jeudi 25 septembre 2014

Bellanger, ITW complète


En 2010, vous écrivez dans « Le futur n’a pas besoin de nous » où vous meniez un parallèle entre le structuralisme et l’histoire de la cybernétique. Comment voyez-vous la notion de la Singularité aujourd’hui ?

La notion de singularité technologique, au delà du fait que ça n’avait jamais été abordé dans le roman français, c’est ce qui ressemble le plus à une religion à laquelle, à laquelle je n’y crois pas moi-même. Mais c’est beaucoup plus solide et costaud que le marxisme – croyance religieuse envers le progressisme. Et au vu de ce qu’a pu être le marxisme dans le paysage intellectuel français, j’ai essayé de voir comment la Singularité pourrait les affecter.
L’idée était d’en faire le premier singulariste. Ce n’est pas une opinion sérieuse. Il est aujourd’hui insensé qu’un homme sérieux y croit ; tout comme il était impossible qu’en l’an 14 un homme sérieux croit au christianisme. D’où l’idée de l’appeler Pascal, symbole de ce personnage qui, très scientifique, a été touché par une crise mystique. Pascal était certain d’avoir une si bonne preuve de l’existence de Dieu qu’il croyait pouvoir l’appliquer au machine. C’est donc une tension entre le meilleur ingénieur, le meilleur business-man, et toutes ces caractéristiques en font un croyant anachronique. Pascal va dans le champ le plus structuré de la science de l’époque – la recherche sur le vide – et a en même temps une crise mystique.

La critique de la technique après Heidegger.

La lecture de Dantec au tournant des années 2000 a été importante pour moi. A lui tout seul, c’est le courant cyberpunk en France. C’est à dire adhésion totale au progrès, devoir de l’humanité de se modifier. J’ai effectivement adhéré aux thèses de Dyson et à son opposition entre les partisans

J’ai pensé, à une époque, que le progrès technique était exclusivement bon. Par exemple que, si les robots nous succèdent, je n’y voyais pas de problème, ç’aurait été de l’ordre des choses. La contradiction chez moi, c’est que je suis un gros lecteur de Leo Strauss, le roi des philosophes qui dit qu’il existe une nature humaine. Et la fascination qu’un auteur au fond très humaniste comme Leo Strauss entre a priori en contradiction avec le présupposé transhumaniste, l’idée que l’homme est formé par le système technicien, que l’homme d’aujourd’hui n’est donc pas le même que celui de Platon.

Vos personnages ne semblent pas influencés par le substrat technique. À l’inverse de McLuhan, vos personnages sont plus influencés par les idées que par la technique.

Les théories du complot aujourd’hui, sous le vernis d’un « tout est caché », disent que quatre hommes sont suffisant pour en gouverner six milliards. Ces théories sont, en quelque sorte, profondément humaniste – au sens d’une domination de l’homme sur son histoire.
Le roman balance entre deux conceptions de l’histoire, incarnées à un autre niveau l’opposition entre archéologie et histoire. On est face à un conflit entre les archéologues et les historiens. Ces derniers se font voler leur méthode et leur travail par des archéologues. L’archéologie, c’est l’histoire comme science dure.
Dans la deuxième partie du XXème siècle, les sciences humaines avaient, comme méthode, non pas celle scientifique du hypothèse - vérification, mais la croyance à la révolution. Les théories lacaniennes comme quoi l’inconscient n’est même pas de l’ordre physique.
« On peut même ne pas lire Freud pour avoir à les réfuter. »

Quelle est la « première technique » que vous présentez dans l’Aménagement du Territoire ?

C’est d’abord un fantasme d’énarque, ou de macroéconomiste qui pourrait contrôler une société comme un réacteur nucléaire. C’est donc un énarque qui pleure de joie car il comprend que ses rêves n’ont pas été vains.
Ce n’est pas seulement ironique. Plus on va loin dans le temps, plus on va vers des sociétés non pas primitives ou simplistes, mais plus les sociétés se sont pensées comme telles, avec une certaine complexité. Une société primitive a peu de mythes, mais ceux-ci ont un intérêt immédiat. Lévi-Strauss
C’est aussi l’idée qu’une banque centrale puisse, de façon mécanique à un pour-cent près, et que ça puisse influencer les cycles économiques.
C’est l’indexation du temps humain sur les cycles naturels. Et ça pose des questions sur le calcul énergique disponible, avec de l’uranium.

Comment en êtes-vous venus à mixer des personnages fictifs avec des figures bien réelles de l’univers des technologies, comme Sergey Brin ou Mark Zuckerberg ?

Brin est un personnage à lui tout seul, il veut lutter contre une maladie génétique en créant une entreprise. C’est un personnage secondaire. Ils appartiennent à une généalogie d’industriels de génie.
Steve Jobs admire Henri Ford, un industriel de génie, qui a pourtant été dépeint pendant un siècle comme une figure critiquable du capitalisme.

