dimanche 23 avril 2017

Furet « Le passé d’une illusion »

Mi-XIXème, on accuse les prolétaires d’Angleterre de partir « chercher de l’or » en Australie ou en Californie ; cela va à l’encontre de la baisse tendancielle du taux de profit. On les accuse de tricher.

Les prolétaires devrait être excités par les crises ; mais ils se calmèrent toujours et les crises se résorbent naturellement.

Il y a, parmi les intellectuels, une formidable « résistance à l’expérience. »

Chateaubriand déteste le bourgeois par nostalgie d’avec l’Ancien Régime. (On a perdu à jamais la perfection de la noblesse avec ces bourgeois.) Puis, c’est plus tard que c’est vis-à-vis des prolétaires.

Mauvaise conscience du bourgeois : la révolution anti-aristocratique n’a pas apporté toutes ses promesses. Honte de soi-même car les rêves « révolutionnaires » ont apporté une situation ambivalente.

Le bourgeoise doute de lui-même, et balance entre la défense de la différence et celle de l’égalité. Rousseau hésite entre la solitude des _Rêveries_ et le vivre-ensemble du _Contrat social._

La démocratie est un régime qui se déteste, depuis ses origines, mais aujourd’hui personne n’a connu autre chose.

Le prolétaire veut devenir bourgeois. Donc la vraie question historique, c’est d’où vient la déchirure intérieure du bourgeois.

L’Allemagne en 1914 est encore incertaine de son territoire, cela explique l’idée que le Reich pourrait s’agrandir ; les frontières n’étaient pas aussi fixes qu’en France à la même époque.
Il y a des racines romantiques à la haine de l’individualisme bourgeois. En Allemagne, cela prend la forme de Kultur contre la Zivilisation : la Zivilisation c’est l’individualisme de 1789. (Thomas Mann et d’autres.)

En 1789, la France est le pays le plus civilisé d’Europe, tout le monde parle le français dans les cours européennes. La Révolution ne change pas les regards (déjà admiratifs) des autres sur le pays. À l’inverse, Octobre 1917 change le regard porté sur la Russie qui passe immédiatement de pays arriéré à celui d’avant-garde.

Un jeune philosophe aime l’universel, il lutte contre le bourgeois aux idées arriérées mais surtout _locales._

En URSS, en 1929, Luckas vit dans des conditions difficiles, car il est suspecté d’être un traite à la ligne marxiste-léniniste ; il refuse néanmoins de serrer la main de Victor Serge, jeune penseur français qui finira déporté au goulag puis libéré en 1941, qui était, à l’époque, surveillé et suspect d’opposition au régime.

En 1930, l’URSS n’a pas encore d’équivalent historique, les hommes ne peuvent comparer le régime à aucun autre dans l’Histoire.

La crise de 1929-30 en Europe sera utilisée tout au long des années 1930 comme une démonstration de l’effondrement imminent du capitalisme, comme l’anarchie du marché à l’œuvre. La planification en URSS, Mussolini, et même Roosevelt vont dans le même sens. Spengler tient ce discours en 1932 en Allemagne : voici le signe de la fin du capitalisme.

Chez Sorel, la violence sort l’homme affaibli de la léthargie « bourgeoise » et nous sort de l’hypocrisie ; c’est un régime de la vérité, une éthique aussi. Sorel développe la fascination pour la « grève générale » qui sera reprise par les syndicalistes.

L’argent est perçu comme un moteur de la désagrégation de la société chez les fascistes.

Mythe communiste : le fascisme provient d’une alliance « bourgeoise » avec le capital, or c’est historiquement faux.

En Allemagne après 1918, le trait distinctif entre les groupes para-militaires et les bolcheviks c’est l’expérience de la guerre des tranchées.

Le libéralisme et le marxisme appartient tous les deux à la Zivilisation ; c’est-à-dire des ennemis de la Kultur allemande. Il s’agit de lutter contre les deux à la fois avec le nazisme.
Or, côté bolchevik, on tient le fascisme pour une dégénérescence de la social-démocratie.

A partir de 1933, Paris devient la place centrale où s’élabore le communisme à l’international, après Berlin où les communistes ont échoué face aux nazis. L’arrivée du Front Populaire en 1936 est la première grande victoire du communisme en dehors de la Russie.

