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dimanche 16 juillet 2017

Sur la voiture & la mode, Paul Yonnet

En 1935, Louis Guilloux représente l’ennemi de classe en voiture, et ses amis prolétaire à bicyclettes.

La naissance du crédit de masse date de 1920 pour acheter une voiture. En France, on n’aime pas le crédit car cela n’est pas responsable d’utiliser l’argent qu’on a pas. On impute la crise de 29 aux méfaits du crédit ; explication morale.

L’échec de la France dans l’automobile (après un début retentissant) tient à son élitisme, au refus (à tous les niveaux !…) de produire un bien de consommation. On se moque de Citroën qui veut utiliser les méthodes de Ford et rendre les voitures accessibles. Pour l’élite comme pour les ouvriers, la voiture demande « un savoir-faire » et l’attention d’hommes de qualité (ce que ne permet pas la chaîne de montage). Les employés français sont néanmoins moins bien payés que les américains !…
Sur la photo de famille bourgeoise, la voiture remplace le carrosse à huit-chevaux. Personne n’y voit un bien de consommation de masse.

L’innovateur est ici toujours à demi-fou, à l’image de Tournesol.

En Amérique, le personnage du cow-boy est celui qui déplace les anciennes limites : légales, morales, économiques, culturelles (la famille, le fermier, le shérif, l’Indien…) En France, on parle à l’inverse d’exode dès qu’il y a un mouvement social ; et celui-ci doit être planifié !… En outre, un mouvement de défense de la fixation du régime est toujours pugnace.

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Le grand magasin met fin au rapport de domination du boutiquier sur le client ; dorénavant le client peut hésiter, et sortir sans payer. Le rapport marchand devient impersonnel. C’est le « bistrot pour les femmes » et la kleptomanie remplace l’alcoolisme.

Le dandysme, comme participation à la guerre du paraître, est désormais partout. Un dandysme de masse.

Les zazous en 42 préfigurent la montée en force de « la jeunesse » dans l’après-guerre : féminisation, musique, « style de vie », refus du devoir civique, urbanité… Ils sont haïs par les ruraux, les résistants, les collabos.

Les hippies se révoltent contre un certain « rapport à l’eau » des protestants—un hygiénisme qui date de la Réforme, à l’époque où le catholicisme recommandait un usage modéré de l’eau lors de la toilette.

Longtemps la mode illustra des rapports sociaux, des luttes de pouvoirs entre classes sociales montantes ou descendantes. Mais aujourd’hui, le seul critère est celui du temps : il s’agit de ne pas être « has-been » ; on lutte contre le temps et non contre une classe à faire tomber. À la recherche du basique qui ne vieillit pas (plus que du classique).

Sur les animaux

L'arbre, l'animal et l'homme, Luc Ferry

Défense du « droit animal » à travers l’utilitarisme. Dès Bentham on cherche à savoir, non pas si l’animal peut parler, ou sait réfléchir, mais s’il connait la souffrance ; et dès lors cela oriente toute la pensée anglo-saxonne sur l’anti-spécisme. Bien noter que c’est profondément un mode de raisonnement américain.

Le romantisme allemand donne une autre explication au respect de la nature (et des bêtes) : cela part de la représentation d’une nature originaire, sauvage, pure, vierge, _authentique_ et irrationnelle. Le romantisme allemand donne à la nature un caractère extra-humain : c’était là « bien avant l’homme » disent-ils, dans un élan à la Meillassoux, étrangement… La nature s’est faite elle-même, sans intervention des hommes ; et c’est cela qu’ils respectent.

Quelques grandes « causes animales » : la vivisection, le gavage d’oie, la tauromachie. Des cas déjà traités par les nazis dès 1935.

Question importante de la souffrance animale faite en privée ou en public : avec Aquinas, on est d’accord pour limiter la souffrance faite sur les animaux, moins pour les animaux que pour le fait que cela donne de mauvaises habitudes aux hommes eux-mêmes. Or les deep-ecologists comme les nazis ne font pas de distinction entre privé et public.

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Jeux, modes et masses, Paul Yonnet

Les coûts des chiens et des chats pour la ville sont énormes : on a du les interdire dans les parcs car les ravages étaient trop importants. Les animaux détruisaient la vraie nature !… Avoir un animal domestique ne développe pas plus la sociabilité ; on s’interdit tout un tas de contacts (enfants, chiens belliqueux, etc.) avec un chien.