C’était une inquiétude sur la pérennité du modèle Facebook. Je ne croyais pas à l’avenir de Facebook, et pensais laisser là une trace pour l’époque où nous l’aurions complètement oublié. Il se trouve que Facebook a bien tenu. Déjà en travaillant sur La Théorie, j’ai compris que la mémoire du minitel était en grande partie orale, que je le travail d’archive – au moins artistique – n’avait pas été fait.

Le désintérêt profond pour les thèses économiques – un peu plus largement comprises que la « critique de l’open space ». Alors qu’il y a une puissance de pure rêverie dans l’aventure capitaliste, qui est quasiment au delà du bien et du mal. « Le capitalisme est la plus belle aventure humaine ».

On néglige à quel point les utopies libérales ont une aussi grande ampleur que les utopies alternatives. Les utopies de libération de l’homme sont aujourd’hui portées par les startups.

Quand on prend les textes du dernier Foucault sur la réalisation de soi. Foucault aurait adoré Grindr, et les intellectuels foucaldiens n’y voient rien. La promesse de libération de l’homme est portée par le camp des capitalistes.

Si le monde est une suite de zéro et de un, toute religion est interdite. Or la Singularité montre qu’il reste des inconnues dans l’univers.

Comment voyez-vous la publication des livres aujourd’hui ?

On ne sait pas où acheter le livre. On ne sait pas encore si le livre est le logiciel (sur l’Appstore) ou le contenu (sur Itunes). La réponse est simple : on l’achète sur Itunes car c’est du contenu. Plus fort encore que la forme du livre papier, c’est l’autorité de l’auteur sur son texte. Qu’est-ce qu’un livre ? C’est un gros code avec l’interdiction d’y toucher. La littérature, par principe, pose l’existence de l’auteur.

Nail Stephenson, le cyberpunk américain, parle de la littérature comme un logiciel : une façon qu’a eu mon cerveau de tourner pendant quelques mois.

Quand on produit de la littérature, on améliore ses capacités intellectuelles. De façon très temporaire certes, comme du dopage.

Il ne faut pas trop croire au pouvoir humaniste de la littérature, avec tous les contre-exemples qui existent. Par contre, quand vous allez lire, vous allez être meilleurs, mais ça ne dure pas.

Internet me semble être un domaine où l’humanité y lit plus qu’elle n’a jamais autant lu que ces quinze dernières années.

La Théorie était un livre d’entrepreneurs, L’Aménagement serait donc son pendant étatiste ?

La Théorie était un énorme catalogue de preuves, sans précisément dire ce qu’était la Singularité.

L’angle reste une analyse de la France et de ses névroses. Qu’est-ce qu’un haut fonctionnaire, à quoi croit-il ?

Le roman et l’iPhone ont en commun d’être des « vélos pour l’âme ». C’est à l’entreprise de penser aux effets disruptifs d’un outil.

Le roman pourrait être le reflet parfait. Le roman est une université de substitution. C’est le dernier modèle où « tout est permis ».

Ma chance, c’est que je suis un obsessionnel de beaucoup de choses.

Mon seul dialogue avec l’histoire littéraire présente a été par Houellebecq.

Le roman français met en place des écrivains et des artistes car il se pense au sommet de la création. C’est un certain narcissisme certain des écrivains.

Un roman est l’empreinte de mon cerveau.

L’art est inférieur à l’industrie. Aujourd’hui, un roman c’est moins beau qu’une voiture même Hundai. On a perdu le primat de celui qui fait les plus beaux objets à un temps donné. Aujourd’hui, celui qui fait les plus beaux objets à un temps donné, c’est Apple.

J’ai conscience d’être à l’ombre d’un *truc* industriel plus puissant que moi, mais c’est mon idéal, c’est d’atteindre ça. Hergé a réussi à atteindre ça, la perfection artisanale. Les romanciers français en sont conscients, ils se mettent dès lors dans des situations de caprice, ils se mettent en scène. Moi j’ai encore un classicisme très prononcé vis-à-vis du roman qui est : je dois atteindre les standards de l’industrie.

Séminaire Badiou


Complexe du : résignation + satisfaction. C'est la finitude qui rend possible de se contenter d'être satisfait. La vie est bornée par la mort. 

Il vaut mieux un Socrate mécontent qu'un pourceau satisfait.

Ne pas confondre la finitude et l'infini. Une droite est finie mais a une infinité de points.

Dieu est mort veut dire : il est inactif. Les mouvements religieux contemporains font de la politique pour elle meme. Indépendamment de la religion. 

La circulation est l'essence même du déchet. Ce n'est pas une donnée de la marchandise. C'est la circulation qui en est l'essence

Le déchet est divisible, accessible. 

L'œuvre c'est la butée contre la circulation. C'est ce qui fait que ca ne circule plus. C'est l'art. C'est l'amour qui suspend le temps aussi. 

N'est possible que ce qui est prévisible. Le possible se laisse t'il normer par la prévision.