samedi 5 mai 2018

Chronique XX

Malraux sur Jean Moulin :
« Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. (…) Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France. »

Renaud Camus :
« La possibilité du retrait disparaît. L’absence disparaît du monde. »

Flaubert et Stendhal :
« L’homme stendhalien avait aussi souffert de la banalité inhérente au monde extérieur. Mais pendant que Julien Sorel portait une puissante volonté et devait seulement la dissimuler et la modifier par nécessité de s’adapter au monde extérieur, Frédéric Moreau n’a pas du tout besoin d’ainsi s’adapter, pour la raison qu’il ne possède aucune forte volonté : il possédait seulement quelques illusions et quand elles se sont envolées, sa médiocrité ne se distingue plus en rien de celle de son entourage. »
L’un est un parisien ironique ; l’autre, un provincial dégoûté de la vie. Le premier sourit avec pitié de la nullité du monde. Le second s’emporte avec fureur et finalement est vaincu par la bêtise.

La connaissance n’a jamais fait de moi un homme meilleur. Et l’on pourrait dire : plutôt le contraire, tant celle-ci m’a rendu aigre, malin, subtil, machiavélique, et même méprisant (dans un cadre de tolérance conceptuelle, presque feinte). La gestion de l’argent, en revanche, c’est-à-dire mon rapport charnel à la propriété privée, oui, m’a très certainement rendu meilleur moralement. Mais qu’est-ce que cela veut dire, meilleur ? Être capable de bonté, ou, à l’inverse, être incapable de cruauté.
Le capitalisme ne devrait-il donc pas avoir la priorité sur l’humanisme ? Question difficile. Si les Allemands ont pu sortir aussi rapidement du nazisme, c’est parce que la propriété privée n’avait jamais été abolie à l’échelle du pays. Contrairement à l’URSS, ce qui rend les russes d’aujourd’hui étrangers à la notion de responsabilité, mère de toutes les vertus.

Dans L’âge des possibles : « Il faut se bâtir un truc. Un endroit où tu es in-atteignable. »

Nourissier rappelle qu’il y a la littérature des grands sentiments et celle des petites misères.  Comme lui, je préfère les petites misères aux grands sentiments ; d’où mon étanchéité avec Albert Cohen, en dépit de tout son talent. Mais aussi d’avec les Russes, qui ne se soucient que de la grande histoire, et même de Dieu—des choses pour lesquelles je n’arrive pas à me passionner. Céline est paradoxalement à l’entre-deux.

Il faudrait faire un livre rappelant qu'il ne faut pas oublier la plus grande erreur du XXème siècle : la complicité des intellectuels d’avec l’horreur ; et d’insister sur le fait que cela continue, notamment dans les universités, le milieu littéraire, etc. Reprendre la phrase d’Edouard Louis sur « la honte d’être de droite » aujourd’hui, et ce que ça veut dire.

Se construire un petit terrier où l’on peut cultiver sa radicalité, au quotidien. Est-ce cela, devenir inatteignable ?

Déception face à ces Think Tank, qui ne parviennent pas à s’extraire du souci du politique, des « réformes » ! Ce n’est pas que je défende la lâcheté, le non-engagement absolu, mais je trouve cela dégradant de discuter avec des hommes d’État et, pire encore, de devoir réagir à leurs discours, lois, propositions, etc. Les Think Tank se font dicter leur agenda par des hommes absolument médiocres, mauvais humainement et intellectuellement inexistant ; et j’ai trop peur que, par contagion, réagir à leurs singeries me rende tout aussi médiocre qu’eux.

Je ne parviens pas à terminer un roman de Foenkinos. C’est trop mauvais, me dis-je. Tout sonne faux dans l’espèce de ton burlesque, léger, décalé. Il voudrait nous faire du Kundera, avec de l’humour potache, des constatations ridicules, un rire-en-coin sur des personnages doux-amers, gentils et mous. Mais rien ne tient, dans son roman, aucune machine romanesque, aucun thème fédérateur, ne supporte le fil de l’histoire. Je trouve étrange que ses romans puissent avoir du succès, car cela provoque chez moi un ennui véritablement considérable—comme un livre pour enfant où rien n’arriverait à me capturer, où tout serait trop prévisible, facile, et presque injurieux pour l’intelligence du lecteur.

Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution :
L’esprit français est surtout l’esprit littéraire—on voit des habitudes d’intellectuels (rationnels, planistes, etc.) être reprises par les hommes de pouvoir ; les littéraires pensent qu’une révolution peut arriver sans heurts, ils ont trop confiance en la raison.
Les classes paysannes, bourgeoises et nobles se sont peu à peu confondues—mais tout en devenant de plus en plus isolées. Les gentilshommes ne parlaient plus à leurs serfs au moment même où leurs conditions se rapprochaient.
Les économistes, et ceci dès Quesnay, portent une vision socialiste et centralisée de l’État social de la France. Tocqueville cite des disciples de Quesnay qui décrivent des sociétés déjà complètement socialisées, avec collectivisation des moyens de production, école publique et obligatoire, etc.
Cette idée des Lumières, citée déjà par Turgot, qu’une fois éclairé par l’éducation, le peuple ne choisira plus la tyrannie.

Le structuralisme s’est lui-même détruit, car Barthes, Foucault, Bourdieu ont, à la fin de leur carrière, complètement cessé d’écrire des ouvrages structuralistes, voir même de prétendre s’insérer dans le champ de la recherche ; ils font de la littérature. Barthes, évidemment ; Bourdieu avec La misère du monde et Foucault avec ses essais sur le souci-de-soi. On voit bien que 1) ils se fichent bien de la notion de vérité, du souci de rigueur scientifique et 2) que le structuralisme a finalement été utilisé par des auteurs pour atteindre la gloire, avant de s’en débarrasser pour écrire tranquillement, à l’abris de la célébrité, des ouvrages de littérature.

Dostoïevski s’intéresse à la liberté « métaphysique », comme Flaubert s’intéresse à la connaissance. C’est-à-dire en la questionnant de tous les côtés, en en montrant toutes les aspérités et les limites, avec passion, avec aveuglement. J’ai, de mon côté, trouvé mon camp. Dostoïevski m’est illisible car la question qui se pose à travers tous ces personnages ne me touche pas ; tout aussi peu que la question de Dieu.

Thomas Sowell : « Ideas are everywhere, but knowledge is rare. »

Les crimes de « droit commun » sont, en URSS, moins réprimés que les crimes politiques ; notamment dans leur traitement au goulag. Cracher sur un tableau de Staline est plus sévèrement puni qu’un viol.

Cycle for innovations:
I’ve never heard of it. I’ve heard of it but don’t understand it. I understand it, but I don’t see how it’s useful. I see how it could be fun for rich people, but not me. I use it, but it’s just a toy. It’s becoming more useful for me. I use it all the time. I could not imagine life without it. Seriously, people lived without it? It’s too powerful and needs to be regulated.

Tristan Garcia :
La « paix » est devenue le nom un peu ennuyeux de la routine, en Europe. D’où l’envie de guerre qui règne partout, l’envie de conflit. Et avec elle, l’idée que la paix cache les divisions, cache des rapports de force ; et que seule la guerre et le conflit pourraient nous révéler les positions vraies de chacun. Deux générations ont suffi à rendre la guerre à nouveau désirable. « Une sorte de vérité va se détacher de la guerre, pensent certains. »
Il ne faut pas nier la guerre avant qu’elle arrive aujourd’hui. Voir la guerre, ne jamais la désirer.

On ne parle pas assez des Daft Punk comme standard artistique, pour le roman.

Le programme esthétique des années à venir nous est donné par Houellebecq, dans Soumission : Comment la collaboration avec les ennemis de la société ouverte va-t-elle s'opérer, dans tous les milieux, à tous les niveaux ? Autrement dit : comment chacun va parvenir à y trouver son intérêt, au moins pour un petit moment ? Houellebecq décrit le parcours collaborationniste d'un universitaire, mais bien d'autres portraits restent à écrire.

