Titres : L’esprit d’entreprise. Comment meurent les faits. Points de friction. B comme « Enfance »
Ridicule d’Heidegger et des siens : l’homme est technique, intrinsèquement. Croire que la technique éloigne l’étant de l’être, c’est être aveugle au fait que le dernier stade de l’évolution, c’est la technique comme extériorisation des organes. (Plus besoin d’une fourrure, on utilise des habits qu’on peut enlever, etc.) Je considère la métaphysique comme un art, ni plus ni moins. On crée de beaux objets, on tente de dire des choses ; mais in fine, les outils nous conditionnent. En revanche, la théorie politique, et tout ce qui s’y apparente, me semble coupable, car 1. ils ne comprennent rien, ne lisent pas d’économie, et 2. ne travaillent pas à l’émancipation, contrairement à ce qu’elle prétend.
« Nous, adultes, n'avons inventé aucun lien social nouveau. L'entreprise généralisée du soupçon et de la critique contribua plutôt à les détruire. » Je repense à cette phrase de Serres. Que tellement de gens perçoivent Facebook comme de l’aliénation me semble fascinant : enfin un nouveau mode de relation est apparu, dans l’histoire, et voilà que nous sommes aveugles aux relations dont nous bénéficions. Etre jeune en 1970 devait être un cauchemar.
Après « Dimanche », je ne me vois plus écrire de la fiction. Je veux dire, la phrase de Edouard Louis n’arrête pas de me hanter : de pouvoir dire, à propos d’un livre, voici la réalité, tout ce qui est dedans est vrai. Prendre le contre-pied de l’art romanesque. Redonner à l’autobiographie une dimension titanesque, infinie, à la Proust, à la Knausgaard. (À la Ernaux, à la Debray, aussi.) Et dire, et le répéter, tout ceci est vrai. Il y a bien sûr une écriture, car l’auteur doit bien choisir de raconter une chose plutôt qu’une autre, d’une certaine manière plutôt qu’une autre. Mais à la fin, l’auteur peut dire « ici, tout est vrai », « voici la violence du monde » et je n’invente rien. De fait, après « Dimanche », je ne pourrai plus écrire autre chose que de l’entièrement autobiographique. Peut-être reprendre l’idée de « Liberté Égalité Fraternité », avec plusieurs longs chapitres, de 60-80 pages, qui racontent des épisodes d’une vie ; peut-être lui injecter un ordre plus proche d’un Debray, c’est-à-dire thématique, plus que chronologique. J’imagine une œuvre de 1000 pages qui puisse contenir tous les thèmes, qui embrasse la violence qu’a été pour moi le fait de rester vivant. Comme Knausgaard, multiplier les points de vues, achever le post-modernisme en terme de structure ; multiplier aussi, peut-être, les points de vue : reprendre le point de vue de mon père, d’Alain, de Thomas, de ma mère, sur les choses, utiliser leurs journaux, les correspondances. Faire la Comédie Humaine depuis l’intérieur, multiplier les matériaux, les niveaux de discours. Reprendre au classicisme (romantisme ?) la volonté de « tout y mettre », le roman comme université de substitution. Et peut-être aussi, la défense d’un certain Rousseau des « Confessions ».
L’auteur de « Sapiens » et « Homo Deus » dit à l’auditoire : « Pour les gens dans cette salle, McDo et Coca-Cola représentent un danger plus grand pour vos vies que Daesh. » Et la salle d’applaudir très fort. Cela est non seulement grotesque, mais dangereux. Car lui, l’auteur, je ne doute pas qu’il comprenne ce qu’il est en train de dire,… il est mesuré. Mais l’effet de son discours, ce que les gens en retiennent, c’est que Coca-Cola et Daesh sont posés sur le même plan, celui de la destruction de la vie. C’est exactement cela, cette comparaison, qui est criminelle.
Benfredj. Attitude « pragmatiste » de sa part, il affirme au premier degré que tous les salariés ne mènent pas les mêmes vies, ni n’ont les mêmes motivations et conditions financières ; vouloir les traiter sur un pied d’égalité est donc un non-sens. (Un fondateur de startup se payant au SMIC ne dit peut-être pas qu’il utilise l’argent de l’entreprise pour payer des repas, qu’il a un appartement de famille, etc. Mais peut-être qu’il vit effectivement avec un SMIC, on ne sait pas.)
Attitude tragique face à tous les procès qui arrivent après quatre ans (surtout au Prud’homme, on demande 40k pour avoir omis une condition au fait d’embaucher en CDD plutôt qu’en CDI). La morale de l’histoire, c’est qu’il va désormais au plus cher, qu’il n’a plus peur d’aligner l’argent qu’il faut ; pour un avocat, pour du parquet.
Devoir gérer autant d’argent, voir passer autant des sommes de 10k à 100k au quotidien donne une distance sur les petites sommes ; notamment les petits découverts, et agio, sur un compte courant d’un ou deux euros—c’est le business.
Un essai qui traite de ce paradoxe : alors qu’il n’y a plus de valeurs, les gens se comportent de façon encore plus « morale ». L’âge séculier, la disparition des institutions contrôlant/institutant les valeurs et le sens, a laissé place à un état moral supérieur.
La dédicace de Godard au début de « Vivre sa vie » est « Aux films de série B ». Godard s’inscrit dans l’idée qu’il faut, pour renouveler l’art d’une époque, utiliser les matériaux ignobles. La dynamique est plutôt simple : il faut tirer de l’ignoble une énergie pour accomplir une œuvre noble, tout en échappant à la complaisance du refus de regarder en haut. (C’est le risque chez Despentes, Dustan, Guyotat etc.). Le maniérisme, à l’inverse, refuse de regarder en bas. (Quignard, D’Ormesson etc.)