Lorenz dit : « Remplacez le mot enfant par chien dans mon livre. » Il critique l’éducation à l’américaine, la populace et le marché dérégulé par rapport à « l’obéissance pure des chiens. »

Finalement, on prend un animal pour se faire respecter, pour voir qu’on obéit à nos ordres, à l’ère de l’enfant-roi où celui-ci n’obéit plus. Le chien est un enfant poli. (Tout comme l’animal est un sujet sociologique plus intéressant, car il ne change pas son mode de vie ; et cela plaît à Bourdieu qui, de fait, étudie les hommes comme des singes.)

Manger un chien est associé à du quasi-cannibalisme. (D’où l’idée de faire de Montserrat et ses sbires des mangeurs de chien, organisant des orgies à la manière des futuristes.)

De « candidats à l’humanité » au XIXème, les chiens ont désormais pris le pas sur l’homme lui-même ; tout au moins sur les trottoirs—et les pauvres joggers en ont peur… 77% des Français répondent oui (en 1985) à la question : est-ce comme faire souffrir un être humain ?

Au XVIIème, Harvey immole des biches enceintes et vivantes pour faire de la vivisection. Il les dissèque vivantes pour étudier la reproduction ; et Descartes de l’admirer.

On interdit les combats de coqs, mais pas la corrida et les courses de chevaux.

Lorsque trois chiens déchiquettent un bébé de moins d’un an (alors en train de dormir) ; le propriétaire dit à la presse : « Ces trois petits chiots sont comme mes enfants, c’est ma faute et pas la leur : je n’avais pas verrouiller la porte. » Excuser les animaux comme les humains, cf. l’excuse de la majorité.

L’animal domestique se civilise au dépend de l’homme : un type se tue en mer pour sauver son chien ; et trois policiers aussi pour aller à sa rescousse à lui.

Sur les trottoirs, des chiens promènent leur maître.

Fukuyama

Le jugement moral pèse moins que le jugement sur la santé physique : on peut dire « arrête de fumer ! » mais surtout pas « ne trompe pas ta femme ! » à nos amis. La préservation de soi dépasse la morale.

La vérité des choix moraux (des sens de la vie, religions, etc.) qui s’offre à nous apporte plus de confusion qu’autre chose—dit-on !…

« Jadis, tout le monde était fou ! » dit le dernier homme avec un certain soulagement.

Ce qui disparaît à la fin de l’Histoire : c’est l’Erreur, c’est l’Action niant le donné, c’est le Sujet opposé à l’Objet. (cf. Meillassoux toujours !)

On peut redevenir des animaux après l’Histoire, une fois la reconnaissance de tous par tous établie à l’échelle universelle : un chien s’endort paisiblement s’il est bien nourri. Il ne se soucie pas du succès des autres chiens.
Abolir les injustices rendra la vie des hommes égale à celle des animaux ; il n’y aura plus de lutte pour être reconnu une fois tous égaux les uns aux autres.
On aime le chien car il n’est pas humain ; il n’agit pas, il n’a pas de négativité, il n’a aucun problème d’Ego… en dehors d’une banale vie sexuelle… (cf. Tinder, e.g désincarnée, saisonnière, encadrée par des « lois de l’espèce » mais sans surprise, sans excès non plus.)

Il n’y aura plus d’art à la fin de l’Histoire, car l’esprit d’une époque se matérialise dans une œuvre, et il n’y aura plus d’esprit d’une époque car aucune situation nouvelle n’émergera. Il n’y aura plus rien de neuf à décrire ni à capter.

Après l’Histoire, il reste une conquête des plaisirs grâce aux sports-extrêmes qui sont d’ailleurs nés en Californie, ce n’est pas un hasard.
Une forme « d’art » très formaliste et inutile pourra perdurer, comme la cérémonie du thé au Japon : un tel vecteur de snobisme crée de la reconnaissance !… Il y a des méthodes, des règles à respecter. Le snobisme pur est le seul espoir que l’Histoire ne s’arrête pas totalement. Les efforts pour être reconnus comme supérieurs ne s’arrêteront pas.

Sur Baudelaire, Sartre

Baudelaire est l’homme penché sur lui-même. Il ne s’oublie jamais. Il ne connait pas l’immédiateté.

Il faut « tromper sa lucidité » pour parvenir à agir.

