité et l’effort pour se connaître soi-même (divertissement) ; Cervantès en montre le ridicule et la démence.

La ruse de la raison chez Hegel rejoint, de près ou de loin, l’idée de Mandeville qui veut que la poursuite des intérêts individuels poussent la société en avant. Chez Hegel, les hommes répondent à leurs instincts et deviennent, sans le savoir, les agents de la grande fin de l’histoire.

Chez Goethe, le Méphistophélès est décrit comme : « une part de cette force qui toujours veut le mal mais qui toujours produit le bien ».

Triptyque moral : la passion (destructrice), la raison (impuissante) et donc, nouvellement, l’intérêt.

Si Locke et les autres défendent l’intérêt—et bientôt l’amour de l’argent, de façon plus étroite encore—c’est qu’il rend les actions des hommes prévisibles. De fait, il ne serait pas possible de gouverner des hommes qui n’auraient pas tous un intérêts communs, ce serait la pagaille pour savoir vers où mener la société. On attend qu’un homme qui obéit à son intérêt, la fermeté, la ténacité et l’esprit de méthode ; un comportement contraire à celui qui se laisse aveugler par ses passions. L’amour de l’argent, c’est la constance, la persistance et l’uniformité d’un jour à l’autre, et d’un individu à l’autre. 
« Le désir du gain est une passion universelle qui agit en tout temps, en tout lieu et sur tout le monde » dit Hume. (cf. les débuts de l’homo-economicus, de fait.)
On passe donc, avec Hume, de l’avidité comme dangereuse pour son insatiabilité, à l’avidité comme bénéfique dans son uniformité parmi les hommes, donc, d’une certaine manière, dans sa « traitabilité » d’un point de vue politique. De fait, son caractère insatiable, l’absence d’utilité marginale décroissante (au sens où, même chez un riche, cette passion de l’avidité fonctionne à plein régime) est ce qui distingue cette passion des autres, et la transforme en vertu.

Le noble, en France, laisse le bourgeois s’enrichir et appelle cela faire du « doux commerce » avec un peu d’ironie : l’aristocratie n’imagine pas qu’un bourgeois puisse faire quelque chose de plus glorieux (plus noble) que de « doux ». Un roturier ne peut que cherche son intérêt—il ne saurait chercher la gloire, un exploit réservé aux nobles.

Hume : « L’exercice d’une profession commerciale ou industrielle a pour effet de faire prévaloir l’amour du gain sur l’amour du plaisir ».

(Il est étonnant que la psychanalyse n’ait rien à redire sur ce refoulement des passions violentes par d’autres, sous l’effet d’une activité ?)

Avec Smith : on s’attache moins à montrer les effets dévastateurs politiques que la poursuite de l’intérêt permet d’éviter que les avantages économiques.

Bref, on a demandé au capitalisme de produire des hommes sages, raisonnables, prévisibles. Et c’est cela même que les observateurs (romantiques) vont critiquer, l’homme ennuyeux, poli, sans quête de gloire, sans mystère, _sans passion._ Fourier, Marx (par l’aliénation), et Freud (désenchantement, refoulement de la libido comme prix nécessaire du progrès). Ces critiques oublient que le monde du « libre épanouissement » des passions était considéré comme propice à tous les dangers. (cf. Élias, énorme auto-contrôle avant de s’en libérer sans la menace de comprendre l’ordre social dans la sauvagerie.)

Keynes : « Il vaut mieux exercer son despotisme sur son compte en banque que sur ces concitoyens. »

Schumpeter nous assure que le capitalisme et la guerre sont deux choses bien différentes, que la guerre en Europe est la poursuite des notions pré-capitalistes dans nos esprits. Le capitalisme est calcul et rationalité, il ne peut pas supporter la guerre qui est imprévisible et passionnée.

# Léo Lévy « À la vie »

Quand Benny Lévy, à Bruxelles, commence à s’intéresser au soviets, c’est qu’il a connu l’exil par deux fois : Juif en Egypte, ses parents s’installent à Bruxelles, tentent à Paris, reviennent etc. Conditions de vie difficiles. 

Violence intérieure de l’exilé, Sartre est celui qui comble le désir d’universalité à partir de la subjectivité singulière.

La France de 1789, de la Commune, de la résistance. Sartre choisi de se déraciner, d’être libre, alors que c’est arrivé par défaut à Lévy ; mais il s’y retrouve. 

Le rôle de Pierre Goldman, juif communiste, accusé de meurtre, assigné en 1973.

