La photographie n'a pas tuée la peinture dans sa quête de la ressemblance avec la réalité. La peinture tentait depuis longtemps de dépasser la ressemblance. En outre, la photographie est obligée d'être représentative quand la peinture est libre.
La réalité mécanique du cinéma n'est pas subjective. Le monde du film est vu, pour ainsi dire, de l'extérieur. Grâce à la caméra, je peux voir le monde à partir du dehors, échapper à mon intériorité pour atteindre le monde tel qu'il est. C'est le monde lui-même - incontaminé par notre regard.
Tout ceci rejoint l'obsession de la réalité, et le difficile rapport au monde, à notre intériorité. La modernité chez Heidegger, c'est le sujet qui devient spectateur (mais qui calcule, donc le terme de spectateur ne convient pas) du monde. Pour le sujet, le monde est à portée de main. C'est l'Etre qui s'éloigne avec la modernité. Le sujet a besoin de sortir de soi avec la crise de la modernité, pour s'ouvrir à l'Etre.
Chez Cavell, la modernité amène la hantise du scepticisme chez le sujet : la quête de la certitude du savoir et de la maîtrise technique ne se sépare pas de la hantise que la réalité soit à jamais inapprochable. Le problème de l'existence dans le monde, et avec les autres - le problème sceptique - n'aura pas de solution définitive. C'est le sentiment ou la crainte de ne pas être en présence de al réalité qui produit le désir obsédant de réalité.
Le monde d'un film défile sur l'écran, il s'offre ainsi au regard d'un spectateur qui reste invisible. Le cinéma nous permet de regarder le monde sans être vus. C'est le désir de voir le monde lui-même, sans médiation. Ce que la philosophie moderne semble nous interdire - à la fois chez Kant, Locke, Hume, Marx ou Nietzsche)... qui nous interdisent d'imaginer un monde objectif, hors de notre subjectivité. Il y a une revanche du cinéma contre la métaphysique.
Le problème de cette "revanche" étant que ce monde qu'on voit sans être vu, nous en sommes exclus. Ce qu'on voit sur un écran, ce ne sont pas des représentations subjectives mais des transcriptions automatiques de la réalité... je vois un monde dont la réalité extérieur n'est pas en doute, mais qui ne me donne pas prise. C'est un monde dont je ne fais pas partie. Je rêve de sortir de ma subjectivité, le regard d'en dehors du monde qu'offre le cinéma ne me satisfait qu'à moitié. A jamais ce monde sera vu devant moi, hors de ma portée.
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notes tirées de l'article de Paola Marrati dans "A quoi pense le cinéma?". revue du collège international du philosophie.
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