Une certaine haine de l’homme, de « la face de l’homme », mais un respect pour ses œuvres, notamment les villes.

Faire que les autres éprouvent du dégoût à son égard pour se rendre présent à leur esprit.

Haine de la nature : le crime est naturel, la vertu est artificielle. Le bien est le produit d’un art, le mal se fait sans effort.

« L’eau en liberté m’est insupportable ! »

Dans la ville, les objets ont une fonction, et un prix. L’homme se trouve à sa place ; contrairement à la nature où tout est contingent.

L’acier est ce qui laisse le moins de prise, à l’image de sa pensée.

Purement cérébral, Baudelaire atteint une « titillation » d’ordre sexuelle une fois la beauté « naturelle » assaisonnée par des vêtements, du parfum, bref une parure.

samedi 1 juillet 2017

Chronique XV

Titres : L’âge de la terre, Apprenti sauvage, Grosse fatigue, Démarrer la lecture, Roman bourgeois.

Le film _Un souffle au cœur_ de Louis Malle (1971) dépeint une famille bourgeoise de province des années 50’s. Mais, particularité, où la transgression est incessante. Les deux grands frères boivent, amènent des filles, maltraitent les servantes, baisent des putes, emmènent le petit frère se faire dépuceler etc. La mère a un amant, le père est décadent. Bref, ici la bourgeoisie sait vivre, l’argent ne fonctionne pas comme castration comme dans beaucoup de films ou de romans plus ou moins d’inspiration marxiste ; la bourgeoisie vit même trop ; à la fin tout le monde rigole parce que le héros (15 ans) a enfin découché et passé la nuit avec une fille.
Cela me fait penser à _The Innocents_ qui dépeint aussi le même genre de famille très libre, tout au moins pour les enfants. Je pense qu’il y a ici une vérité essentielle, que la plupart des œuvres loupent par haine de l’esprit bourgeois, comme toujours, e.g la dimension transgressive de la bourgeoisie, y compris contre le clergé comme chez Malle. Peut-être même que ce sont les fils de bourgeois qui furent les premiers à lutter contre l’emprise de l’église, en lisant Montherlant et Bataille, et non les fils de prolos, plus conservateurs, plus moraux.

Ce qui est dommage, c’est que le capitalisme n’a pas besoin d’alliés. Quand on lit les pages de _Grand père_ de J-L. Costes, comme tous les livres traitant des dictatures, voir du passé tout court, on se dit que la critique du progressisme à bon dos !… Les viols, les humiliations, les meurtres gratuits, ça y allait. Quand, après ça, on entend au café « Il n’y a jamais eu d’époque où la vulgarité, la bassesse, furent aussi applaudies qu’aujourd’hui » on se dit qu’il vaut mieux fermer sa grande gueule ; aller au cinéma, à la plage, lire des romans de gare et aller pointer à 9h30 au travail, baiser tranquillement ; et surtout fermer sa gueule et remercier Dieu de nous avoir fait naître aujourd’hui en France.

Un personnage houellebecquien. Il déprime gentiment. « Aujourd’hui, il ne se passe plus rien. J’ai bien vécu des événements, amitié, joie éphémère, hobby, passion amoureuse, quelques lectures bouleversantes. Le dernier en date, c’est une startup. Pourquoi tout cela s’est-il arrêté ? Est-ce ma faute ? Je ne crois pas. »

Qu’est-ce que serait qu’un essai sur le mainstream ? Etre Français, c’est croire qu’assez naturellement, en s’exprimant, on va toucher à l’universel. Or c’est aux USA que l’art populaire est mainstream, qu’il peut être apprécié ailleurs qu’aux USA. Cet optimisme français est drôle : comme s’il n’y avait pas de travail à faire contre soi-même pour s’adresser à l’universel.

Comment DOA maintient le suspens sur 300 pages ? Il « encadre » le récit dans les quinze jours de l’entre-deux tours d’une élection présidentielle. L’unité de temps est respectée ; il y a une « date butoir » à l’intrigue. Le lecteur se demande « mais comment cela va t-il être résolu avant la Fin, qui est déjà déterminée par l’intrigue ? »
Le suspens, c’est le fait d’encadrer une narration par sa fin. Contrairement à un roman contemplatif, un roman à suspens demande en permanence au lecteur : « Comment cela peut-il finir ? » Forcément mal. (Le roman d’aventure est, paradoxalement, une forme de contemplation : on aime l’aventure pour l’aventure.)
Le lecteur est « captif » car il veut s’en sortir. Il veut moins « plonger » dans l’histoire (sci-fi, aventure, pur style) que « s’en sortir » (énigme, suspens, horreur  etc.) D’où la question à propos d’un ou plusieurs personnages : « Comment va t-il s’en sortir ? » ; c’est cet état, comme lecteur, qui nous accroche. (Dans _La sentinelle_ on se demande comment le héros va parvenir à s’échapper, à se débarrasser de cette tête qui lui veut du mal. Dans _Le jardin de l’ogre_ on s’imagine que ça va mal finir pour l’héroïne, on se demande par où ça va exploser.)

