Aurélien Bellanger :
"Il n’y a plus de célibataires mais des abonnés à Tinder, plus d’abonnés passifs mais des produits pensants, plus d’inégalités nulle part et des taxis Uber partout. Quelle que soit la situation ou le désagrément, il y aura une application pour ça. Et le marché des rapports interhumains, longtemps confisqué par les Etats et la politique, échapperait enfin à ces situations de monopole. Avant, les citoyens votaient tous les deux ou trois ans, maintenant ils expriment, pourvu que dans le cloud quelqu’un comptabilise, leurs opinions et désirs à chaque fois qu’ils lisent, qu’ils cherchent, qu’ils checkent, qu’ils swipent ou qu’ils actualisent."
Tristan Garcia :
Proche de "Confessions d'un enfant du siècle" de Musset. Une génération qui n'a pas la guerre, qui se sent trop instruite aussi, par rapport à ses parents et grands parents. Ils ont raté l'Histoire. Mais ceux qui, dans les tranchées, vivaient pour le coup l'Histoire en marche comme, peut-être, elle ne se fera plus jamais. Ceux-là les poilus avaient le sentiment de passer à coté de biens de choses, de leur vie d'adulte 'normale'. La tranquillité de la démocratie est-elle une fin en soi.
Qu'est-ce qu'une physiologie particulière d'une espèce fait à son langage ? C'est ça qui intéresse certaines fictions qui s'attachent à décrire la façon dont les animaux parlent une langue qui leur est propre, propre à leur corps, à leur sensation, et n'imite donc pas le langage humain. (Chez Swift, les chevaux ne peuvent pas mentir, ni écrire, car leur corps leur interdit). Les animaux parlent rarement de ce que ça fait d'être un animal. L'animal qui imite l'homme qui parle, depuis son corps propre.
• L’homme a pu chercher à se saisir lui-même par le haut – par extrapolation de lui-même dans les recherches liées à l’intelligence artificielle – et par le bas, en cherchant à se retrouver dans les animaux – concomitance des projets de recherches cybernétiques.
• Sinon, ma thèse, c’est une thèse d’esthétique, autour du concept de représentation. J’essaie notamment de contester le grand lieu commun des études sur la modernité, à savoir : l’art contemporain présente des choses au lieu de les représenter. Et, je défends de façon assez optimiste l’art du XXème siècle en disant que, contrairement à ce qu’ont cru tous les intellectuels, le plus important dans l’art du XXème, ce n’était pas l’art contemporain, Warhol, Duchamp, Beuys, mais c’étaient au contraire les nouvelles formes de représentation, le plus souvent populaires, et qui viennent pour la plupart du XIXème siècle : la photographie, le cinéma, la science-fiction, le policier, la musique enregistrée, la télévision. Je suis assez méfiant envers l’art contemporain aujourd’hui, et en tous cas je pense que pour être vraiment moderne aujourd’hui, il faut arrêter d’être contemporain.
La fiction est là comme une espérance d'un langage universel, au-delà de notre langue contingente et humaine. La spécificité du langage humain et son universalité.
Schrödinger :
La mutation est un phénomène quantique dans l'évolution. Il n'y a pas d'étapes intermédiaires, puisque la mutation se fait au hasard, un cran plus loin que l'état normal. C'est pourquoi il ne peut y avoir qu'une seule mutation à la fois, pour voir si celle-ci est meilleure, il faut que ce soit "toute chose égale par ailleurs". C'est aussi pour ça que les mutation sont des événements "rares".
Hayek :
L'éthique n'est pas pour nous affaire de choix. Nous ne l'avons pas fabriquée, ni ne pouvons la remodeler. L'homme a du rompre avec les comportements affectifs bons pour la petite bande. La société abstraite repose sur des règles apprises, et non sur la poursuite en commun d'objectifs désirables que l'on perçoit. La poursuite directe de satisfactions ou d'objets perçus contre l'obéissance à des règles apprises.
Tout progrès fut accompli en transgressant des règles pour des nouvelles, non parce qu'on en comprenait la supériorité rationnellement, mais parce que les groupes adoptant ces règles réussissaient mieux.
La culture ne fut ni créée rationnellement, ni naturellement. Le cerveau de l'homme n'est pas assez intelligent pour créer une culture, ni élaborer des règles abstraites permettant d'imaginer une société complexe. Le cerveau est seulement suffisant pour "apprendre" une culture, imiter et transmettre.
Le langage, la morale, le droit et la monnaie sont le fruit d'une croissance spontanée et non d'un dessein. Le pouvoir politique organisé s'est marré du droit et de la monnaie pour les corrompre.
L'ordre abstrait procure simplement à l'individu de meilleures perspectives de réussite dans ses initiatives, mais ne lui ouvre aucune créance sur des biens particuliers.
Ce fut l'adhésion massive qui fonctionner durablement l'ordre de marché. Les innovateurs, seuls, n'auraient rien pu faire.
La revendication d'une "juste" distribution annonce le retour des émotions originelles de l'homme tribal. Car personne ne comprend le fonctionnement de la société, dont les résultats apparaissent comme immoraux.