Le foyer étudiant de la rue de la Victoire, là où Lévy passe les mois à préparer l’ENS, est financé par les Rothschild.

« Rien que par ma naissance, plénitude de sens a été donné à ma vie, inutile de courir après des hochets, de vains enjeux » dit-elle à propos des concours.

« Et si les ouvriers décident que c’est bien de violer les filles de la bourgeoisie, vous allez leur donner raison ? » demande la tante de Lévy.

Mariage en 1966. « J’étais encore très petite-bourgeoise » dit-elle, elle fait les courses dans des marchés populaires, enseigne au 6ème dans un collège de banlieue.

Les débats à l’ENS : deux séminaires, Althusser et Lacan. D’un côté Linhart (la réflexion mène à la pratique politique), de l’autre Milner et Miller (la réflexion mène à plus  de science).
Quand on s’aperçoit que Marx se trompe (sur la conscience de soi), on dit « il commet un contresens » et non « il commet un malentendu ».

En août 1966, dans _Pékin information_ la « Décision en seize points du Comité central » annonce la révolution culturelle. « Qui touche l’homme en ce qu’il a de plus profond » est interprété comme la lutte contre l’égoïsme.
Pour les intellectuels qu’ils sont, cela change le rapport au savoir : « Pour cueillir une fleur, il faut descendre de cheval » sous-entendu, le savoir n’est pas dans les livres mais dans les masses (magma d’individus qui ont un rapport à la nature, à la matière) ; l’affrontement à la résistance de la chose produit du vrai. D’où le mot d’orde : enquêter, aller aux masses, s’établir en leur sein. Ainsi est lancé le « mouvement d’établissement ».
En décembre 66, l’UJC(ml) est crée ; cela ne fait plus sens de servir de caution intellectuelle au P.C.F en suivant les cours d’Althusser.

Lévy explique en 1977 : « Le guérillero d’Indochine prit, dans l’imagination révolutionnaire, la place du bolchevik, épuisé par les conspirations et les appareils. Nous réinventons l’opposition du faible et du fort ; le ptit finissait par affoler le tout-puissant. S’ouvre un espace inviolable : jungle, forêt, montagne, un peu plu secret et irréductible. Resurgissait notre idée de la révolution. »

Ils s’inscrivent à un cours de karaté—elle s’aperçoit qu’en plus de l’odeur de sueur, il n’y a que des paras qui s’entraînent et peu de révolutionnaires comme eux.

Mai 68 commence par une révolte de la séparation des garçons et des filles sur un campus.
L’UJC(ml) s’intéresse au mouvement après que les ouvriers rejoignent la cause—pour retrouver la vigueur de la CGT des débuts. Ils envoient des émissaires tracter dans les facs de province ; les ouvriers n’en ont rien à faire.
Après les événements, Lévy est désemparé, il fait appel à « l’idole du moment » : de quoi les masses ont-elles besoin ?

En juin 68, une réunion sonne la fin de l’UJC(ml) et la division entre le PCMLF et la GP, avec d’anciens du 22-mars de retour de Cuba ; et la publication de Vers la guerre civile (Geismar, July).

En 69, marche des lycéens sur les usines Renault de Flins. Ils occupent l’usine, les bureaux, tendent des drapeaux rouges. Olivier Rolin (pseudo Antoine) à leur tête.

Vocabulaire Mao : « base arrière », « zone libérée », « longue marche », « oser lutter, oser vaincre » — cela rend chaque action épique. Vocabulaire belliqueux chez Lévy qui veut venger la France des salauds, du PCF à Pompidou.

Des militants envoient des articles à la Cause du peuple. Portrait de Mao en pied, armé d’un parapluie. La Cause attaque le PC et la CGT qui sont assis sur les droits acquis, princes du mensonge, trafic d’influence sur le dos des ouvriers. La Cause défend : la révolte, les actions illégales, (la légalité autorise les conditions de travail inhumaines). « On a raison de séquestrer les patrons », « La guillotine, oui, mais pour Touvier », Il faut pendre les patrons par les couilles ». En mai 1970 la Cause est interdite, la GP dissoute, Le Dantec part en prison.

Ils appellent leur enfant René, d’après René Camphin, un ouvrier résistant du Nord. Ne le font pas circoncire.

La « paire rouge » lie un militant politique et un intellectuel. Lévy est associé à un type de la RATP.

