lundi 30 mars 2015

L'art du roman - Kundera

La mère est son thème principal, parce que Tereza est le « prolongement de sa mère » et en souffre.

La dimension historique de l’existence humaine, il y a de l’autre côté le roman qui est l’illustration d’une situation historique, la description d’une société à un moment donné, une historiographie romancée.

Mais même si ses romans n’avaient rien de prophétique, ils ne perdraient pas de leur valeur, car ils saisissent une possibilité de l’existence (possibilité de l’homme et de son monde) et nous font ainsi voir ce que nous sommes, de quoi nous sommes capables.

Quand les valeurs, jadis si sûres, sont mises en question et s’éloignent, tête baissée, celui qui ne sait pas vivre sans elles (sans fidélité, sans famille, sans patrie, sans discipline, sans amour) se sangle dans l’universalité de son uniforme jusqu’au dernier bouton comme si cet uniforme était encore le dernier vestige de la transcendance pouvant le protéger contre le froid de l’avenir où il n’y aura plus rien à respecter

Seulement ce sens se trouve au-delà de la causalité rationnellement saisissable. Tolstoï a dû utiliser (pour la première fois dans l’histoire du roman) le monologue intérieur presque joycien pour restituer le tissu subtil des impulsions fuyantes, des sensations passagères, des réflexions fragmentaires, afin de nous faire voir le cheminement suicidaire de l’âme d’Anna.

dimanche 15 mars 2015

Chronique I

On peut voir parfois dans Paris une famille toute habillée du même jean bleu, pas slim du tout, qui s'affaisse sur des baskets plus ou moins cool. En 2015, la tenue de rigueur pour un homme est un jean bleu qui tombe sur des baskets "citadines".

Rancière :
Etre émancipé, ce n'est pas savoir choisir entre un discours et un autre, ni savoir discerné entre l'escroc et le savant. Etre émancipé, c'est être capable de faire, plus que de choisir.

Retour sur la phrase du personnage d'Amalric dans un film des Larrieux : "Cela fait un bien fou de savoir que l'on est pas un génie littéraire". Instants dépressifs lorsque je m'obstine à suivre cette voie-ci. Pour finir par me dire : finalement, il y aurait intérêt à ne rien créer, à être convaincu par avance de sa médiocrité — et ainsi à s'éviter des années douloureuses, une vie douloureuse sans doute.

Arnaud me dit de prendre en notes l'aventure. Ça pourra servir. Gros problème avec l'idée de se faire publier, encore et toujours la question du statut social d'écrivain. L'object-livre compte plus que son contenu. La jaquette dépasse en puissance de feu les idées mises à plat.

L'adhésion à ce réel m'est pénible. C'est une façade. Épuisement de mimer la tolérance qu'il faudrait avoir pour l'autre, pour l'arrogance des gagnants, pour la soumission des faibles. L'aisance des forts, de ceux de l'autre côté. Tristesse, assurance de n'y arriver jamais. Le mauvais-œil veille. Ecrire ne me porte pas à l'enthousiasme mais à la dépression. Se garder d'écrire pour ne pas poser les idées trop à plat, pour survivre. Regarder ses idées écrites, là sur une feuille. Constater qu'on ne s'en sortira pas. N'en plus pouvoir. Impossible de se relier à l'Autre, impossible d'adhérer à aucun discours. Impossible de tolérer des regards. Mais, contre coup du faible, du médiocre, de l'asocial plutôt que du génie, c'est l'impossibilité de prendre toute cette indifférence pour transformer tout ça —le fait burlesque d'être au monde— en un dandysme déflagrateur, violent, impertinent, que les autres jalouseraient alors. Impossible, tirs croisés sur la médiocrité.