L’anti-fascisme est le camp de la révolution, seuls les communistes peuvent s’en prévaloir, voilà tout l’effort de la rhétorique de Staline dans ces années-là ; seul l’épisode entre le pacte germano-sovétique et la guerre va être difficile à faire avaler.
Staline se définit contre le fascisme plus que pour quelque chose. L’uRSS est l’avant-garde démocratique contre l’avancée du fascisme.
Il faut donc _inventer des fascismes_ partout pour pouvoir se définir contre cela, pour se faire exister. On traite Trotsky de « hitléro-trotskyste » pour insister sur le caractère binaire du soutien à l’URSS ou au nazisme.

En 1935 paraît un des premiers livres critiques de l’URSS par Souvarine, un des anciens membres du parti en URSS, alors qu’au même moment a lieu le « Congrès des écrivains pour la défense de la culture » à Paris, organisé par le PCF.

**Intellectuels**
Romain Rolland passe du scepticisme en 1927 à l’adhésion pleine et entière à l’URSS en 1929. Avec Gide, Malraux, Nizan, Aragon. Les nazis veut sauver l’ancien monde, l’uRSS en construire un nouveau. Même Gide à cette époque attaque le passé contre l’avenir promis par l’URSS.
Gide est un compagnon de route, c’est-à-dire qu’il s’autorise quelques « questions » ; il vient d’un milieu bourgeois protestant qu’il n’aura de cesse de combattre, surtout du côté des mœurs dont il a souffert en tant qu’homosexuel. Il incarne la haine du bourgeois individualiste (et esthète) contre le bourgeois.
En 1936, son « Retour d’URSS » est un coup de tonnerre en France, vendu à 150k exemplaires la première année. On trouve le moyen d’accuser le « bourgeois » en lui.
Drieu aime les idées vagues, les hommes d’action. L’idée qu’il y a quelque chose de « plus grand que soi » le porte.
Breton vit un échec total, c’est un génie sans emploi, un révolutionnaire sans révolution depuis qu’il a décidé de se taire sur l’URSS.

La revue Esprit, chrétien de gauche, incarne aussi l’idéal romantique, la recherche d’une communauté contre les individus « séparés » les uns des autres. Persuadés qu’aucun ordre social ne peut émerger de l’état bourgeois individualiste. La bienveillance d’Esprit envers les débuts des fascismes s’expliquent par leur tentative de recréer des communautés nationales.

Georges Bataille parle de la misère psychologique du bourgeois, de l’homme utile perdu dans le prosaïsme du calcul économique. Le bourgeois efface la dimension orgiaque de l’échange. Il n’y a plus de fête ni de sacré pour le bourgeois par rapport aux primitifs. Le bourgeois ne dépense que pour lui-même, il rompt l’ordre social. La société bourgeois est _homogène_ et sans passions, sans différences, sans sexualité. Le prolétariat est la seule classe hétérogène. Le programme du Collège de sociologie entre 1938-39 est d’étudier la dimension sacrée des phénomènes sociaux.

Au sortir de la seconde guerre, le nazisme va payer pour tous les crimes commis au vingtième siècle. Le fascisme n’existe plus que parmi ses détracteurs, qui veulent continuer de le faire vivre pour exister.
Pourquoi le modèle américain sort-il si faible de la guerre en France, et plutôt mieux en Allemagne ?

L’école de Francfort, et d’autres, sont convaincus que l’État totalitaire naît naturellement du stade suprême du capitalisme de monopole.

Le présupposé selon lequel les démocraties européens ont pactisé avec Hitler donne une vision monstrueuse du bourgeois, qui serait l’allié (inavouable) d’Hitler. Et cela va servir tous les discours antifascistes de l’après-guerre de Staline.

L’URSS est le seul concurrent anti-occidental sérieux, sujet à tout le ressentiment des élites des pays pauvres.
Le pro-communisme a rendu les États occidentaux complices de Staline dans le rapatrient des prisonniers (ou exilés) d’URSS après guerre. Ils finiront au goulag. L’occident, tolérant et respectueux envers Staline, a donc été complice de ses crimes.

