lundi 25 février 2019

Chronique XXII

Le prêtre c’est celui qui veut unifier le privé et le public. À ce sujet, comme toujours, prendre les défenseurs de la cause animale, et tout le New Age, pour ce qu’ils sont vraiment : des hommes incapables de gérer l’ambiguïté, le pluralisme, rêvant d’un monde débarrassé des antagonismes, des Juifs ou des capitalistes : c’est exactement la même chose. Ils rêvent d’un monde plat, immobile et prévisible.

Bellanger : « … Tous ces livres récents dont les auteurs semblaient, tout au contraire, ne s’être mis à écrire que pour pactiser avec le bien. Des récits de gens simples, abîmés par la vie mais de plein de bonne volonté encore. Des misanthropes frappés de guérisons miraculeuses, des vies petites et humbles, mais des âmes gigantesques, édifiantes et fertiles. On a changé l’eau de la littérature. C’est de ses inextricables rapports avec le bien dont il faudrait aujourd’hui faire l’analyse savante. On montrerait comment la religion moderne du livre, moteur ou miroir de la sécularisation du monde, est finalement devenue une enclave pieuse de nos sociétés secrètement sulpiciennes. »

Baer : « Il y a beaucoup de villes françaises où le couvre-feu est à 17 heures. Quand la troupe de théâtre arrive, comme dans Molière, c’est un événement. Fêtard ? Je préfère emmener des gens boire la journée en séchant le bureau à participer à des pince-fesses nocturnes mondains et alcooliques. L’école buissonnière est plus intéressante que la tournée des grands-ducs. »

Jabial : « Je connais trois personnes qui ont réussi alors qu'ils sont membres de minorités et ont grandi en cité. Les trois ont été traités de blancs à l'école parce qu'ils voulaient étudier et pas foutre la merde. La culture voyou empêche des générations entières de s'en sortir. »

Valéry : « Le monde ne vaut que par les ultras et ne dure que par les modérés. »

R. me parle de l’enchantement, de la fable, dans le cinéma contemporain. On ne supporte plus le réalisme—on a besoin de donner la parole à des animaux, pour s’approcher du naturalisme.

Chez Houellebecq, on aime les contrastes ; le fait qu’il nous surprenne, qu’il n’est pas là où on l’attend. Entre le romantisme et la froideur conceptuel. Entre le langage vulgaire et le langage scientifique. Entre la stupidité de certains et l’hyper intellectualisme d’autres de ses personnages. Entre les clichés et les idées complexes.

Le vaudeville, entre artistes, avec les sorties de scènes ; et les retours imprévus, d’un bout à l’autre de Paris, après avoir bu quelques pintes, s’être remis d’aplomb. Et le retour de l’un d’entre eux, dix minutes après son départ, un peu fâché, pour l’entendre dire : « Mais qu’est-ce qu’il se passe le mois prochain, on se sépare ? » La tension monte. L’un d’entre eux le calme, on le fait s’assoir, prêt à recommander une tournée.

Mardi Noir : « Il n’y a pas de bonnes causes (sous entendu, sociales, humanistes, féministes) dans l’inconscient. Il n’y en a pas de mauvaises non plus. C’est inconscient, et c’est le bordel. »
Question : Contre les religions, ou la psychanalyse, comme « consolation ». Non, car ces choses là peuvent faire des morts ?
Est-ce que rêver d’inceste, c’est déjà être le père incestueux ?
La psychanalyse se pose la question de la dépense, de choses aussi banales que l’achat de bottes. « J’ai acheté des bottes après avoir refusé de me faire arracher une dent. Et l’analyste va commenter cet acte. »
On a de comptes à rendre qu’à « nos désirs » dirait Lacan ; et le désir pour lui ce n’est pas des bons sentiments.
« Je vais récupérer un peu de phallus derrière » dit-elle, en expliquant les conditions dans laquelle elle se met en allant voir son tatoueur. Le tatoueur, évidemment, te pénètre. Dans la société, on érotise une partie de son corps.