En relisant mon journal de l’année 2016—la seule période que j’ai réellement décrite de près, à un rythme quasi-quotidien—je me dis que Kundera a bien raison de comparer la vie d’un homme à celle d’un cadran, comme pour insister sur le fait qu’une vie humaine réponde aux mêmes thèmes. Imaginer un nouveau départ n’a aucun sens. On traite toujours des mêmes problèmes, ou plutôt : les mêmes problèmes se posent à nous.

Il faut éviter de fréquenter les hommes chanceux—dont la réussite ne dépend d’aucun critère objectif à nos yeux—afin de rester sain d’esprit et d’éviter la rancune, l’amertume. De fait, beaucoup parmi les artistes que nous aimons ont été ces hommes chanceux, aussi médiocres qu’opportunistes, aux yeux de leurs amis envieux ; mais nous les admirons avec raison, car cette souillure dans leur parcours nous est inconnue. Ces artistes que nous connaissons mal nous poussent vers l’avant, et cela ne nous regarde plus de savoir s’ils furent les « chanceux » de leur groupe d’amis. Or l’homme chanceux, quand nous avons la malchance de l’approcher de trop près, nous pétrifie dans une sorte d’envie stérile. (Le drame est que nous croyons au ruissellement, entre le chanceux et nous, ce qui nous pousse à le suivre, même de loin, car nous avons perdu toute confiance en nous.) Mais qu’un proche réussisse légitimement—à nos yeux toujours—est, à l’inverse, tout à fait rassurant, et nous pousse vers l’avant.

Thomas Sowell :
Le prix n’a pas seulement pour fonction de transférer de la richesse entre des personnes, mais d’indiquer une information sur un bien ou un service. Le prix permet de faire un trade-off entre plusieurs choses.

L’athée religieux ou politique dit : « Je n’ai pas besoin de religion pour respecter des valeurs morales, ni être productif au sein de la société ». Le curé, religieux ou étatiste, refuse de comprendre : comment un monde sans idéologie est-il possible ?

Le New Age est celui qui nie la merde, qui nie l'Histoire ; et pour qui le conflit peut se résoudre si l'on y met un peu du sien—et si l'on enferme ceux qui posent problème.
Le New Age vise à l'harmonie, et est persuadé qu'il peut y arrive en changeant l'homme.
Ce qui pose problème n'est pas de chercher à se comprendre, mais la pulsion sous-jacente consistant à se dire qu'on pourrait résoudre tous les problèmes par la psychologie ; comme si l'Histoire et la négativité n'était pas motivé par une nature humaine sous-jacente, égoïste et rationnelle.
Chercher à se comprendre, à mûrir, à s’améliorer : c’est très bien. Mais c’est le pas suivant qui m’inquiète chez le New Age : de croire qu’on peut changer une collectivité d’individus, comme si un homme et un groupe d’hommes répondaient aux mêmes « lois psychologiques ». Or non, la main invisible nous apprend que des choses vraies à l’échelle collective ne s’appliquent pas à l’échelle individuelle—e.g la planification économique, par exemple, qui se rapproche étroitement du développement personnel.
Il faut combattre la collectivisation du « développement personnel », au même titre qu’il faut combattre la collectivisation de la planification économique, vraie au niveau du ménage ou de la firme, mais pas au-delà.
Le totalitarisme, du XX au XXIème : du développement collectif—e.g le communisme—au développement personnel.