L’idée de Staline et des siens est de faire perdurer la menace fasciste, latente mais bien réelle, jusqu’à la grande révolution socialiste qui seule peut mettre fin aux sentiments fascistes. Toutes les sociétés sont donc soupçonnées de fascismes tant qu’elles n’ont pas accompli la révolution socialiste—tous les discours allant à l’encontre de la révolution sont eux aussi suspects, sinon fascistes tout au moins alliés objectifs du fascisme.

La révolution d’octobre 1917 utilise des moyens coercitifs malgré elle, dans la lignée de 1789, mais le fond est juste. Son « essence » est juste, on ferme donc les yeux sur les moyens.
Les intellectuels aiment le marxisme car c’est une science de l’histoire dont seule une avant-garde possède le secret ; l’intellectuel _y a un rôle_ contrairement à la société capitaliste. Goût pour le pouvoir, passion pour la force.
Le marxisme, comme philosophie de l’histoire, a besoin d’interprètes, cela séduit les penseurs.

Comment les Américains peuvent-ils imaginer que tout le sang versé par les communistes de Staline peut ne pas être « au service de la liberté » à la fin de la guerre ? Comment imaginer qu’une dictature peut pousser les hommes à se sacrifier ainsi ?

Selon Arendt, l’idéologie est un système fermé d’interprétation de l’histoire qui dénie tout sens à l’action créatrice de l’homme. L’ordre social ne fait donc qu’un avec l’histoire.

Il n’y a pas d’anti-totalitarisme en France après 1945, seulement un anti-fascisme et un anti-anticommunisme.

Tito, dès l’après-guerre, comme Mao, après le rapport Kroutchev, se séparent de l’URSS ; ils n’ont pas eu besoin des chars soviétiques pour gagner le pouvoir dans leur pays.

Paradoxe autour de Soljenitsyne : il est lu et apprécié à l’ouest par les intellectuels de gauche car Kroutchev le défend a priori, pour ramener à sa cause les intellectuels d’URSS. La gauche n’aurait pas lu Soljenitsyne si Kroutchev n’avait pas donné le signal que c’est un auteur défend (toléré) par le régime.

Avec Brejnev autour du milieu des années 60, la cause pro-communiste se transforme en un anti-impérialisme anti-américain ; autour des luttes nationales comme le FLN et ailleurs. Puis Castro, Mao, etc. « L’impérialisme est le stade suprême du capitalisme. »
Mao accuse Kroutchev d’avoir trahi le marxisme-léninisme, c’est un retour au source.
Comme pour Castro, Mao incarne la figure de l’intellectuel mené au pouvoir par une armée populaire. La Chine de Mao est pauvre, austère et juste. Le Cuba de Castro est un paradis latin, plein de chaleur communautaire. Seule l’imaginaire de la pauvreté fascine encore dans les années 1960, maintenant que la question de la croissance économique ne faisait plus débat comme dans les années 1930 (crise du capitalisme), voir 1950 (plan quinquennaux).

Le nouveau souffle marxiste-léniniste est un individualisme anti-bourgeois d’étudiants et intellectuels ; l’URSS n’inspire plus que les ouvriers.
La bohème intellectuelle repose sur le double, paradoxal, de la _haine de soi_ et le _culte du soi_ chez les étudiants bourgeois.

A partir de 1975 naît la question des « droits de l’homme » et de son intégration dans les pays communistes—qui pourtant reposent tous sur un parti unique.

Le dernier rêve marxiste-léniniste est l’épopée des Khmer-Rouge entre 1975-77.

Althusser, Marcuse et Foucault n’ont jamais critiqué, ni analysé, le socialisme réel. En 1975, Glucksmann sort son premier livre. L’Archipel du goulag est vendu à un million d’exemplaires.
En 1981, le programme de la gauche portée au pouvoir sur le thème de la « rupture avec le capitalisme » est la dernière apparition du néo-bolchevisme dans l’histoire politique occidentale.

samedi 15 avril 2017

L'esprit bourgeois 1

# Ott « Martin Heidegger »

Faible constitution physique : il se fait renvoyer de chez les Jésuites car il n’arrive pas à suivre le rythme des longues marches.

