mercredi 2 août 2017

Les vieux-garçons

La généalogie des vieux-garçons, c’est l'histoire du burlesque prise par un autre bout.

Les amis. Les vieux-garçons fonctionnent souvent par couple. Bouvard et Pécuchet. Chico et Harpo. Tintin et Haddock. La dynamique fait que les deux « amis » s’empêchent mutuellement d’en sortir. Mais, finalement, ces garçons-ci sont les moins « malades » d’entre tous, car, sans leur compagnon, ils seraient parfaitement normaux. Ce sont les passionnés, les grands amateurs, les amis d’enfance—bref ceux pour qui « la femme » ne suffit pas à les faire se caser ; et s’ils ressentent du désir, leur désir est à égalité d’avec d’autres désirs, comme l’aventure (Tintin), l’escroquerie (Chico), la connaissance (Bouvard) etc.

Les renégats. De l’autre côté se trouvent des vieux-garçons avec des « perturbateurs » qui font tout pour les remettre sur la bonne voie—ou ce qu’ils considèrent comme. C’est le cas majoritaire ; mais diffère la façon dont le héros est plus ou moins pro-actif du changement. (Greenberg, Adaptation vs American Beauty, 40 yo Virgin).

Les autistes. Les vieux-garçons autistes, qui font tout (en réussissant) pour ne pas être « aidés » par quiconque. Chez Desplechin, Tati, Houellebecq (Extension, Soumission), Roth (le narrateur castré). Certains se réjouissent de leur déchéance.

Les miraculés. Enfin il y a les vieux-garçons en couple, à commencer par Mouret, et qui se font ravir l’aimée à la moindre apparition d’un homme. Ils maîtrisent le discours, comme Allen, ou Doinel, mais ils donnent l’impression d’avoir « réussi » sur un malentendu.

La forme d’humour qu’ils provoquent est différente : les « amis éternels » provoquent plutôt de la gêne ; c’est le comique de répétition qui nous touche chez eux. Les renégats sont dans le gag « social », qui croise plusieurs habitus, chacun à son clown blanc. Les autistes sont dans la satire ; puisqu’ils refusent le monde, à l’image de Tati. Enfin les miraculés nous font rire car ils tentent d’aller à l’encontre de leur nature, ils s’efforcent de coller à une image qui n’est pas la leur.

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Une liste :

• _Ghostworld_ : Ce film avec Joahnsson ; avec un type minable et collectionneur, qui n'ose pas aborder une femme en date ; c'est la jeune héroïne qui lui fait son éducation sentimentale.

• Dans _American Beauty_ : le looser qui s'en sort pour baiser l'amie de sa fille. C'est le jeune homme "caméraman" qui lui fait son éducation ; que le père éduque très durement.

• Dans _40 Years Old Virgin_ bien sûr. Une bande d'amis qui le pousse à rencontrer une femme, qui lui donnent des conseils… C’est le vieux garçon sûr de lui ; gentillet

• Le personnage de Simon dans _Conte de Noël_. Lui, il ne veut pas être sauvé ; il a choisi sa condition. C'est un **homme déchu** qui a opté pour cette déchéance. Il a connu le succès, il fut un extraverti avant de laisser sa place à son cousin. Donner Sylvia à Yvan, c'est pour Simon un geste altruiste, car l'un serait mort, et lui est simplement éteint. C'est un choix moral : un danger de mort pèse sur lui, or cela ne me coute pas tant de la lui donner… « C’était un garçon jovial ! » dit la vieille dame à Sylvia.

• Les films avec Vincent Macaigne, notamment _Un monde sans femmes_ Guillaume Brac. C’est la version dominée, perdant tous ses moyens en face d’une femme.

• _Adaptation_ de Charlie Kaufman. Un vieux-garçon névrosé, qui n’arrive pas à sortir avec la femme qu’il aime, ni avec l’auteur dont il adapte le livre (il n’arrive même pas à lui parler).

• _Bouvard et Pécuchet_ : l’exemple séminale des vieux-garçons qui, parce qu’ils n’ont plus d’intérêt pour les choses de la chair, s’enferme dans la connaissance par gavage. (À relier à Dupont et Dupond, et peut-être même à Harpo et Chico.) (Il n’y a chez eux aucune satisfaction à être tels qu’ils sont, à la différence de la misère presque prosélyte chez Beckett, qui m’insupporte, que Houellebecq a d’ailleurs enterré pour de bon.)

• _Comment je me suis …_ Avec Paul qui, vivant chez son cousin (ce dont Sylvia se rit), a du mal à devenir adulte. Sauf qu’ici, des maîtresses lui tournent autour.

• _Greenberg,_ de Baumbach. Joué par Ben Stiller, un vieux-garçon qui l’est devenu (après avoir quoi ? arrêté la musique ?…), pour le coup, et qui se fait sauver par une jeune blondasse. Mais lui refuse son aide, évidemment.

• _Mon Oncle,_ de Tati. Le cas du vieux-garçon « réactionnaire » malgré lui, qui n’est pas adapté au monde comme il va.

• Le cas Woody Allen est notable, car il ne met jamais de vieux-garçons dans ses films, sauf peut-être _Anything Else_ où il se caricature en vieux-garçon fou, pro-guns, etc. ; mais des vieilles-filles, comme dans _September_ où l’une des femmes (Mia Farrow) n’arrive pas à se faire vraiment désirer.

• Tintin est aussi peuplé de vieux-garçons. Les Dupond-t d’abord ; et ce dès les premiers albums. Mais aussi, finalement, Haddock et Tintin qui se lancent dans des missions incroyables—sans femmes, sans « hobbys », dans la pure soif d’aventures.