Ce n'est pas la page blanche, l'angoisse. C'est l'impossibilité de faire autre chose que d'écrire. La startup apprend que certains hommes ont des compétences, que ceux-ci vont être payés pour travailler ensemble à la construction de software. Les autres, tous les autres, seront là pour amener le dit software entre les mains du maximum d'utilisateurs. Les RH, la logistique, la finance d'entreprise… Toutes ces fonctions subalternes à la création de software existent pour encadrer l'arrivée sur le marché d'un produit.
Une startup, c'est donc un agencement de forces qui touche un marché avec peu de leviers externes. La tâche du "growth hacker" résume bien cette tendance qu'ont les startups à vouloir minimiser le temps passer à amener un produit au public. Donc, les outils techniques, avec leur effet de levier, sont utilisés pour hacker ce qu'on pensait devoir toujours prendre du temps et de l'argent, le marketing.

On répète beaucoup, au NUMA, qu'il faut un aspect business. On se demande aussi ce que c'est, que d'être un "requin". Un exemple : lorsque je contacte Abibooks, j'ai par Skype un vieux bonhomme qui aime Addr et mon enthousiasme. Il me demande que je lui rédige un plan pour exécuter ce que serait un partenariat entre nous. Et j'ai du mal, par Skype, à baratiner suffisamment pour obtenir quelque chose de plus.

Il faut s'intéresser à ce qu'il y a de performatif dans tous les faits sociaux, dans tous les comportements, dans toutes les démarches, les discussions, les rapports sociaux, les choix, les goûts. Partout. Dès qu'il y a de l'être, il faut se demander "qu'est ce qu'il achève malgré lui, par le fait même de s'annoncer-là". Le fait d'être CEO est performatif. On incarne une fonction car autrui nous perçoit, c'est à dire se comporte vis à vis de nous, d'une manière qui déjà nous responsabilise.

J'éprouve une sorte de plaisir à être le témoin d'une intimité. Ou plutôt, à constater malgré moi ce qu'il y a de gênant —de contingent— dans le fait d'être-là. À être, tout d'un coup, trop proche d'autrui, pour une raison circonstancielle, si bien que j'assiste malgré nous, au déroulement d'une intimité qui m'est étrangère.

Une histoire de la startup ? Le mythe minoritaire des primo-entrepreneurs qui réussissent semble moins intéressant que l'aspect laborieux, et finalement pathétique, du destin des milliers de gamins lancés à l'aventure, sans aucun outils, avec en tête des bribes de connaissances, des compétences inexistantes…
C'est l'histoire des individus bercés par une mythologie qui les dépasse qui est intéressant dans la naissance de la startup comme mouvement de mode pour la génération Z.

Régis Debray évoque dans "Un Candide à sa fenêtre" que le rêve communiste du grand soir a berné une génération entière. Et qu'aujourd'hui, alors que les vieux rêves des années 70 semblent plus fossilisés que jamais dans une époque lointaine, devenus quasiment incompréhensible pour la jeune génération, c'est l'internet et le software qui bousculent l'ordre social. Reste à déterminer en quoi les effets de la révolution dite "numérique" se rapportent aux vieux rêves des marxistes d'antan.

Quelques personnages importants de l'univers des startups. (Montrer l'épaisseur *historique*, i.e qui étaient ils avant, quels pouvoir ont-ils gagné, et sur qui, au cours des dernières décennies etc.)
- Les différents échelons parmi les investisseurs. Les historiques (Sequoia), ceux de l'ère Google (Run Conway), puis les post-2000' comme a16z, jusqu'aux plus récents comme BetaWorks ou d'autres. Comment, à chaque époque depuis les premiers investisseurs pour Apple, les levées de fonds ont elles aider les startups et les fondateurs.
- Les business angels. Peter Thiel etc.
- La naissance des incubateurs post-YC en Californie et leur développement dans tout le pays.
- L'Etat et le discours autour du numérique, des startups.
- Les banques
Il faut montrer la façon dont les différents moyen d'accompagner les startups sont rentrés en compétition, comment ils se sont affrontés. Comment les banques sont devenues les dernières à rentrer, au moment de l'IPO. Comment les incubateurs ont court-circuité l'écosystème en sélectionnant des startups avant qu'elles n'aient trouvé un product/market fit (et ont rendu l'équipe primordiale).
Mettre en évidence, aussi, l'antagonisme entre les différents créateurs de startups et de PME. Créer un restaurant, une agence, une application mobile de photos. Tout cela est très différent, et ne recoupe ni les mêmes aspirations, ni les mêmes vies. Les personnages, très tôt, savent vers quoi ils tendent. La *croissance rapide* des startups a un impact déterminant sur la façon dont les fondateurs pensent leur rôle, leur rêve.