Cyrano, vieux garçon séminal. (Le vieux garçon est dans le « trop » car il compense une blessure narcissique, un manque d’amour. Cyrano se bat trop, Bouvard et Pécuchet se cultivent trop. Mais au fond ils partagent la même névrose.)
L’analogie entre grimper par ruse (le lierre), ou lieu de s’élever par force (le chêne). Et « Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul. »
Rostand : « Le panache est alors la pudeur de l'héroïsme, comme un sourire par lequel on s'excuse d'être sublime. »

Lavandier : Un film kitsch ignore les conflits internes aux personnages. Tout ce qui leur arrive est externe. Il n’y a pas de psychologie. Les soap-opera sont composés comme ça.

_Nicolas Pages_ de Dustan : Les piercings aux tétons, et au nez aussi. L’amour entre homo : qui accepte d’être enculé, jusqu’a l’orgasme ou non, etc. ; une négociation permanente ; avec ou sans capote. La drogue qui sauve la vie.

MT me dit : « Les femmes jouent avec la séduction et la sexualité, comme les hommes jouent à parler de concept, ou à travailler. Une femme n’utilise pas plus sa séduction pour la même raison qu’un homme ne va pas plus aux putes. Ça ramène trop d’emmerdes, et c’est ennuyeux. »

La vulgarité des hommes barbus, mais aux jambes soigneusement épilées.

Nous sommes à une époque où nous pouvons tout faire, mais ne plus rien dire. Les intellectuels et les clercs vont donc redevenir une part importante du combat, alors qu’ils furent délaissés depuis les 70’s quand il s’agissait encore de gagner des combats « physiques. » L’heure sera bientôt à nouveau aux combats moraux, et les intellectuels auront toute leur place.

Joudet : « La féminité est comme un rempart, le désir d'acheter des vêtements, de mettre du parfum même les jours où personne ne te sentira, c'est comme un masque, une forteresse dans laquelle tu te tiens et qui te permettent de faire bonne figure tandis qu'à l'intérieur tu es effondrée. Voilà peut-être l'avantage que les femmes ont sur les hommes: celle de se travestir, d'étouffer sous des couches de superficialité le visage éteint des jours d'angoisse. Peut-être que plus une femme est habillée plus elle va mal. »
« Le meilleur moyen de ne pas se laisser affaiblir narcissiquement par le réel, ses catastrophes et ses contingences consiste à se dévouer aux autres. La sainteté, que tu n'envisages pas une seule seconde, est une bonne stratégie de déprise de soi. »
« Depuis longtemps, tu es en conversation interrompue avec Quelqu'un mais tu sais que ce quelqu'un est informe, parfois il a pris la forme d'une personne, d'un petit copain, d'un ami, mais toutes ces formes paraissent aujourd'hui insuffisantes. »
« Me mettre à l'analyse (pour) me radicaliser dans ce respect du mot juste, de la précision. »

On peut mieux apprivoiser son corps aujourd’hui grâce aux selfies, aux vidéos, etc. Car on connait son corps, son visage, sa voix, etc.

Toujours rigolo de regarder Zemmour s’exprimer devant des chroniqueurs sans aucun talent. Comment supporte-t-il les mêmes discussions, les mêmes sous-entendus, la même mauvaise foi, et surtout cette ignorance ? Il n’y a pas de débat argumenté, ni de discussion avec des points de vue opposés, mais une série d’agressions sur le terrain des sentiments. Ils n’ont rien à lui répondre, mais trouvent de quoi s’énerver, de quoi se moquer de lui.

On n’a pas tué la télévision, car la télévision c’est un mindset, e.g une façon de vivre imposée par le programme politique. Or en 2017, l’élection présidentielle se faisait d’après l’agenda des hommes politiques, des grands médias, etc. Rien n’avait donc changé.

Traiter une scène d’après-le-sexe comme une scène de séduction, et vice versa : une scène de séduction comme d’ores et déjà un après-le-sexe.

Dujardin à propos de la comédie : « Gardes-en ! » se dit-il. Il y a une 90 minutes, on ne va pas tout donner dans le premier quart d’heure.