Il s’éloigne du catholicisme après son double échec chez les Jésuites et comme étudiant en théologie. Il finira par épouser Elfride en 1917, alors que toute sa famille est étonnée devant ce « mariage mixe », car Elfride est luthérienne, étudiante en science politique à Fribourg ; Heidegger est alors assistant professeur.

Attitude partielle de Husserl quand, en 1918, Heidegger lui donne des nouvelles de « la philosophie en train de se faire » à Berlin, où il séjourne quelque temps.

En 1936, Heidegger porte à sa boutonnière une croix gammée quand il passe un journée avec son vieil ami Löwith—un Juif.

Marcuse est son étudiant à Fribourg en 1928-1932.

Météorologue dans les Ardennes à l’automne 1918. Il laisse penser qu’il fut sur le front de Verdun.

L’Allemagne en étau entre l’Amérique et la Russe ; les mêmes d’un point de vue métaphysique car soumettant l’homme à la technique, et « l’organisation sans racines de l’homme normalisé. »

# Boudon

La sociologie est une discipline socialiste, par définition, qui empêche quiconque de comprendre le libéralisme : l’autonomie de l’individu est nié, on ne perçoit l’individu que comme un « pur effet » de structures, de son inconscient etc. En cela, la sociologie est un animisme qui explique les actions par ce qui entoure l’individu et non par lui-même.

# Hayek « Présomption fatale »

Descartes et le rationalisme : ils pensent que la raison peut former un langage, un droit, une morale.
Rousseau et le « bon sauvage » érigé en héros des intellectuels : l’idée de se libérer des contraintes « artificielles » devient le combat le plus sacré. Les intellectuels rejettent les contraintes même auxquelles ils doivent la productivité et la liberté.
Rousseau et la « volonté générale ». Or le sauvage n’a aucune autonomie individuelle, pour cela il faut des sphères individuelles de contrôle et cela n’est devenu possible qu’avec la propriété.
Le scientifique a besoin d’avoir un « but » prédéfini, il n’accepte pas de suivre une direction à moins que le but soit défini à l’avance (Einstein, Russel, Keynes.)
Le complotisme (Chomsky) consiste à appliquer au monde tel qu’il est (complexe), une pensée animiste : il doit y avoir quelque part des gens qui décident, car rien ne peut échapper au rationalisme, rien n’est « trop abstrait » pour être connu et fabriqué par nous autres. Des hommes qui ne se préoccupent pas d’un  « but » leur font peur ; de fait ils n’acceptent pas l’immanence — l’absence de quête de sens — vécue par les capitalistes.

Haine du commerce :
Le savoir tacite des entrepreneurs fait peur aux rationalistes. Un commerçant ne dit pas, ni ne sait parfois, d’où lui viennent ses informations.
Devoir dépendre de beaucoup d’hommes, d’actions, à l’issue incertaine, fait peur au rationaliste. Cela demande une connaissance du monde étranger, des « contrées lointaines ».
Depuis Aristote et l’Église, et partout dans le monde, le commerce a été suspect, dénigré.
Le commerçant modifie la valeur d’une marchandise, sans que personne ne sache sa recette. Cette activité respire la sorcellerie car il ajoute de la valeur par une simple réorganisation, sans création physique.

# Linhart

Dans le livre « Génération » les auteurs rappellent que les fondateurs de la G.P sont tous de l’élite (ENS, HEC, Centrale). Il y a un intellectualisme d’extrême-gauche, des gens qui sont tout en haut et pourtant décident d’arrêter les études, de devenir ouvrier, de quitter la ville—et parfois même de renier la culture, les livres.

-> Avant les entrepreneurs, les Mao déjà ont refusé les titres universitaires pour s’établir comme « travailleur manuel », seulement ils devenaient ouvrier quand Bill Gates devenait chef d’entreprise. (MS se lance en 1974, la GP termine en 1973.)

-> Je me retrouve dans cet hyper-intellectualisme. Les parents voulaient transmettre de la connaissance aux enfants ; aujourd’hui on veut s’assurer de leur bien-être.

# Le Dantec « Les dangers du soleil »

Mao n’était pas Staline, il était sa seule critique, bien plus que Trotsky. Mao enclenche un retour aux sources : les textes sur la Commune de Paris de Lénine, d’inspiration libertaire.