Contre le courage, Truffaut défend plutôt le tact.

Dans _Pour une chance_ de Bertrand Betsch : « Mêmes si nos vies sont minuscules / Qu’elles nous chahutent, qu’elles nous bousculent / Il y a encore ta lumière / Qui me sert de point de repère. »

Debord : « Dans le petit nombre de choses qui m’ont plu, et que j’ai su bien faire, ce qu’assurément j’ai su faire le mieux, c’est boire. Quoique ayant beaucoup lu, j’ai bu davantage. J’ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent; mais j’ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent. »
Cette idée, présente chez Debord, comme une intuition commune chez les vidéastes de ce que sera Youtube : ses films sont presque exclusivement un assemblage d’extraits d’autres films. Ce procédé veut démontrer que les composantes d’une vie libre sont déjà présentes dans la nature et dans la technique. Mais il faut en modifier le sens et la structure, si l’on veut vraiment accéder à une expérience esthétique.

« J’écris pour sauver des images, le livre n’est qu’un prétexte » Emmanuelle Richard.

« Je suis le genre de fille qui prend toute sa valeur dans le noir » dans _Préparez vos mouchoirs_ de Blier.

Muray, Houellebecq, Kundera, Roth nous ont fait mûrir ; mais c'est à Nabe que revient le privilège d'avoir fait de nous des adultes, au tout départ. On pourrait même qu’ils nous ont appris à écrire mais que Nabe, lui, nous y a obligé.

Cotillard : « Je trouve une respiration, et cela dit tout le reste. Une voix qui respire ou pas, un corps qui respire ou pas. »

Étrange de constater, une fois de plus, que _les marges_ telles qu’elles ont l’air de passionner V. Despentes ne m’intéressent que peu. Ou alors, celles visant à produire _une norme_ évidemment, comme les hackers des années 60 et 70. Ou, inversement, le rock’n roll, puis le rap, qui sont devenus des orthodoxies après avoir marinés dans les marges, méprisés par l’intelligentsia.
Finalement, l’espèce de romantisme à être _rejeté_ ne peut pas m’attirer car j’en souffre ; et je ne comprends pas pourquoi V. Despentes continue d’admirer des gens qu’elle n’a fait que fuir.

Sur _Gaston et Gustave_ d’Olivier Frébourg : « De son ami Bernard Frank, il avait appris l'art de l'industrieuse paresse, de la digression littéraire et de la sieste gastronomique. Et voici qu'il découvrait l'horreur. Un enfant mort, qu'il conduisit seul, un matin, dans son tout petit cercueil en bois, jusqu'au feu du crématorium. Un survivant précaire, né au terme de 26 semaines, pour lequel le pronostic vital était engagé. L'insondable détresse de sa femme, qui allait bientôt le quitter comme Flaubert congédia Louise Colet. »

(passer le CAPES sans aucune préparation pour 2 jours de congés, se prendre un 3 et un 2, et se dire : « Merde, j’aurais pu avoir plus »)

(Achille qui, tout nu, caché par la porte d’une armoire, dit à Nathan : « Mais va donc à la cuisine prendre de la brioche » en sachant que Nathan doit passer derrière lui, et le voir cul nu, pour aller à la cuisine.)