Sheila Heti : Écrire tout le temps, et ne pas laisser nos idées mûrir, grandir (« build up »), nous amène surtout à écrire des platitudes. Il faut attendre, s’interdire d’écrire même, pour qu’à l’arrivée, le jour où l’on s’y remet, plusieurs strates d’idées puissent arriver d’un seul coup. Ne pas écrire spontanément, mais laisser mûrir, afin de les confronter les unes aux autres.

Le roman du trading montrait des pervers narcissiques, celui sur les startups montrera des Peter Pan à peine dépucelés, et dotés d’un pouvoir « supérieur », car symboliquement beaucoup mieux perçu que les traders.

Peggy Sastre : La nature dépendante de la femme est inscrit dans son patrimoine génétique, car elle se cherche un protecteur, pour assurer sa survie et celle de son enfant après sa naissance, quand tous les deux sont incapables de se défendre seuls. D’où ce « cliché » que la femme la plus insécure va en fait chercher l’homme le plus viril, capable de la défendre – quand bien même cet homme est le plus à même de la violenter elle.
Il existe une quantité de facteurs expliquant la sécrétion d’hormones suscitant « l’amour » – e.g un sentiment de besoin, et donc de manque – dans la séduction, après l’orgasme, après la naissance d’un enfant aussi. Tout cela vise à assurer le meilleur taux de reproduction.

Sloterdijk : Les métaphysiciens n’aiment ni la technique, ni finalement les œuvres d’art, car tout cela n’a aucune « nature », et apporte plutôt de l’inattendu, du non-apodictique. Or le métaphysicien cherche seulement de l’inaltérable, ce qui est le contraire de la technique, de l’innovation, qui ne répondent à aucun sous-jacent « naturel ».

Holcombe : Une société libre permet d’envisager plusieurs futurs différents, car l’information n’est pas parfaitement partagée. Une société primitive n’a qu’un seul futur possible, comme la totalitaire, car l’information ne provient que d’une seule source. (L’écologisme raisonne comme un primitif, en ce qu’il considère que toute l’information est aujourd’hui disponible, et dans son cas appelle légitimement à l’immobilité.)
La tâche d’une entreprise est de créer des incitations pour que la connaissance puisse se transmettre at scale, et ne reste pas seulement tacite.

Lavandier : Un film kitsch ignore les conflits internes aux personnages. Tout ce qui leur arrive est externe. Il n’y a pas de psychologie. Les soap-opera sont composés comme ça.

Naval : « My life is now basically a portfolio of really long-running conversations. With or without documentation. With or without pay. With or without persistent counter-parties. Some conversations, the counterparty is stable for decades. Others it’s more counterparty-of-the-week. »

Décrire l’hypocrisie des bourgeois d’aujourd’hui comme Beauvoir décrit celle de sa famille croyante, soumise à des dogmes stupides, soumise à l’ordre des prêtres et des bonnes sœurs.

Etre victime d’idéologie, c’est être si peu investi personnellement dans ses idées qu’on peut être remplacé par un autre pour les défendre, sans que rien ne change.

L’écrivain n’est jamais seul. Il a besoin de contemporains, pour rester moderne. Il a aussi besoin d’un maître. Pour Bellanger, ce fut Wikipedia. À la fin de la _La théorie_ Bellanger mime le comportement d’un « robot indexeur fou » dans Wikipedia se perdant avec la fonction « page aléatoire » — comme métaphore de la folie qui touche le héros à la fin du roman.

Si Camus et les autres écrivent sur « le sentiment de l’absurde », il nous faudra écrire sur la « quête de la réussite ».

Deux thèmes sur lesquels écrire de petits essais :
1. Le droitisme en général, le fait qu’être de droite devient aussi cool, et bientôt branché, qu’être lili-bobo hier.
2. Le sport extrême — marathon, trekking, yoga, « méditation » — pratiqué par ma classe sociale de « jeunes actifs blancs citadins ». L’énergie, le temps que ça prend — au détriment de quoi ? Et que faisaient-ils avant ?