Cette scène lors d’un voyage en Tchécoslovaquie en 1965, avant son retournement Mao : Il est dans un bistrot avec son ami, il prend de pitié les hommes alentours qui regardent son paquet d’allumettes colorés («  de la SEITA, illustrée cette année là par des fables de La Fontaine ») ; il pense à leur offrir mais les hommes, orgueilleux, sortent le leur, un paquet avec inscrit dessus un slogan socialiste. « Leur douleur et leur amertume me nouaient les entrailles. Moi j’étais libre de circuler à ma guise, de venir leur rendre visite. Eux pas. Tout à coup, je me rappelai ma carte du Parti, serrée dans mon portefeuille, et la honte m’empourpa. » Le socialisme ne pouvait être ces visages fermés qui rêvaient devant cette boîte d’allumettes multicolores, à Cuba ou en Chine.
Des enfants dans la rue courent derrière lui pour crier « Chewing gum » comme les enfants français poursuivaient les G.Is américains pour demander du chocolat.

En arrivant en Chine, la petite délégation de cinq étudiants est rassurée, voilà qu’il existe un endroit égalitaire, où le socialisme est appliquée sans la morosité de l’URSS. Ces enfants de communistes, de résistants, ont vu tous leurs rêves s’effondrer petit à petit jusqu’à Mao : Staline, Thorez, l’Union soviétique, le Parti… « Ici, on est sûr que les masses ont réellement le pouvoir. »

# Aron « L’opium »

Aron se moque du fait qu’ils voient dans « le prolétaire » plutôt que « l’ingénieur » l’image de l’homme universel qui fabriquera la révolution et mettre fin à l’histoire. Finalement, on a depuis remplacer « le prolétaire » par d’autres noms « l’immigré » ou « le jeune de banlieue » ou même « les minorités », avec comme image, encore et toujours celle du Dernier Homme. On leur attribut des vertus singulières.
Haine des USA car la prospérité et l’égalitarisme a été atteint par le marché et non par l’intervention de l’Etat—donc par le « conseil du prince » et le constructivisme.
Haine des USA car, là-bas, l’homme de la rue n’a pas plus de droit de se prononcer sur le salut commun que l’intellectuel.
En URSS, les intellectuels sont persécutés, cela est bien la preuve qu’ils « comptent » ; tandis qu’aux USA, ils restent dans l’ombre ou connaissent parfois la notoriété. C’est l’envers de la responsabilité de l’intellectuel, être fait prisonnier certes, mais avoir de l’importance, diriger la nation comme un ingénieur. (Équivalent pour un Lordon aujourd’hui ? Il est mal payé donc n’a rien à perdre à changer de régime, il appelle de ses vœux un régime où il serait écouté par les hommes de pouvoir, où il ne serait plus victime de solitude (la masse l’écoute) ni de prostitution (ne s’abaisse plus à devoir « vendre »).
Aron insiste : l’intellectuel français a des goûts aristocratiques et déteste l’arrivée des marchandises et des « biens communs » venant des USA qui détériore le niveau de consommation aristocratique auquel il tient.

# Lecourt « Contre la peur »

Ce qu’on reproche à la « technique », c’est d’imposer le « principe de raison » à toutes les sphères de l’existence. La science n’est pas désintéressée, elle impose bien (par la technique) une vision du monde. Toute observation du réel est désormais un calcul. La technique exige de toute chose qu’elle rende raison. La technique est le péché de l’occident car elle a engagé l’esprit sur al voie de la représentation. On ne sait plus ce qu’on appelle « pensée ».

# Bimbenet « Invention du réalisme »

« La réalité procède en nous de l’autorité. » La thèse défendue dans cet ouvrage est la suivante. La croyance en l’existence du monde est induite par l’adhésion aux valeurs d’un groupe d’êtres humains. Cette adhésion est permise par le langage. Apprendre à croire au monde, c’est apprendre à manier la fonction référentielle des mots. Mais, pour manier les mots de manière à leur donner une référence, il faut être assuré d’avoir suffisamment d’autorité pour cela. La croyance dans le monde social précéderait donc, selon É. Bimbenet, la croyance dans le monde physique. Autrement dit, il n’est possible de croire en un monde d’objets, avec leurs caractéristiques physique simples, que si l’on croit dans le monde social.