En écoutant un rappeur parler de son métier, je me dis que la toute la culture « populaire » (par exemple, les notes de musiques, do, ré, mi, etc.) que les rappeurs utilisent dans leurs paroles vient d’une civilisation occidentale qu’ils détestent. Ce qui est drôle, c’est qu’ils utilisent le langage que des morts « occidentaux » ont crée, pour l’assassiner. Autrement, le rap ne peut pas exister sans une culture orthodoxe qui le soutient. Le rap rejoint toutes les contre-cultures qui ont besoin d’un tuteur auquel s’accrocher pour tenir debout : le rock’n roll, le pop-art, la langue parlée dans le roman.
Si l’on regroupe tout cela dans le « post moderne » et dans le collage, on comprend que la maturité de l’art occidental n’a jamais pu être atteint ailleurs, car il se positionne dorénavant par rapport à une culture classique. Vouloir imiter le post-modernisme dans une société qui n’a aucune colonne verticale est « littéralement » impossible, car un collage part bien, par définition, d’éléments préexistants.

La gauche, la religion, le conservatisme, etc. ne sont pas des idées politiques distinctes ; ce sont des chapelles d’une seule et même idiotie : la détestation de l’homme commerçant, c’est-à-dire du mouvement. (C’est pour cela que l’intellectuel compte moins que le boutiquier pour juger du pluralisme, c’est-à-dire du seul bien commun, car il existe des intellectuels au service de l’ordre, et qu’il n’existe que des boutiquiers au service du désordre ; sinon, cela s’appelle des fonctionnaires.) Ou, dit inversement, la fascination pour l’immobilité, pour le cadre, quel qu’il soit, aussi superbement orné, manufacturé. Toutes ces chapelles proposent de figer différemment, mais toujours de figer, les sujets humains ; et ce que certains nomment « progrès », le « sens de l’histoire », la « guerre sainte » ou la « réaction » sont des appellations variées pour dénommer _ le chemin_ que les chapelles comptent prendre pour bâtir leur parc humain ; qui diffèrent certes par bien des aspects, des interdits alimentaires aux vêtements au taux d’imposition, mais qui reste un parc (fonctionnarisés, ordonné, etc.)

Je veux écrire un roman sur le commerce, sur la croissance économique, ce mystère _humain_ que jamais personne n’a sondé de près. Moins sur le fonctionnement d’une entreprise, déjà fait, banal, que sur le processus d’enrichissement d’un homme, d’une communauté, d’un pays, du monde entier. Comment peut-on passer en soixante ans de l’après-guerre à l’An 2000 ? Comment est-ce _possible_ d’opérer une telle accumulation de valeur, de faire disparaître les paysans, les usines, etc.
Qu’est-ce qu’on crée quand on travaille, dans une société de services ? Plus personne ne _voit l’enrichissement_ à l’œuvre aujourd’hui, contrairement à un paysan ou un industriel qui augmente la cadence quotidienne de la production d’un bien X ou Y.
Revenir au traumatisme de la fin de mon enfance, qui n’est pas la chute du Mur comme Desplechin, mais mon arrivée à Katmandou, depuis Paris.

Nimier dans _Le Hussard bleu_ (p. 271) : Il faut regarder les rêves des adolescents pour ausculter une société. En 1900 : avoir une maîtresse. En 1930 : porter une arme, tuer.

Un film culte, ou un roman culte, c’est un bien culturel qui véhicule une manière de vivre que les jeunes gens imitent ; un idéal du bonheur, aussi, auquel les jeunes aspirent. Ainsi, en 2005, avec l’Auberge espagnole, l’idée que le bonheur doit passer par l’étranger, par l’exotisme (plus que par la défoncer ou la fête, cf. _Less than Zero_ etc.)