Pasolini : « Mon indépendance, qui est ma force, induit ma solitude, qui est ma faiblesse. » Et : « La solitude : il faut être diablement fort pour aimer la solitude ; il y faut de bonnes jambes. »

Comme Baldwin décrivait l’état d’inquiétude d’un jeune Noir qui marche dans les rues de NYC, décrire aujourd’hui l’état mentale d’une femme dans les transports parisiens.

Passion de l’époque pour les sacs à dos. Un par jour se lance sur Kickstarter. Rechargeable, solaire, recyclé, biodégradable, etc.

J. Peterson : Il y a plus de différence au sein d’un groupe — entre les personnalités — qu’entre plusieurs groupes. Mélanger deux groupes aux origines différentes, aux genres différentes, etc. va créer moins de diversité que de sélectionner un spectre large au sein d’un seul groupe.

Sur _Ma nuit chez Maud_ : « Cette ampleur des dialogues “profonds” était donc très habilement contrebalancée par des notations crues et réalistes sur la sexualité, les mœurs, le travail, la vie quotidienne dans une ville moyenne et aussi quelques touches très poétiques. »

Une société n’a pas « besoin de religieux » au sens de Debray, mais on observe empiriquement qu’un groupe de curés utilise toujours le même type d’arguments pour s’approprier un peu de pouvoir, et nier la possibilité d’être critiqués.
Le curé est celui qu’on ne peut pas critiquer sans être soupçonné d’être un agent du Mal, d’être un ennemi de toute la société. Il s’approprie la volonté collective, sous la forme des esprits, d’un Dieu, des valeurs (e.g victorienne), du peuple.

Ben Evans : La tech est parvenue à rentrer dans le living-room, non pas en attaquant la télé, mais en arrivant par le smartphone.

Comment tuer tous les jours les « _what if_ » de ma vie ? Pour ne pas hésiter à payer à x ou à y, à faire x ou y, etc.
Diviser le monde entre ce qui ceux qui _thrive_ avec permission, et ceux qui _thrive_ sans permission.

Les USA ont eu E. Bernays, la France a eu J. Lacan. D’où l’explication que le « capitalisme de la séduction » (e.g un capitalisme qui se soucie du consommateur, plus simplement) n’a jamais percé en France — car un Lacan, et son cortège puritain, ont tout de suite combattu la nouvelle façon de s’adresser au marché que proposait Bernays.

Mandeville : « À l’instant où le mal cesserait, la société serait dispersée sinon totalement dissoute. »

On distingue les « vraies religions » d’aujourd’hui aux discours qu’elles pratiquent, e.g des discours non-individualistes, non « c’est mon choix, je respecte celui des autres », comme on le dit pour les religions révélées. Par exemple, le discours écologiste ou vegan ou féministe demande une prise de conscience collective, et pratique donc un prosélytisme conquérant. Les écologistes, végan, féministes, ne disent pas que « c’est leur choix » et qu’ils tolèrent celui des autres. Ils disent que c’est une urgence, que tout le monde devrait se sentier concerné, qu’il faut même rééduquer les cerveaux malades qui refusent d’aller dans ce sens.

C’est au _continuum de la Morale_ auquel il faut s’attaquer, dont le vocabulaire, justement, n’est jamais arrêté, ni du reste les ennemis. On ne comprend pas l’histoire intellectuelle contemporaine sans admettre que « la Gauche », réservoir contemporain des idées, est en fait cette morale. La même qui était celle des conservateurs (ou « ultras » disait Stendhal) d’avant l’affaire Dreyfus, d’avant la Shoah. Chaque époque a « sa Morale », aujourd’hui porté par la Gauche, qui dispose du même poids dans nos mœurs que ce qu’on nomma longtemps « la morale bourgeoise ».
Et comme il y avait l’insulte « libéral » aux yeux des ultras au début XIXe, il y a peut-être les « racistes » aujourd’hui ; les deux attaquent les tabous des puissants.
Les ennemis de Casanova et Stendhal, choqués par tant de volupté, de grossièreté, de franchise, sont les mêmes que ceux de Houellebecq, devant son mépris affiché des standards de l’époque. À l’époque de Stendhal, les « ultras » interdisent de lire des romans, tous suspectés de corrompre les mœurs, comme aujourd’hui on suspecte autre chose, YouTube, la télévision, etc.
L'artiste pur ne doit penser qu'à son œuvre, non à l’humanité, et c’est pour cela qu’il choque sans cesse la morale de son temps — tout ça est banal. Aujourd’hui l’artiste véritable est celui que « la Gauche » attaquera, comme égoïste, anti-humaniste, ou plutôt anti-antiraciste, etc.