L’ironiste arrive forcément à une conclusion pragmatique, après son geste destructeur—e.g postmoderne—de subversion de l’idée de vérité, de nature, bref de nécessité. On critique les postmodernes européens d’avoir détruit la raison, mais ceux-ci ne sont pas ironistes, car ils dé-construisent des concepts pour leur trouver des origines bourgeoises, mais espèrent remplacer ses vieux concepts biaisés par les leurs, nécessaires et objectifs. Au contraire de l’ironiste, ils luttent donc avec des outils « meilleurs », ou tout au moins « plus vrais » que les vérités bourgeoises historiquement installées. Un Bourdieu, dans ce sens, n’est absolument pas ironiste : il crée à son tour des vérités. Chomsky critiquant le postmodernisme de Foucault frappe à côté : Foucault est un lâche car il n’adopte aucune attitude permettant de discriminer les idées/idéologies/epistémés entre elles ; notons que Dewey avait, quarante ans avant lui, effectué le même geste ironiste, mais l’avait conclu courageusement d’une défense pragmatiste d’un certain libéralisme américain.
L’ironiste, une fois arrivé au bout du « chemin métaphysique », n’a plus que le pragmatisme pour le sauver de l’immobilisme dans lequel son geste le place. S’il prend la voie nihiliste, il rebrousse chemin, car de nouveau il jugera des faits (au sens le plus large qui soit) d’après une certaine métaphysique, certes très plate, mais métaphysique tout de même. Pragmatiste, l’ironiste se soumet désormais au critère de jugement par l’action, d’où découle nécessairement son pluralisme. Seul le pluralisme permet de multiplier les essais et les erreurs, et donc le champ d’application de nos actions. Puisque l’ironiste juge d’après l’action, son seul critère de jugement est la multiplication des actions imaginables et autorisées.

Il est toujours surprenant de voir à quel point l’alt-right reste incapable d’expliquer notre époque ; tandis que l’abandon aujourd’hui évident de la gauche pour les idées leur laisse pourtant un espace pour s’exprimer. Pour eux, l’humanisme individualiste n’a pas les « moyens conceptuels » pour lutter contre l’immigration massive—et le risque d’un « grand remplacement »—car l’humanisme voit l’individu comme inter-changeable, etc. Mais ils loupent le fait que la grille économique explique l’actualité beaucoup plus subtilement : le capitalisme, e.g ce qui a fait l’occident, défend l’idée d’un individu _responsable_ et non pas l’individu-tout-court. Il y a un monde entre les deux. Car s’il y a bien une chose que le socialisme a inventé—cristallisé avec l’URSS mais datant de bien avant—c’est de dé-responsabiliser l’individu plus encore que ne l’avaient fait les primitifs grâce à l’Etat, dont l’intervention soit-disant providentielle reste surtout théorique.
S’il devait y avoir un « grand remplacement » en Europe, ce serait un grand remplacement du capitalisme par un tribalisme à grande échelle, autrement dit un socialisme, évidemment, et ce serait le seul produit de l’Etat providence. Une fois remplacée, la démocratie libérale laisserait place à une société tribale, comme ce fut le cas partout ailleurs qu’en occident, à une échelle certes tout à fait colossale.
Si des tas de gens immigrent en Europe, c’est parce qu’ils raisonnent en homo economicus, et cherchent à minimiser leurs efforts : ils savent qu’ils trouveront un système plus généreux que chez eux, et à moindre frais. Et il se trouve qu’il existe ici des acteurs ayant un intérêt personnel évident à voir s’étendre le pouvoir de l’Etat dans cette direction-ci—e.g de nouveaux immigrés—exactement comme, dans d’autres champs en voie d’être accaparés par l’État, l’écologie et l’anti-spécisme ont intérêt à substituer la morale à la science.

Un roman exposant non pas une thèse, mais un problème. En poésie, j’aime les idées et les faits, disait-on. Et désormais j’ajoute : j’aime qu’une œuvre d’art m’expose un problème, et différentes façons de s’y confronter—de le résoudre ou de l’éviter. La peinture, la sculpture, ne me posent que des problèmes de formes, de représentation, e.g des problèmes très intellectuels, et non existentiels.