C’est bien _une certaine forme_ de saturation à l’œuvre qui m’intéresse dans un film ou un livre. (D’où mon indifférence à la peinture, à l’art plastique, ou même au théâtre, ou à la BD, des formes d’arts peut-être plus « pauvres en monde » malgré elles ; mais, évidemment, tout aussi sujettes à l’admiration savante, etc.)
Mais là encore, il faut être précautionneux : les films de Lynch peuvent à certains égards être considérés comme « saturés » de signifiants, or j’en ai de plus en plus horreur. De même, les romans de Pynchon, Wallace, etc. voir même Dosto, qui me tombent des mains.
La formule pourrait être : une saturation dans la juxtaposition, dans un cadre non-onirique.
Je reviens toujours au géologue/géographe. La vérité de la vie se loge dans l’art d’être géographe, de juxtaposer des éléments variés, inattendus, et de penser à des motifs (kunderiens) qui puissent unifier les éléments juxtaposés. Les motifs seront les qualités des personnages, qui ne changent pas selon les situations, mais aussi les « grands thèmes » qui traversent la fiction.
Exemples : Truffaut ne produit pas de grands films à mon goût car ses meilleurs films sont des blocs monolithiques ; pire encore avec Rohmer qui réduit ses films à une intrigue minimale. Je peux les admirer, mais cela ne représente pas ce que je cherche à faire. Bref, ce sont des œuvres pauvres, malgré tout le génie qu’on peut y trouver.
Le « film choral » n’est pas non plus un bon exemple de juxtaposition, car il traite de personnages différentes. Il y a une juxtaposition d’intrigues mais pas de niveaux de discours : on admire _Magnolia_ de P. T. Anderson car l’espèce d’ivresse est bien là, en dépit de l’aspect choral ; mais sa réussite formelle me semble plus limitée que _Two Lovers_, par exemple, ou bien d’autres films de James Gray, de Wes Anderson, d’Apatow etc. Pareillement, _La vie, mode d’emploi_ de Perec est éblouissant mais moins puissant qu’un Kundera, dont les romans comptent moins de personnages, mais imbriquent les fictions les unes dans les autres à un niveau bien supérieur.
Les teenage-movies m’intéressent plus : il y a toujours au moins deux univers, le lycée et les parents ; voir un troisième avec la petite amie.
(Quelques jours plus tard, j’ajoute : l’aspect « court » d’un roman me paraît de plus en plus essentiel. Fonctionner comme un flash, entre la nouvelle et le gros pavé, me semble être une tâche formelle absolument noble ; c’est qu’il n’existe pas de gros-livre qui me semble « géniaux » comme l’est _Extension_ ou _Contrevie_ par exemple.)

Juin 40 est notre seul outil intellectuel. Mais il ne faut pas se plaindre, Péguy et les siens n’avaient que Dreyfus à la bouche, puis, Céline, Drieu & Co n’avaient que Verdun. À chacun sa croix.

Finalement, et Perec et Houellebecq fonctionnent de la même manière, en croisant une étude théorique et des matériaux puisés dans des magazines féminins.

Noguez résume le talent de Houellebecq : Une nouvelle manière de voir les mœurs, la société, l'avenir. Faire des pronostics vachards - sur la disparition de Foucault & co à la fin du roman. Et des pronostics sur le destin de notre espèce.

Defalvard :
« A la différence des romans d’intrigue, où la cohérence est censée apparaître en premier lieu, ici c’est l’inverse: la cohérence est ce qui apparaît en dernier. Ce sont des romans qui ne montrent pas immédiatement où ils vont, ce sont des romans qui se cachent. On s’inscrit, au fond, dans une tradition française, là où beaucoup sont dans la dépendance d’une littérature américaine qui privilégie le plot, l’intrigue. J’ai voulu faire un roman qui n’ait pas d’autre honnêteté que celle de mon narrateur. »

Lévinas :
« Ce que j'aime, je l'aime sans limite, sans condition: je ne peux l'aimer que de manière (fantasmatiquement), illimitée. J’aime à l'infini. Je n'aime qu'à l'infini. »

Dresser une liste des items qui font qu’un roman « n’est pas un Marc Lévy ». Un personnage qui travaille à une check-list pour éviter de tomber dans du Marc Lévy malgré lui ; et c’est finalement cette œuvre (sous la forme de liste, de conseils, comme une « lettres à un jeune poète » d’aujourd’hui) qui le fera connaître.

La Seconde Révolution française, Mendras

On ne construit pas de maisons entre 1914 et 1960 dans bien des villages en France.

À partir de 65, les Français travaillent moins et font moins d’enfant ; ils profitent de leurs efforts.

Chômage, emploi féminin, espérance de vie, divorce : des métriques qui montent encore après 73.

Deux conflits : secteur public contre privé (réglé en 83) ; Église contre République vont s’éteindre. L’entreprise et le profit deviennent légitiment à partir de 83 ; le créateur d’entreprise est traité en héros (voir la publicité ? Messier, Séguéla ?)

1963 c’est : le nu dans les magazines, Nanterre qui ouvre, l’élection présidentielle, Vatican II, la grande surface.

La culture populaire est morte. Les valeurs de la bourgeoisie inondent partout.

L’agriculteur, en 45, ne prenait pas de crédit pour faire fructifier son entreprise—c’était mal vu d’être « en dette ». La paysannerie était anti-progrès, méfiante à l’égard de la technique etc. Une série de formation a lieu pendant les 50’s et 60’s pour apprendre la bonne gestion économique. Tout est fait en autoconsommation, il n’y a pas d’argent qui circule, si ce n’est pour gérer les successions. (Pas de salariat, payé une fois l’an car aucun coût fixe, aucun dépense.)