Les préoccupations d'une startup. L'idée, l'écriture du code, la bêta-version, l'itération "lean", le business model, la niche, la release publique, la presse, le go to market, la viralité, la levée de fonds, le recrutement, la scalabilité technique… Entre temps, il faut maintenir une constante préoccupation autour de l'équipe, du fait que les rôles sont distribués. Faire du non-scalable.

La partie non-tech d'une startup. Envoyer des emails à la presse. Postuler à différents programmes. Rencontrer des investisseurs, des responsables d'aides publiques. Passer trop de temps sur chaque chose, pour combler un peu plus la journée. Avant un go-to-market précis, c'est à dire avant d'avoir trouver le non-scalable, comment s'occuper ? La startup B2C n'a pas de contrats à signer, juste une vitalité à développer, des clients à faire revenir. Décalage entre l'état du produit et ce qu'on vend. Il y a un temps de rédaction non-négligeable dans une startup, plus long qu'on ne le dit jamais. Faire une veille active sur ce qui se fait. Relancer des journalistes. Chercher des emails. Réfléchir à la façon dont présenter le produit, la vision. Le produit doit donc être entièrement focalisé sur la résolution d'un problème. Il faut donc orienter la fabrication du produit vers l'usage précis de la cible. On ne change pas de cible avec le même produit. Il faut donc recommencer le produit, amener des features différentes pour chaque cible, étant donné qu'on ne cherche à résoudre qu'un seul problème très précis.

Réfléchir à la base politique d'Uber, qui, interdit à Paris, continue d'exister grâce au rapport avec sa base client. La startup évolue donc sur un champs politique, c'est à dire sur le plan de la volonté collective, de la force sociale.

Etre fasciné par la vie des hommes non créateurs. Les épargnés. Ceux qui ne souffrent pas de leur propre incapacité. Ceux qui ne connaissent la souffrance d'être-là sans rien faire. Ce pour qui ils est possible de profiter de quoi que ce soit, sans qu'en arrière-pensée, très présente !, ne tambourine en eux leur médiocrité séminale. Partout, toujours, la même haine de soi, d'être-là sans créer, sans laisser une trace indélébile sur Terre. Ne pouvoir profiter de rien, toujours le remords, la mauvaise conscience d'être-là, de ne pas en faire assez, d'être minable. D'être déjà mort. L'angoisse de passer à côté d'une vie. Mauvaise conscience, mauvais sort. Toujours être dans une pause, toujours mimer le fait de profiter d'un instant. La durée, comme Bergson en parle d'un présent-en-acte, me torture. Ce n'est pas en fuyant qu'on change sa composition première, son aveuglement quant à soi, quant à la contingence d'être dans un monde-qui-tourne, qui m'échappe, que je me hais de ne pouvoir arrêter, contrôler, orienter selon mon bon goût.