Le MBTI m’apprend à ne pas parler de « ma génération », ou de « à notre époque, les gens »… Toutes les réactions varient selon les personnalités, qui certes ne sont pas aussi ancrées dans le marbre que le prétend Jung. Dire que nous sommes dans « une société où règne les victimes », c’est ne parler que pour certains groupes de gens, qui répondent à certains besoins psychologiques en glorifiant les victimes—qui, les « reconnaissant », leur donnent l’impression d’œuvre au bien public, par exemple.

On n’a pas d’opinion véritable tant qu’on ne se considère pas soi-même comme un adversaire, et qu’on ne s’amuse pas à être aussi exigeant avec soi qu’avec un adversaire. Un épargné ne peut pas concevoir l'idée de se considérer soi-même comme un adversaire, puisqu'il ressent son existence—e.g la somme de contingences dont il est le fruit—comme une évidence.

Nathalie Heinich :
Dire qu’un objet social est socialement construit ne veut pas dire que c’est arbitraire, mais tout au contraire que ça a bien une raison d’exister. C’est pourquoi le « construit » est plus dur à dé-construire que ce qui est « naturel ». On a pu changer le rapport biologique à la procréation en quelques décennies depuis la pilule, tandis qu’on travaille encore déconstruire nos propres jugements et habitudes mentales sur la procréation dans nos sociétés. Ce qui est socialement construit est plus dur à déconstruire, et donc moins arbitraire, que ce qui nous semble naturel—c’est bien là tout le paradoxe qu'ignorent les bourdieusiens.

Godard—plus que ses autres amis de la Nouvelle Vague—est parvenu à créer un nouveau statut public pour les cinéastes, les intégrant aux autres « grands artistes ». C’est sa fameuse citation sur Hitchcock qui équivaudrait Aragon.

J’aime le côté « chronique » des années 1980 à 2000 dans La théorie de l’information. Bellanger nous parle de la guerre du golf, du livre de Baudrillard publié à l’occasion ; mais aussi du « buzz » de la mémoire de l’eau, de la construction du Sentier, la sortie du Nom de la rose etc. Mais cela me paraît trop français, trop anecdotique, même pour des lecteurs Français.
Comment faire la même chose aujourd’hui, sur les années 1990 et 2010, mais à l’échelle mondiale, ou tout au moins occidentale ? Qu’est-ce que des enfants nés à Berlin, à Paris ou à San Francisco ont connu de commun ? Le 9/11, l’arrivée de MSN, Facebook, la sortie du iPod, Harry Potter, émergence du hip-hop, Obama, etc. Mais est-ce vraiment ces rares éléments épars, un peu pathétiques, qui nous ont bercé, sur plus de vingt-cinq ans ? Bellanger ose intégrer des découvertes scientifiques, certes moins mainstream que Harry Potter, mais peut-être tout aussi intéressantes dans leurs répercussions.

« La séduction réside dans la sauvegarde de l’étrangeté, dans l’irréconciliation. Il ne faut pas se réconcilier avec son corps, ni avec soi-même, il ne faut pas se réconcilier avec l’autre, il ne faut pas se réconcilier avec la nature, il ne faut pas réconcilier le masculin et le féminin, ni le bien et le mal. Là demeure le secret d’une attraction étrange. » Baudrillard, Le crime parfait.
(À ce sujet, comme toujours, prendre les défenseurs de la cause animale, et tout le New Age, pour ce qu’ils sont vraiment : des hommes incapables de gérer l’ambiguïté, le pluralisme, et donc la liberté, tels des primitifs. Les idéalistes seront toujours prêts à utiliser la prison, la rééducation ou l’assassinat pour faire advenir leur idéal, que ce monde soit débarrassé des antagonismes, des Juifs ou des capitalistes : c’est exactement la même chose. Ils rêvent d’un monde plat, immobile et prévisible.)