Modiano

Un narrateur qui a oublié son passé (Rue des boutiques obscures), ou sinon ses personnages sont toujours dans le flou concernant des événements de leur vie, dans Villa Triste, le narrateur ne donne pas d’indication sur son passé, ni son futur ; il fait le récit d’une période, avec deux personnages. Dans Livret de famille, les souvenirs sont éparpillés sur des années, jusqu’au dernier, où le narrateur se retrouve dans l’appartement de son enfance et reconstitue pour la première fois un souvenir complet. Enfin dans Café de la jeunesse perdue, les narrateurs se succèdent et tous les récits (quatre) composent l’histoire de la disparition d’une fille qui fréquentait un café. L’intérêt de ce roman-ci tient à la composition et à la façon dont les souvenirs de chacun des quatre personnages composent une histoire qui tient debout.
Indéniable maîtrise formelle — toujours le souvenir de la guerre hante les narrateurs, la disparition des parents, le rôle louche du père disparu, les activités louches elles-aussi pendant la guerre, obsession aussi des non-français, des faux papiers, des voyages aux Amériques, de la noblesse Russe, des apatrides entre l’Egypte et l’Amérique du Sud.
Un travail de nomo-logie très sophistiqué sur les noms des personnages, des lieux ; on voit qu’il s’amuse parfois à dresser des listes des noms, d’adresses, de lieux dits… Pas tellement porté sur les dates, d’ailleurs. C’est vraiment un travail sur les sonorités des noms propres.

Chronique XIII

Titres : L’esprit d’entreprise. Comment meurent les faits. Points de friction. B comme « Enfance »

Ridicule d’Heidegger et des siens : l’homme est technique, intrinsèquement. Croire que la technique éloigne l’étant de l’être, c’est être aveugle au fait que le dernier stade de l’évolution, c’est la technique comme extériorisation des organes. (Plus besoin d’une fourrure, on utilise des habits qu’on peut enlever, etc.) Je considère la métaphysique comme un art, ni plus ni moins. On crée de beaux objets, on tente de dire des choses ; mais in fine, les outils nous conditionnent. En revanche, la théorie politique, et tout ce qui s’y apparente, me semble coupable, car 1. ils ne comprennent rien, ne lisent pas d’économie, et 2. ne travaillent pas à l’émancipation, contrairement à ce qu’elle prétend.

« Nous, adultes, n'avons inventé aucun lien social nouveau. L'entreprise généralisée du soupçon et de la critique contribua plutôt à les détruire. » Je repense à cette phrase de Serres. Que tellement de gens perçoivent Facebook comme de l’aliénation me semble fascinant : enfin un nouveau mode de relation est apparu, dans l’histoire, et voilà que nous sommes aveugles aux relations dont nous bénéficions. Etre jeune en 1970 devait être un cauchemar.

Après « Dimanche », je ne me vois plus écrire de la fiction. Je veux dire, la phrase de Edouard Louis n’arrête pas de me hanter : de pouvoir dire, à propos d’un livre, voici la réalité, tout ce qui est dedans est vrai. Prendre le contre-pied de l’art romanesque. Redonner à l’autobiographie une dimension titanesque, infinie, à la Proust, à la Knausgaard. (À la Ernaux, à la Debray, aussi.) Et dire, et le répéter, tout ceci est vrai. Il y a bien sûr une écriture, car l’auteur doit bien choisir de raconter une chose plutôt qu’une autre, d’une certaine manière plutôt qu’une autre. Mais à la fin, l’auteur peut dire « ici, tout est vrai », « voici la violence du monde » et je n’invente rien. De fait, après « Dimanche », je ne pourrai plus écrire autre chose que de l’entièrement autobiographique. Peut-être reprendre l’idée de « Liberté Égalité Fraternité », avec plusieurs longs chapitres, de 60-80 pages, qui racontent des épisodes d’une vie ; peut-être lui injecter un ordre plus proche d’un Debray, c’est-à-dire thématique, plus que chronologique. J’imagine une œuvre de 1000 pages qui puisse contenir tous les thèmes, qui embrasse la violence qu’a été pour moi le fait de rester vivant. Comme Knausgaard, multiplier les points de vues, achever le post-modernisme en terme de structure ; multiplier aussi, peut-être, les points de vue : reprendre le point de vue de mon père, d’Alain, de Thomas, de ma mère, sur les choses, utiliser leurs journaux, les correspondances. Faire la Comédie Humaine depuis l’intérieur, multiplier les matériaux, les niveaux de discours. Reprendre au classicisme (romantisme ?) la volonté de « tout y mettre », le roman comme université de substitution. Et peut-être aussi, la défense d’un certain Rousseau des « Confessions ».