Un personnage unique, absolument moderne. Danah Boyd, ethnographe chez Microsoft : My 2.5-year ethnographic study of American teens’ engagement with social network sites and the ways in which their participation supported and complicated three practices – self-presentation, peer sociality, and negotiating adult society.
D'un autre côté, son pendant "homme politique", Romain Pigenel, qui parle à tout va de modernisation de l'Etat sur Twitter. Faire la liste, aussi, de tous les concours, meetings, conférences, aides etc. pour venir en aide aux entrepreneurs débutants. Les lobbies pour l'enseignement du code, de l'informatique à l'école. Ne comprennent-ils pas que l'internet, par essence, n'est pas compatible avec l'idée d'un enseignement centralisé. Et c'est l'internet qui gagnera.
Croiser le destin de l'homme politique qui perd son pouvoir en même temps que l'entrepreneur en gagne. Le jeune politicien jalouse son alter-ego entrepreneur qui fait le travail rêvé, qui lui agit sur la force sociale, sur le peuple. Si la tâche de Houellebecq est de décrire la perte du désir en Occident qui fait suite à l'individualisme fin-de-siècle ; alors le prochain grand roman sera celui de la mort du travail "d'homme politique", ou plutôt, de son remplacement, du politicien à l'entrepreneur — en moins d'une génération. Au XX siècle, le politicien faisait avancer la cause de l'homme, pour finir, au XXI, par être une mafia au service de certains, comme le furent les régimes autocratiques d'antan.
C'est Uber qui défend l'homme, puisque les politiciens sont devenus incapables d'agir, ils se sont liés les mains croyant que le Welfare State annonçait la fin de l'histoire (comme toutes les aristocraties, le Welfare State se pensait indéboulonnable). Le politicien apparaît aux yeux de tous comme ce qu'il est, disons, par essence, un parasite vivant sur le dos d'autres, justifiant inlassablement sa survie, au même titre que les luddites des époques passées. L'homme politique est aussi affecté par l'internet que l'industrie du fiacre le fut par l'automobile.
Le passage aussi de la consommation comme aliénation à la consommation comme émancipation, et vice versa pour le travail "politique" qui passe du "progressisme" au "conservatisme".
L'histoire du remplacement du pouvoir symbolique & financier de l'Etat au profit d'une nouvelle classe, haïe et courtisée, haïe car elle vient les détruire, courtisée car c'est elle qui désormais domine. Le pouvoir policier est lui aussi mis à l'épreuve, Snowden etc. C'est la base constitutionnelle des Etats que l'internet attaque. Reprendre "La splendeur des Anderson" (Welles) qui illustre le clash entre deux habitus, clash à la fois mortel pour certains, et aux effets collatéraux considérables.

La religion est elle toujours collective ? La religion cherche à consoler. Est ce que la politique partage ça ? Quid de la vie économique, de la consommation.

Le plus mauvais don que la nature puisse faire : donner à l'enfant une propension créatrice sans l'énergie suffisante pour s'affirmer comme tel. Seul et déprimé, il finira mal sa vie, selon la loi de Tocqueville qui veut que la douleur est plus forte au plus proche de la frontière, ici du groupe des créateurs affirmés. Toute la question désormais est de savoir si ce que je crois comprendre de ma personnalité se change, et à quel prix, pour rentrer au sein de ce groupe supérieur. (Pour l'instant, plutôt sombre, je suis trop aristocratique, malgré moi, pour croire qu'on franchisse aisément une telle frontière — si la frontière qui me sépare d'avec les non-créatifs, frontière que je regarde "de haut", me paraît absolument infranchissable, pourquoi en serait-il autrement pour la supérieure ?)

Soirée avec T. C. hier. L'émancipation comme tri et décision. Le négatif amorce une première résistance.

Le fondateur de Minbox, boîte indépendante plus ou moins liée au réseau social faussement underground Ello, dit quelque part qu'il sera heureux lorsqu'il aura fait de Minbox un verbe. Il y a donc une tentation de changer le langage chez les startups, c'est dire leur ambition d'ordre, désormais et après Google mettons, intimement politique, ie fondée à transformer non seulement l'ordre social mais aussi la manière dont les gens parlent, donc vivent. L'obsession des startups pour un nom qui puissent devenir un verbe est quelque chose de fondamental pour comprendre l'ambition de certaines d'entre elles. Mindie veut jouer sur le mix entre la production artistique et le consumérisme. Minbox veut changer la façon dont les hommes interagissent, s'échangent de l'information.