En octobre 70, elle devient OS, elle plie des serviettes huit par jour avec des ouvrières immigrées, portugaises ; dans une blanchisserie. Elle distribue des tracts jusqu’à être licenciée. Il faut chercher la bonne usine, où les conditions sont réunies pour faire son travail révolutionnaire. Or les discussions ne sont pas politiques mais sentimentales, familiales, sur les loisirs, l’occasion de « s’éclater ». Un autre, chez Renault, sabote les pointeuses, les chaînes, débranche, etc. Plus tard, vers 70-71 : saccage des locaux de minutes, razzia chez Fauchon pour les bidonvilles.

Sartre est d’accord : « Tout est politique, c’est à dire tout met en cause la société ans son ensemble et débouche sur sa contestation ».

La mort de Pierre Overney, mao tué par un vigile de chez Renault, lance la question : faut-il répondre violemment ou non ? Plus tard, septembre 72, Sartre défend le terrorisme de Munich ; « quand il n’y pas d’autre moyen ». Rupture avec les militants immigrés, pro-palestiniens.

La GP est dissoute en 73 ; après l’expérience de Lip (usine de montre) vers Besançon où les ouvriers, dans l’illégalité mais sans violence, parviennent à l’autogestion saine. Finalement, le peuple s’est passé des services de la GP pour s’émanciper.
Certains, jusqu’à début 74, veulent continuer la lutte armée, y compris des fils de grands bourgeois.
La « parole » après l’échec est frappée d’indignité ; certains lancent un cirque ambulant. Place au corps, donc : yoga, chant. Mutation du combat : pour l’avortement libre.
-> La politique c’est parole, c’est le débat. Après, on s’intéresse au corps, au bien-être ici et maintenant.

Vie communautaire : trois couples, une mère célibataire qui estime que les enfants appartiennent à la mère, peu importe le père. Location d’un ancien relais de chasse. Règles de vie non baba-cool : pas de drogue, relation parents-enfants. Abandon de l’élevage d’animaux (la chèvre attaque les enfants). Culture de poireaux. Cuisine façon gastrosophie. Sartre passe, il s’intéresse à l’organisation du quotidien. Les carrières se grimpent vite : d’ouvrier qualifié on passe ingénieur  et directeur de laboratoire ; sage-femme ; infirmière ; professeur.

# Soral

Le sport et l’intellect marchent main dans la main. Le critère universel que sont les femmes rassurent l’intellectuel-combattant.

Soral commence par publier des livres sur la mode. Un équivalent de Lagarde et Michard sur la fabrication des vêtements et la façon de les porter—1987, émission avec Ardisson. « J’ai le seul blouson en cuir de Paris qui soit doublé en vison, mais je ne l’ai pas pris ce soir, car il fait un peu chaud » dit Soral en nous montrant l’intérieur de sa veste en cuir marron. « Mon arrière grand-père était le premier ciseau chez le plus grand tailleur de Genève, et c’est pas pour ça que je sais faire un costume. »

Pas d’argent. Aller au puce pour s’habiller pas cher et entrer en boîte. Car la but de la jeunesse c’est de baiser des jeunes filles. On travaille le moins possible, on passe du temps au café, on palabre, on drague.

Rendez-vous pour un job comme « planeur stratégique » à 45k francs par mois ; je croise une gonzesse sur le chemin, je la suis, je ne vais pas au rendez-vous ; « alors que c’était avec le big boss ! » Cela m’a sauvé.

« La femme et le livre » ; quand je n’arrive pas à baiser, je rentre chez moi et je vais lire. Althusser c’est un couillon, il prend les livres et pas les femmes. Donc il ne connait pas le réel. C’est pour ça qu’il étrangle sa femme, il réalise qu’il n’a jamais été dans le réel.

Dans la vie, on m’a toujours dit que j’allais finir clodo ; il y a toujours « la grâce » au moment où t’es au fond du trou. Il faut croire à la bonne étoile.

« Un type m’a dit : « t’es en train de dessiner un jardin à la française et tu ne t’en rends pas compte, on pense que tu fais n’importe quoi mais en fait non » Et là, le mec a compris un truc sur moi. »

« Il y a que Costes qui peut prendre Gaspard Noé pour Claude Lelouch »

Conseil en communication : faire des synthèses assis à la terrasse d’un café. Intronisé par le système comme « sémiologue », spécialiste de la mode. 

« Je faisais une faute d’orthographe par mot, maintenant c’est une par ligne. »

Les héros : celui qui meurt plutôt que de trahir. « C’est très bien que BHL soit aimé inconditionnellement par une femme ; c’est beau. »

« Il y a des moments où je chie dans mon froc mais je porte un pantalon marron. »