L’auteur de « Sapiens » et « Homo Deus » dit à l’auditoire : « Pour les gens dans cette salle, McDo et Coca-Cola représentent un danger plus grand pour vos vies que Daesh. » Et la salle d’applaudir très fort. Cela est non seulement grotesque, mais dangereux. Car lui, l’auteur, je ne doute pas qu’il comprenne ce qu’il est en train de dire,… il est mesuré. Mais l’effet de son discours, ce que les gens en retiennent, c’est que Coca-Cola et Daesh sont posés sur le même plan, celui de la destruction de la vie. C’est exactement cela, cette comparaison, qui est criminelle.

Benfredj. Attitude « pragmatiste » de sa part, il affirme au premier degré que tous les salariés ne mènent pas les mêmes vies, ni n’ont les mêmes motivations et conditions financières ; vouloir les traiter sur un pied d’égalité est donc un non-sens. (Un fondateur de startup se payant au SMIC ne dit peut-être pas qu’il utilise l’argent de l’entreprise pour payer des repas, qu’il a un appartement de famille, etc. Mais peut-être qu’il vit effectivement avec un SMIC, on ne sait pas.)
Attitude tragique face à tous les procès qui arrivent après quatre ans (surtout au Prud’homme, on demande 40k pour avoir omis une condition au fait d’embaucher en CDD plutôt qu’en CDI). La morale de l’histoire, c’est qu’il va désormais au plus cher, qu’il n’a plus peur d’aligner l’argent qu’il faut ; pour un avocat, pour du parquet.
Devoir gérer autant d’argent, voir passer autant des sommes de 10k à 100k au quotidien donne une distance sur les petites sommes ; notamment les petits découverts, et agio, sur un compte courant d’un ou deux euros—c’est le business.

Un essai qui traite de ce paradoxe : alors qu’il n’y a plus de valeurs, les gens se comportent de façon encore plus « morale ». L’âge séculier, la disparition des institutions contrôlant/institutant les valeurs et le sens, a laissé place à un état moral supérieur.

La dédicace de Godard au début de « Vivre sa vie » est « Aux films de série B ». Godard s’inscrit dans l’idée qu’il faut, pour renouveler l’art d’une époque, utiliser les matériaux ignobles. La dynamique est plutôt simple : il faut tirer de l’ignoble une énergie pour accomplir une œuvre noble, tout en échappant à la complaisance du refus de regarder en haut. (C’est le risque chez Despentes, Dustan, Guyotat etc.). Le maniérisme, à l’inverse, refuse de regarder en bas. (Quignard, D’Ormesson etc.)

Milan Kundera. Qu’est-ce qu’un roman peut être le seul à pouvoir dire ? Il existe un art spécifiquement romanesque de l’essai, ironique, relativiste, hypothétique, ludique. L’art de l’ellipse, c’est d’aller directement au cœur des choses, d’éviter les notes inutiles. Le seul point unificateur chez Kundera et Broch, c’est un thème, pas les personnages. Un roman, c’est peut-être une longue définition d’un mot ou deux.

Desplechin redonne à « la famille » le droit d’apparaître dans une histoire. On peut mettre en scène des familles, et éviter le gentil-roman-familial.