« What are you doing after the orgy? »

Edouard Louis :
« C’est pour ça aussi que j’ai écrit, pour me venger de la littérature. La bourgeoisie parle toujours de la littérature comme de quelque chose qui sauve, qui «ouvre les esprits», mais dans la plupart des cas, la littérature, c’est une manière d’exclure et d’humilier les dominés. Il faudrait à la limite toujours se poser la question : qu’est-ce que la littérature exclut pour se constituer comme littérature ? […] Ce qui me terrifie, ce sont les gens qui écrivent sans honte. Il y a les migrants qui meurent dans la Méditerranée, des gays qui se font massacrer en Tchétchénie, des transgenres qui se font agresser dans la rue et pour qui la France ne fait rien, il y a des Noirs tués par les forces de l’ordre comme Adama Traoré, et pendant ce temps il y a des gens qui continuent à écrire sur les petits problèmes de leur vie bourgeoise, leur ennui, leur petit divorce, leurs petites aventures de la bourgeoisie blanche, et ils arrivent à le faire sans honte. Je ne comprendrai jamais ça. »
- Le plus amusant là-dedans, c’est que recommence le débat de l’engagement. Ce sont les moins talentueux qui, pour ne pas que ça se voit, se cache derrière le thème de l’engagement, de la défense-des-pauvres (bien malgré eux), pour se défendre comme a priori. On ne peut pas dire que Louis écrit de mauvais livres, car pour lui il ne s’agit pas de juger d’un livre sur sa forme ou son contenu (cela est bourgeois) mais de sa prise de position morale, bien en amont du livre.
- Dire cela, c’est vouloir tuer l’art, la subjectivité, e.g installer une société totalitaire qui étouffe le citoyen, qui le prive de sa liberté, qui met les déviants en prison.
- Dire cela, c’est confondre deux choses, l’expérience esthétique (e.g le perfectionnisme moral individuel) et la question politique. Les confondre, c’est aussi perdre sur les deux tableaux.
- La pulsion dirigiste, communiste, tribale, c’est être incapable de concevoir la « main invisible ». Ne pas comprendre « la main invisible » empêche de comprendre l’économie, certes, mais empêche aussi de concevoir une forme quelconque de pluralisme ; et être incapable de penser la contradiction, la complexité, l’antagonisme sans y voir une forme de pouvoir à abolir sur-le-champ.
- Ce mythe d’une littérature au service de la communauté (version Sartre), ou de l’ordre  moral (version P. Bourget). On soumet l’art à quelque chose de « plus important » ; ce qui finit toujours par la destruction pure et simple de l’art dit bourgeois, de la liberté créatrice, et donc de l’originalité, de la subjectivité ; et in fine de la liberté individuelle pure et simple. Empiriquement, tous les régimes dictatoriaux ont commencé par la soumission de l’art au soit-disant « bien commun ».
- Le chantage moral place Louis du côté du pouvoir : il s’arroge le droit de dire qui a le droit ou non de publier, en vue des intérêts d’une communauté dont il se croit le porte-parole. Cette communauté n’en a pourtant rien à faire : elle attend simplement que le capitalisme continue de faire son travail, e.g d’améliorer les conditions de vie des moins productifs.
- Comment ose-t-il se dire « de gauche » sans s’excuser immédiatement après de marcher dans les pas des léninistes, des castristes, des staliniens, des maoïstes ? E.g des intellectuels ayant activement aidés des régimes s’employant à faire des millions de morts pour le « bien commun ».

Dans La meilleure part, Garcia met en scène le petit milieu des intellectuels de gauche parisiens, désenchantés, dans les années 80. Le succès du roman tient sans doute au côté « roman à clef » ; on reconnait le rôle de Dustan, de Finkielkraut. C’est un discours critique du trajet des intellectuels des années 80. Quel serait l’équivalent aujourd’hui ? Peut-être de décrire le trajet des « nouveaux réactionnaires » au cours des 90’s, et leur structuration pendant les 00’s.

Muray et Dantec, comme Houellebecq, acceptent d’écrire uniquement pour leurs lecteurs, et jamais pour un milieu. Cela en fait les trois seuls auteurs avec des idées neuves dans le paysage contemporain—plus que tous les intellectuels, journalistes, experts, etc. Car ils se sont intéressés à la vie, au couple, au quotidien.