Jean Prévost : « La prose de Stendhal essaie d'égaler en nudité, en promptitude, les découvertes de la pensée. »

Sur les années 80 : « Dernière époque avec encore un pied dans le premier degré. Partenaire Particulier croyaient en ce qu'ils faisaient, de façon primaire, aujourd'hui tout est référentiel et au minimum ironique, et n'existe que par rapport au passé. Le ricanement est généralisé. Le début des 90's garde encore une certaine fraîcheur également. Quand Kurt Cobain se colle une balle dans la bouche, il est hyper premier degré. Mais sa musique est déjà teintée de sarcasme. »
-> Pas sûr d’être d’accord. On pourrait renverser le constat, et dire qu’aujourd’hui il n’y a pas la liberté de ton de ces années-là.

If you can move money around as easily as emails, on the internet, then you can reinvent business models based on « likes » and « favorites » that are linked to a currency. How to figure out a way for creative people to make a living out of the internet? E.g the equivalent of the super easy « in-app payments » in the iPhone, that actually changed the business model of video games. Isn’t crypto the « iPhone moment » for creative people/developers?
(Hashcash is the algorithm that requires you to solve a small problem before sending a email.)

« All great movies are teaching movies. They encourage us to participate with them, and with the whole of cinema. »

Réception de _Citizen Kane_ : Sartre criticized the film's flashbacks for its nostalgic and romantic preoccupation with the past instead of the realities of the present and said that “the whole film is based on a misconception of what cinema is all about. The film is in the past tense, whereas we all know that cinema has got to be in the present tense.” Bazin believed that a film should depict reality without the filmmaker imposing their "will" on the spectator, which the Soviet theory supported. These theories were diametrically opposed to both the popular Soviet montage theory, the politically Marxist and anti-Hollywood beliefs of most French film critics at that time.

La « uber-theory » remplace la discussion de comptoir.

Ce qui me différencie de S. Johannin, comme finalement de Coop-Phane ou Liberati, et de tout un tas d’auteurs avant eux (e.g Fante, Bukowski), c’est que je n’ai aucun culte de la marginalité, et même que je vois dans cette attitude « underground » quelque chose de branché, d’extrêmement cool, d’inaccessible. Je préfère encore les romans de branchés assumés, comme Beigbeder ou N. Rey.
Me fascine aussi la persistance de ce subjectivisme, cette volonté — associée à la nuit, à la fête — de vivre des expériences « pures », sans « chercher à comprendre » disent-ils.
Cela explique leur absence d’ironie, de distance, et donc d’idées sur l’époque — le minimum !

Blade Runner est le premier film de science-fiction à faire du « film noir », Alien à faire de l’horreur, Star Wars de la saga épique, Men in Black de la comédie, Solaris du drame existentiel, La Possibilité de l’auto-fiction. Mais n’y a-t-il pas quelque chose à créer encore, un genre de classicisme proustien, hyper-exigeant, pour sci-fi ?

L’artiste qui ne se reproduit pas participe à la reproduction de l’espèce, comme la fourmi ouvrière infertile, en ce qu’il donne aux autres humains des fictions, et donc quoi s’occuper, voire même rêver. Le monde serait plus hostile sans la fiction, sans la philosophie, et l’on n’y ferait peut-être moins d’enfants. Le poète infertile n’est pas du tout un parasite, au contraire !, il a son rôle.