Milan Kundera. Qu’est-ce qu’un roman peut être le seul à pouvoir dire ? Il existe un art spécifiquement romanesque de l’essai, ironique, relativiste, hypothétique, ludique. L’art de l’ellipse, c’est d’aller directement au cœur des choses, d’éviter les notes inutiles. Le seul point unificateur chez Kundera et Broch, c’est un thème, pas les personnages. Un roman, c’est peut-être une longue définition d’un mot ou deux.
Desplechin redonne à « la famille » le droit d’apparaître dans une histoire. On peut mettre en scène des familles, et éviter le gentil-roman-familial.
BHL à propos de Le Pen, en 1990. « Il ne faut pas le rendre inéligible, mais infréquentable. »
Modiano dit « c’est une question de poids physique » pour parler de son rapport à la maturité comme écrivain. « Quand j’aurai pris vingt kilos, je pourrais faire des choses plus denses. »
Le mouvement social de Mai 68 s’accorde avec les récentes théories littéraires, avec l’émergence de la publicité. « Nulle différence entre les pratiques formelles du roman et la profusion des vitrines. » « Un même empire du commentaire » entre Tel Quel et la publicité : « on n’achète plus tant les produits que le langage qui les diffuse, on ne mange plus tant les nourritures que ce qui s’en déclare et s’en écrit. »
La France échappe par le discours à la violence en 68 — contrairement à l’Allemagne ou l’Italie.
La tâche d’un « Mao » c’est de s’échapper de sa carapace bourgeoise en allant à l’usine.
On passe finalement de la haine raciale (Impérialisme) à la haine de classe (Communisme) à la haine de soi (Antiracisme). On passe de la défense de sa race, de sa classe, de son « intelligence » (avant-garde du prolétariat), à la défense de la victime per se, de la victime que trop de fois on a souhaité « faire taire » au nom de principes supérieurs.
D’un seul coup, quand ? dans les années 1970 ou 1980, on cesse de se trouver mieux que les autres ; on internalise le Mal en soi-même. Puisque toutes les fois où l’homme a crié « suivez mon modèle » cela s’est terminé dans des camps, on estime qu’il faut cesser de s’affirmer et redonner la parole à la victime.
La cruauté du totalitarisme en URSS s’explique 1. par l’histoire russe, pleine de cruauté ; 2. par les partisans pro-violence parmi les anarchistes russes ; 3. par le scientisme « social » de l’avant-garde qu’il croit constituer—des hommes ralentissent l’avènement de l’Histoire.
Muray. C’est parce que les travailleurs ont disparu que la « dignité » associée au travail disparaît — au profit de la « dérision » de l’homme festif. La meute veut être plus nombreuse, plus fière. « L’opération “passé propre” est terminée ».
Celui qui réussit aujourd’hui est celui qui parvient à se présenter (à temps) comme victime ; et dans le meilleur des cas, obtient une loi en sa faveur ou une ode médiatique.
C’est l’heure de la bataille pour les bonnes causes, pour « ce qui va de soi ».
Conjonction d’un « mouvement sexuel de masse » et de la disparition de la sexualité individuelle.
Le Bien singe le Mal à chaque fois qu’il le faut ; il entretient comme des feux de camp les foyers de conflit. Le Bien élève lui-même le pseudo-Négatif dont il a besoin pour s’affirmer comme Bien.
La thèse esthétique de Muray est de « ridiculiser ce monde » ; s’il utilise la poésie (qui est terminée) c’est pour cela seulement, multiplier les manières de ridiculiser le monde. Il faut sortir du crime absolu (pour l’artiste) consistant à l’approuver et à communier.
La connerie d’un Guillaume Dustan parlant de son programme politique : « Il faut faire de la représentation à l’assemblée » ou « Il faut arrêter de travailler » ou « Il faut fermer les prisons ». Cette stupidité affligeante, de l’artiste qui raconte n’importe quoi, qui n’a aucun souci de la vérité, au point de dire des choses fausses, mais plus encore illogiques. Ceux-là me seront toujours trop lointains ; qu’est-ce qu’ils cherchent en proférant des mensonges, en refusant d’avoir une pensée sérieuse, de prétendre à l’exactitude ? (Ou cette connerie : « Un type milliardaire est forcément un ennemi de l’humanité » ; phrase qu’il faudrait renverser, « un smicard est un ennemi du bien commun ».)
Quand Ardisson interroge Houellebecq en 2000 à la télé, je comprends ce que veut dire Houellebecq quand il assène qu’avoir un style, c’est d’abord avoir des choses à dire. Ardisson ne parle pas de ses personnages ou de son « style » mais de thèmes : 1. La critique de Mai 68, 2. Le libéralisme sexuel, 3. La défense du clonage (transhumanisme). Et effectivement, Houellebecq se défend en disant : « Quand on est le premier à dire des choses, on s’en prend plein la gueule. »
Ce qui est dramatique, c’est de dresser la liste des écrivains dont on pourrait résumer l’œuvre ainsi, à des « thèses » avancées ; il n’y aurait à peu près plus personne dans la course. Quant à soi-même, il faut cultiver son « intention » à fond, et même s’il n’y a qu’une ou deux intuitions il faut les chérir car c’est à elles qu’est attaché notre talent.