mardi 1 août 2017

Sur les animaux (ii)

Entre une chèvre (qui sert de symbole fort à une communauté) et un homme de cette même communauté, qui faut-il sauver d’une mort certaine s’il faut nous faire un choix ? Autrement dit, faut-il assumer de sauver l’homme en priorité par rapport à l’animal ? (Même si, dans ce cas, nous voyons bien que l’animal n’est respecté qu’en tant que « symbole » entièrement humain ; comme un Dieu, la monnaie ou la Nation, la chèvre à sauver est une pure construction sociale : on sacrifie donc un homme non pour un animal, mais pour une _croyance collective._)

Derrida : 1) L’animal n’est jamais nu, puisqu’il ne s’habille pas ni n’en a jamais eu le désir. 2) Qu’est-ce que ça veut dire qu’un animal « nous regarde les yeux dans les yeux » ? cf. Alice chez Lewis Carol.

Deleuze défend les animaux apprivoisés à condition qu’ils ne fassent pas partie de la famille. Se moque aussi les psychanalystes qui ne peuvent s’empêcher d’assimiler un animal (dans un rêve) à un membre de la famille.
Sur la peinture de Bacon : Une bête qui souffre est un homme, un homme qui souffre est une bête. « La viande est la zone commune de l’homme et de la bête… »
Le problème du « familial » chez un animal domestique/apprivoisé. « L’aboiement c’est la honte du règne animal » dit-il. « Je ne supporte pas le rapport humain avec l’animal » notamment dans la manière dont les gens parlent à leurs bêtes.
L’animal a « un monde » plus ou moins pauvre, il est sensible à peu de choses dans le monde, mais il n’est sensible qu’à cela. Le monde de la tique par exemple se constitue autour de trois excitations sommaires, la lumière, l’odeur, le sens tactile. Et tout est là, la tique se moque du reste du monde.
L’existence aux aguets de l’animal—comme celle de l’écrivain. Moins par ce qu’il doit vérifier, ce qui lui arrive dans le dos etc. que la dimension « qu’il a un monde » et qu’il répond à quelques stimulus connus, limités, et qu’il ne peut pas s’en empêcher, comme l’écrivain qui n’arrive pas à faire autre chose… pour qui tout l’existence se résume à la retranscription de sa vie par des mots.

Sur la tauromachie comme métaphore de l’écriture. : Leiris, en suivant Hegel, prétend qu’il faut braver la mort pour atteindre le stade de l’écriture (on pourrait dire, de l’art).

Un animal qui se soucierait de moi (gage de l’amitié) ne le fait que parce qu’il a été _dressé_ pour cela. Comparer le « lien » qui unit un animal à un homme à celui d’un homme à un autre, c’est ignorer le fait qu’on « force » un animal à obéir, à aimer, etc. Il n’a jamais choisi d’aimer untel plutôt qu’un autre… et d’ailleurs jamais un animal « refuserait » de pactiser avec un maître… c’est uniquement une question de temps. Tandis qu’entre deux hommes interviennent des croyances contradictoires, irréconciliables. On aime un ami plutôt qu’un autre. Or un chien n’aime pas un maître plutôt qu’un autre, puisqu’il n’est pas libre de s’en choisir un…

Pendant l’adolescence, le chien est peut-être le seul compagnon qui ne juge pas l’adolescent, et qui a le droit de le frôler, de s’y frotter ; alors que l’adolescent connait une mutation de son corps qui, à certains égard, le gêne.
Tout le monde peut câliner le chien sans risque d’être repoussé. Il canalise les tensions internes.
Le chien est le seul des « enfants » à rester après le départ des vrais enfants de la maison familiale. La fidélité du chien rassure. C’est un « écran » pour masque le vieillissement, la solitude… C’est prétexte pour se disputer (ou échange) une fois que les enfants sont partis.
Le chien, c’est prouvé, apaise les tensions des grands malades, en diminuant les sécrétions de cortisol (qui aggravent le stress). La présence de la vie les rassure, parfois mieux que des « proches » qui ont des pensées parasites, sont gênés, culpabilisent etc. On aime leur côté brut, simple.
La pathologie des sans-abris qui se collent à leurs chiens toute la journée. Le chien réchauffe le corps, et vient combler les carences affectives. (Les badauds fixent le chien plutôt que le maître, pour éviter la détresse du visage. cf. Levinas !…) La réinsertion est beaucoup plus compliquée avec des chiens : démarches administratives, transports, nourriture, centre d’accueil. Un SDF qui perd son chien plonge dans une dépression rapide, accentuée par le grouillement de la ville. Le SDF donne des coups, et prive le chien de nourriture, pour qu’il obéisse parfaitement—et se sentir tout-puissant. Les « punks à chiens » font boire de l’alcool et vont jusqu’à droguer leurs chiens.
Anecdote de Levinas : Les nazis considèrent des prisonniers juifs comme des bêtes quand tout à un coup un chien arrive et « leur fait la fête » ; pour le chien, c’était incontestable, ils étaient bien des humains.

Religions :
Le bouddhisme (M. Ricard) défend l’idée qu’il y a une souffrance animale. (Quand je pèche un poisson hors de l’eau, il souffre comme nous souffrons en nous noyant.)
Et l’Islam, qui interdit de posséder un animal de compagnie.