L'expansion du capitalisme doit ses origines à l'anarchie politique, au Moyen Age comme pour les Grecs. On découvrit la liberté individuelle, et la propriété (et leur indissociabilité).
La tradition est un process de sélection guidé, non par la raison, mais par le succès.
Taddéï :
L'art, c'est un moyen de rencontrer autrui. On aime l'art car on fait l'expérience d'autrui, et plus souvent des meilleurs. J'ai réussi à me débarrasser de toutes mes opinions, pour essayer de me sortir de ma contingence, pour être plus ouvert, imprévisible.
Luchini :
Un sens aiguë de la hiérarchie culturelle, la certitude musicale d'un Céline par rapport à tout ce qu'on peut dire, penser, dans les interviews médiatiques, la bassesse du monde. Seule la bêtise insiste. Viser l'apaisement de l'anxiété, qui est ma nature. Au lieu d'être dans l'obsession de faire des films, apprendre à supporter le passage sans films, sans médias. Je n'ai pas un moi suffisamment stable pour être incarné. Je n'arrive pas à être modéré.
Je diffère avec T. C. car je ne crois pas à l'intensification de l'existence individuelle. Je suis trop dépressif pour ça. Je ne peux jouir d'être au monde. La jouissance d'être là le pur plaisir d'exister m'est étranger. Dès lors comment défendre cette forme individuelle d'émancipation ?
Ce qui m'impressionne plus que l'intellect, que les intellectuels, que la belle position sociale : Trois adolescentes rentrent dans une rame ; la grâce nonchalante, cheveux en batailles, un dandysme, une confiance en elle, normcore à souhait, l'inverse des coquettes. Il y a, chez elles, quelque chose qui m'est si lointain, si étranger par rapport au grand-écrivain, au grand-banquier. Eux tous, trop inférieurs ; j'ai déjà pour eux de la pitié. La seule admiration qu'il me reste, c'est pour la chaire ; lu trop de livres peut-être. N'étant plus impressionné par rien mais tous les jours un peu plus déçu par le hommes et leurs choses. Ce n'est pas de la légèreté, déjà adolescentes, elles sont sévères, trop belles pour être réellement triviales peut-être ?
Lagasnerie :
Le passage, au sein de la gauche, de la référence à Karl Marx à la référence à Karl Polanyi dans la critique du néolibéralisme est un basculement conservateur : on se met à penser que le problème du marché est qu'il défait des liens et non qu'il consolide un ordre de classes et d'exploitation.
Ce moment dans la vie où l'on découvre ce qu'on aime, ce qu'on aime pas. Le film, le livre, qui nous donne une opinion.
Les écrivains ne devraient avoir le droit de n'écrire un seul livre, par honnêteté.
Houellebecq :
Avant, un pépé n'était qu'un pépé. Aujourd'hui, on lui demande trop de choses, d'être viril, d'aimer sa femme, d'atteindre des objectifs, d'être l'ami de ses enfants… Le pépé d'hier, aujourd'hui, serait un vieux loser.
Guyotat :
Obsession du fonctionnement d'un cerveau d'analphabète. Un homme n'est-il homme qu'à partir où il peut lire, c'est-à-dire se défendre contre l'idéologie, l'esclave, la prostitution.
Desplechin :
[Votre plus grande peur ?] Que cesse ce bruissement populaire autour des films – commentaires, exégèses et conversations – qui fait du cinéma un art vivant. Un art qui se joue à trois : ceux qui fabriquent les films, ceux qui les regardent et ceux qui les critiquent. J'ai peur qu'un jour, le cinéma se muséifie au point de ne plus compter, au sens où le philosophe Stanley Cavell emploie le terme « matter » : pour l'homme de la rue, la création d'un opéra ou d'un tableau ne compte pas. Mais allez dans un bistrot parisien en plein Festival de Cannes et vous entendez des gens qui ne vont jamais en salles parier sur les chances d'un film kurde en lice pour la Palme.
Ecrire des livres comme une pièce d'art contemporain. Le travail d'écrivain fut, très tôt, toujours, une réponse au cinéma, l'exploration de ce que pourrait être une lutte de l'écrit contre l'image, sachant que l'image lui sera, in fine, supérieure.
Eric Reinhardt. Fantasme pour le présent, l'incarnation de la danse en direct, du théâtre aussi devant des acteurs sur scène dans une salle. Présent pur.
Le travail pour sauver de la dépression, s'imposer l'apprentissage du grec, comme le recommande Flaubert à son amie dépressive.
Queneau différencie l'écrivain de l'amateur, dès l'envoi du manuscrit. L'amateur écrit pour se soulager, sans se rendre compte qu'il a des lecteurs, des écrivains contemporains, une tradition derrière lui. Celui qui peut devenir un écrivain comprend le travail (ce n'est pas se faire seulement plaisir), il comprend qu'écrire, être publié, c'est une communication avec les autres.
Sam Altman. On current trajectories, in 2-3 years more people will apply to YC than to Harvard. 2-3 years after that, more to YC than to Stanford.
La critique du libre-arbitre : "je peux ce que je veux". Certes, mais "peux-tu vouloir ce que tu veux ?". La liberté morale, du choix, de la volonté, dépasser donc la liberté d'action.