"Noèse", "noème" sont des termes décalqués du grec. La noésis, càd ce que fait le "noûs" (esprit), c'est l'opération de la pensée, c'est donc le côté subjectif. Le noème, c'est ce qui est visé par cette pensée (le "corrélat noématique" ; si je pense, je dois bien penser quelque chose, ce quelque chose, Husserl l'appelle le noème), donc c'est plutôt le côté objectif.
Entre ces deux éléments, il n'y a pas de différence REELLE (ça veut dire : je ne distingue pas deux choses, ici, dont l'une serait la pensée et l'autre la matière, à la façon cartésienne), mais deux pôles d'un même phénomène. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire que ce noème soit un quelque chose existant matériellement dans le monde. Par exemple, je peux repenser à mon appartement dont je viens de déménager, dans le souvenir. Le côté noétique (donc de la noèse), c'est le souvenir comme un certain mode de se rapporter à l'objet (auquel je pourrais me rapporter autrement, par exemple dans la détestation, dans l'oubli, dans la crainte, etc), le côté noématique c'est la maison, mais pas comme une chose au sens réaliste, il se peut d'ailleurs que l'appartement ait été détruit depuis, etc., mais comme ce à quoi se rapporte, hors de moi, cette pensée ; elle se rapporte à un appartement ayant existé, dans lequel j'ai vécu, etc.
Ce qu'il importe de comprendre, c'est que le "phénomène" - donc ce que va travailler le phénoménologue - ce n'est pas seulement le côté de l'objet (donc, c'est pas du Kant), mais l'ensemble. Du point de vue de Husserl, ce qui ne suffit pas chez Kant, c'est qu'en gros il réduit le phénomène (Erscheinung) à ce qui est perçu, alors que la perception n'est qu'une manière parmi d'autres de se rapporter à quelque chose, et que les autres manières (la haine, la crainte, le désir et tout ce que tu veux) produisent un phénomène différent. Me souvenir de la maison, haïr la maison, espérer la maison, etc. sont des phénomènes différents. Ce n'est pas seulement le sujet qui change (ses états affectifs), mais l'objet aussi.
En ce qui concerne l'essence, elle ne me semble pas recevoir chez Husserl un contenu différent de celui qu'on trouve chez tous les philosophes depuis Platon.
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La transcendance du monde, cela signifie, comme tu l'as compris, que le monde est hors de moi. Il n'est pas "dans" ma conscience. Ceci permet à Husserl de se débarasser de ce qu'il appelle le "psychologisme" (le monde n'est rien d'autre qu'un état de ma conscience, quelque chose qui est "dans ma tête" puisqu'il n'est pour moi qu'en tant que je me le représente) Eh ben non, il est dehors, sinon ce ne serait pas un monde et je ne peux pas comprendre, avec cette manière de voir, comment je distingue par exemple une perception (d'un objet) et une hallucination. Pour cette affaire de transcendance du monde, je te renvoie au fameux article très saisissant et brillant de Sartre dans Situations 1 sur le concept d'intentionnalité. Transcendant : extérieur à.
Husserl utilise "transcendantal" dans un sens kantien. Le sens que donnaient à ce terme les philosophes du Moyen Age a complètement disparu (je ne l'ai lu chez aucun auteur postérieur à Kant ; on peut donc l'oublier sauf si on veut bosser sur la scolastique, Aristote, etc.). Chez Kant, transcendantal se rapporte aux "conditions de possibilité" de la connaissance. Pour Husserl, il faut faire ressortir que le monde est toujours un monde pour moi, un monde qui se donne à ma conscience, qu'il renvoie à un ego constituant, ego transcendantal, donc. On reste donc avec Kant. Il y renvoie mais il est quand même transcendant. Ce n'est pas pour le plaisir de faire chier que Husserl est très difficile, mais parce que c'est vraiment très difficile...Il faut essayer de penser ces deux choses en même temps.
Le mode d'accès (et c'est peut-être ce que tu entends par "comprendre" l'ego transcendantal), càd la manière de dégager cette sphère du "transcendantal", c'est la réduction phénoménologique. C'est par cette réduction et elle seule que je peux espérer comprendre.
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La conscience, chez Husserl, est transcendantale. C'est pourquoi vous ne pouvez comparer évidence husserlienne (phénoménologique) et évidence cartésienne (ontologique). Chez Husserl, ce n'est plus : je pense, donc je suis, mais : je pense, donc je suis pensant. Évidence apodictique à ses yeux, l'évidence n'est plus chez lui adequatio intellectus rei, car elle n'a pas pour fonction de nous renseigner sur la nature du monde, de nous dire ce qu'il est. Sa fonction est de nous dire qu'il est (expérience du monde), peu importe ce qu'il est.
Schizophrène ou pas, chacun fait l'expérience du monde, indépendamment de la question de savoir ce que cela dit du monde ou de chacun. Ce qui intéresse Husserl, c'est l'intentionnalité de la conscience, laquelle est conscience de quelque chose (la visée de). C'est donc elle qui apporte l'évidence (ou la preuve) du monde en tant qu'il apparaît (phénomène), pas en tant qu'il serait ceci plutôt que cela (ontologie). C'est en cela que la conscience husserlienne est transcendantale.
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