Paul Graham : « It’s difficult to imagine now, but every night tens of millions of families would sit down together in front of their TV set watching the same show, at the same time, as their next door neighbors. What happens now with the Super Bowl used to happen every night. We were literally in sync. »

Claude Simon : « … j’ai été témoin d'une révolution, j'ai fait la guerre dans des conditions particulièrement meurtrières (j'appartenais à l'un de ces régiments que les états-majors sacrifient froidement à l'avance et dont, en huit jours, il n'est pratiquement rien resté), j'ai été fait prisonnier, j'ai connu la faim, le travail physique jusqu'à l'épuisement, je me suis évadé, j'ai été gravement malade, plusieurs fois au bord de la mort, violente ou naturelle, j'ai côtoyé les gens les plus divers, aussi bien des prêtres que des incendiaires d'églises, de paisibles bourgeois que des anarchistes, des philosophes que des illettrés, j'ai partagé mon pain avec des truands, enfin j'ai voyagé un peu partout dans le monde… »

Dire « moi », c’est être quelqu’un qui s’attend à ce que « ça continue », disent les philosophes anglais, selon Deleuze.

Mai 68 n’a pas attaqué le savoir, ni les professeurs, ni la connaissance, mais au contraire abattu des cloisons, et fait changer l’enseignement qui était, selon Foucault, extrêmement étriqué.

Roth dit : Il n’y a pas d’authenticité de la vie humaine. Les personnages s’imaginent des vies, se donnent des rôles. Les gens se racontent des histoires, et Roth en montre la noirceur.

Peut-on dire qu’un junior ne peut pas _ne pas_ donner son avis sur une question, tandis qu’un senior va se contenir, et ne pas laisser apparaître ce qu’il pense en public, mais contrôler extrêmement tout ce qu’il « donne » de lui-même. Triste conclusion, un peu triviale aussi, mais il y a bien une maîtrise du secret, de la discrétion, inhérente au rôle de leader.

Dans Paris :
• Le début de la rue du Four, au croisement du boulevard Saint-Michel, quand on peut voir de loin le panneau du Bon Marché, qui ressort bien net dans le ciel orangé de la fin d’après-midi ensoleillé en hiver.
• Les rares bancs de la place saint Sulpice, où l’on peut se poser en contemplant la terrasse du café de la Mairie.
• Les jeunes bourgeois ayant grandis dans le 5e n’ont pas tous réussi. Certains ont été à Lavoisier, et se sont fait humilié par leurs camarades. On demande si les parents sont locataires ou propriétaires. Ce qui est cool c’est d’aller le dimanche soir au MacDo entre potes, plutôt que de rester à dîner chez les parents.
• Au Luxembourg, une fille embrasse son amant, elle y met les formes. Il faut bien faire. Au moins aussi bien que dans les films. Elle lui met donc les bras autour du cou, et s’agrippent les deux mains derrière sa nuque.

Bastien Vivès dessine avec des calques, en les superposant les uns aux autres. Les traits sont de moins en moins grossiers. Il se sert des calques, en diminuant leur opacité à chaque nouveau passage, à chaque fois qu’il dessine un peu plus finement.
Il met six à huit semaines pour faire un album. Rapport de rapidité, de commodité par rapport au médium.
La BD peut montrer des choses très osées dans la sexualité tout en restant « enfantine ». La possibilité de jouer sur plusieurs registres est l’apanage des BD.

Je veux donner à voir, à ressentir, l’espèce d’horreur — honteuse — que j’ai pour le provincialisme, pour ses fautes de goût, pour sa petitesse kitsch et assumée, et presque guerrière, des provinciaux. Je ne parle pas de la misère paysanne, ou autre, mais du « contentement de soi » du provincial, qui vit entouré de merde, très littéralement — ses habits, ses idées, sa radio, sa télévision, sa voiture, ses bijoux, ses lunettes —, mais qui l’assume pleinement, et en est si fier.