BHL à propos de Le Pen, en 1990. « Il ne faut pas le rendre inéligible, mais infréquentable. »

Modiano dit « c’est une question de poids physique » pour parler de son rapport à la maturité comme écrivain. « Quand j’aurai pris vingt kilos, je pourrais faire des choses plus denses. »

Le mouvement social de Mai 68 s’accorde avec les récentes théories littéraires, avec l’émergence de la publicité. « Nulle différence entre les pratiques formelles du roman et la profusion des vitrines. » « Un même empire du commentaire » entre Tel Quel et la publicité : « on n’achète plus tant les produits que le langage qui les diffuse, on ne mange plus tant les nourritures que ce qui s’en déclare et s’en écrit. »
La France échappe par le discours à la violence en 68 — contrairement à l’Allemagne ou l’Italie.
La tâche d’un « Mao » c’est de s’échapper de sa carapace bourgeoise en allant à l’usine.

On passe finalement de la haine raciale (Impérialisme) à la haine de classe (Communisme) à la haine de soi (Antiracisme). On passe de la défense de sa race, de sa classe, de son « intelligence » (avant-garde du prolétariat), à la défense de la victime per se, de la victime que trop de fois on a souhaité « faire taire » au nom de principes supérieurs.
D’un seul coup, quand ? dans les années 1970 ou 1980, on cesse de se trouver mieux que les autres ; on internalise le Mal en soi-même. Puisque toutes les fois où l’homme a crié « suivez mon modèle » cela s’est terminé dans des camps, on estime qu’il faut cesser de s’affirmer et redonner la parole à la victime.

La cruauté du totalitarisme en URSS s’explique 1. par l’histoire russe, pleine de cruauté ; 2. par les partisans pro-violence parmi les anarchistes russes ; 3. par le scientisme « social » de l’avant-garde qu’il croit constituer—des hommes ralentissent l’avènement de l’Histoire.

Muray. C’est parce que les travailleurs ont disparu que la « dignité » associée au travail disparaît — au profit de la « dérision » de l’homme festif. La meute veut être plus nombreuse, plus fière. « L’opération “passé propre” est terminée ».
Celui qui réussit aujourd’hui est celui qui parvient à se présenter (à temps) comme victime ; et dans le meilleur des cas, obtient une loi en sa faveur ou une ode médiatique.
C’est l’heure de la bataille pour les bonnes causes, pour « ce qui va de soi ».
Conjonction d’un « mouvement sexuel de masse » et de la disparition de la sexualité individuelle.
Le Bien singe le Mal à chaque fois qu’il le faut ; il entretient comme des feux de camp les foyers de conflit. Le Bien élève lui-même le pseudo-Négatif dont il a besoin pour s’affirmer comme Bien.
La thèse esthétique de Muray est de « ridiculiser ce monde » ; s’il utilise la poésie (qui est terminée) c’est pour cela seulement, multiplier les manières de ridiculiser le monde. Il faut sortir du crime absolu (pour l’artiste) consistant à l’approuver et à communier.

La connerie d’un Guillaume Dustan parlant de son programme politique : « Il faut faire de la représentation à l’assemblée » ou « Il faut arrêter de travailler » ou « Il faut fermer les prisons ». Cette stupidité affligeante, de l’artiste qui raconte n’importe quoi, qui n’a aucun souci de la vérité, au point de dire des choses fausses, mais plus encore illogiques. Ceux-là me seront toujours trop lointains ; qu’est-ce qu’ils cherchent en proférant des mensonges, en refusant d’avoir une pensée sérieuse, de prétendre à l’exactitude ? (Ou cette connerie : « Un type milliardaire est forcément un ennemi de l’humanité » ; phrase qu’il faudrait renverser, « un smicard est un ennemi du bien commun ».)

Quand Ardisson interroge Houellebecq en 2000 à la télé, je comprends ce que veut dire Houellebecq quand il assène qu’avoir un style, c’est d’abord avoir des choses à dire. Ardisson ne parle pas de ses personnages ou de son « style » mais de thèmes : 1. La critique de Mai 68, 2. Le libéralisme sexuel, 3. La défense du clonage (transhumanisme). Et effectivement, Houellebecq se défend en disant : « Quand on est le premier à dire des choses, on s’en prend plein la gueule. »
Ce qui est dramatique, c’est de dresser la liste des écrivains dont on pourrait résumer l’œuvre ainsi, à des « thèses » avancées ; il n’y aurait à peu près plus personne dans la course. Quant à soi-même, il faut cultiver son « intention » à fond, et même s’il n’y a qu’une ou deux intuitions il faut les chérir car c’est à elles qu’est attaché notre talent.