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dimanche 17 février 2013

Deleuze, 'Proust et les signes'


Proust et les signes



Apprendre, c'est d'abord considérer une matière, un objet, un être comme s'ils émettaient des signes à déchiffrer, à interpréter. Il n'y a pas d'apprenti qui ne soit l'égyptologue de quelque chose. Un homme peut être habile à déchiffrer les signes d'un domaine mais rester idiot dans tout autre cas : ainsi Cottard, grand clinicien.

L'oeuvre de Proust est fondée sur l'apprentissage des signes, non sur l'exposition de la mémoire.

Le signe mondain apparaît comme ayant remplacé une action ou une pensée. Il tient lieu d'action.

La vérité n'est jamais le produit d'une bonne volonté préalable, mais le résultat d'une violence dans la pensée. A l'idée philosophique de méthode, Proust oppose la double idée de contrainte et de hasard. La vérité dépend d'une rencontre avec quelque chose qui nous force à penser, et à chercher le vrai.

C'est que le temps perdu n'est pas seulement le temps qui passe, altérant les êtres et anéantissant ce qui fut ; c'est aussi le temps qu'on perd (pourquoi faut)il perdre son temps, être mondain, être amoureux, plutôt que de travailler et de faire oeuvre d'art ?). Et le temps retrouvé, c'est un temps qu'on retrouve au sein du temps perdu.

Il y a des signes qui nous forcent à penser le temps perdu, c'est à dire le passage du temps, l'anéantissement de ce qui fut, l'altération des êtres.

"La femme médiocre qu'on s'étonnait de les voir aimer, leur enrichit l'univers bien plus que n'eût fait une femme intelligente". Il existe une ivresse que donnantes natures rudimentaires parce qu'elles sont riches en signes. Avec la femme médiocre aimée, nous retournons aux origines de l'humanité, c'est à dire aux moments où les signes l'emportaient sur le contenu explicite. Cette femme ne nous communique rien, mais ne cesse de produire des signes qu'il faut déchiffrer.

On ne sait jamais comment quelqu'un apprend ; mais, de quelque manière qu'il apprenne, c'est toujours par l'intermédiaire de signes, en perdant son temps, et non par l'assimilation de contenus objectifs.

"Je ne fus pas moins frappé de penser que les chefs-d'oeuvre peut être les plus extraordinaires de notre époque sont sortis, non du concours général, d'une éducation modèle, mais de la fréquentation des pesages et des grands bars".

"L'impression est pour l'écrivain ce qu'est l'expérimentation pou rle savant, avec cette différence que chez le savant le travail de l'intelligence précède et chez l'écrivain vient après".

Nous faisons déjà l'apprentissage des signes quand nous pensions perdre notre temps. Nous nous percevons que notre vie paresseuse ne faisait qu'un avec notre oeuvre : "Toute ma vie… une vocation".

Un amour médiocre vaut mieux qu'une grande amitié parce que l'amour est riche en signes, et se nourrit d'interprétation silencieuse. Une oeuvre d'art vaut mieux qu'un ouvrage philosophique car ce qui est enveloppé dans le signe est plus profond que toutes les significations explicites. Il y a "ce qui donne à penser".

Charlus est compliqué. Son génie est de retenir toutes les âmes qui le composent à l'état compliqué : c'est par là que Charlus a toujours la fraîcheur d'un commencement de monde, et ne cesse d'émettre des signes primordiaux. 

La vérité ne se livre pas, elle se trahit. Elle ne se communique pas, elle s'interprète, elle n'est pas voulue, elle est involontaire. Plus important que la pensée, il y a ce qui donne à penser. des expressions qui nous forcent à penser.

Il faut être doué pour les signes, s'ouvrir à leur rencontre, s'ouvrir à leu violence. L'intelligence vient toujours après.