Le prolétariat naît véritablement qu’après 1900 en France (un siècle après l’Angleterre, un demi-siècle après l’Allemagne). La conscience de classe remplace le sentiment d’appartenance à « un métier ». C’est une force politique à partir des 50’s—en 36 les ouvriers ne sont pas encore massivement syndicalisés, ils le deviendront suite à 36, pas avant. Le prolétariat décrit par Marx n’existe que sur deux générations en France : dès les 80’s, les ouvriers ont des boulots proches de l’employé, pas d’efforts physiques, salariat, cantine, etc. Les immigrés prennent le relais, et ils obéissent à des formes très différentes du cliché ouvrier-syndicalisés de la première génération (entre-deux guerre).

Le mode de vie bourgeois répond à des règles écrites, tangibles, publiées dans des livres. Le nombre de domestiques est l’indication la plus claire du rang. On veut en avoir beaucoup pour ne rien faire soi-même, se donner en spectacle.
-> Énorme différence avec l’ère des robots, de l’optimisation, du gâchis que serait d’avoir des domestiques pour des bourgeois d’aujourd’hui. Il n’y a plus de bourgeois car il n’y a plus de tradition ? Non, car les paysans répondaient aussi à des traditions, au contraire il y a une légèreté par rapport aux règles qui est commune à tous.
« Une classe tout occupée de son loisir et de son confort. » Il faut en mettre plein la vue, le plus possible. « Bien vivre avec ostentation. »
-> cf. Instagram et la diffusion du « cool » e.g des endroits où il faut être, du FOMO, etc. Toujours être à la mode, au dernier-cri. Finalement un genre de snobisme qui a conquis le monde entier ; être « dans le coup » et s’observer les uns les autres pour savoir qui désir quoi, qui porte quoi, qui voyage où etc.

La mobilité sociale, c’est de devenir instituteur et d’offrir à ses enfants une plus grande carrière encore. Pompidou, Chirac, Armand (SNCF), etc.

La classe moyenne, dit déjà Simmel, déjoue le conflit marxiste. La classe moyenne opère la synthèse, permet aux uns et aux autres de s’y retrouver, donc nie l’antagonisme fondamental. Cela arrive plus tôt aux USA qu’en France.

Le barbecue remplace le dîner bourgeois : dehors et non dedans ; pas de distinction entre producteur et consommateurs, on mange les brochettes qu’on fait cuire ; habits informels ; hommes et femmes, vieux et jeunes tous assis ensemble de façon négligés, sans ordre, on se lève et on se rassoit. Le désordre est apparent mais l’ordre règne ; rôle de la femme (cuisine, salade) et celui de l’homme (faire cuire) ; décor pas du tout improvisé.

La durée de diffusion d’un prénom à la mode est passé de 37 ans à 13 ans en un siècle. Cela pour démontrer que le temps de circulation des modes est plus court, donc que c’est moins hiérarchique qu’horizontal.

Depuis 62, l’anti-militarisme n’est plus une forme de débat politique. L’armée n’est plus un sujet.

Auparavant, l’église c’était quatre chose : baptême, communion, mariage, enterrement. On passe de 92% à 50% entre 60’s et 90’s.

Quitter le P.C.F, c’était rompre avec tous les liens sociaux ; se couper d’un monde (clinique, presse, vacances, réunions, etc.) d’un seul coup. Absolument pas tenable : on comprend que l’idéologie ait résisté aussi longtemps, par la force des choses, du social.
-> De même, adhérer au FN aujourd’hui—ou sortir de l’Église avant le XXème—c’est rompre avec tous les liens sociaux, famille, couple, amis, médias, culture, travail, etc. La pensée-unique dépasse très rapidement le débat idéologique, elle rend « invivable » le fait de changer d’opinion.
À partir de 68, on préfère l’hédonisme au moralisme ; les ouvriers cherchent à se différencier des nouveaux pauvres et du « quart monde » ; le misérabilisme est perçu comme mensonger ; le P.C.F devient une secte, soucieuse de protéger ses membres.

Le pouvoir politique se fiche bien des universités, les bâtiments ressemblent à des HLM et n’ont pas grossit alors que la population étudiante a doublé entre 70’s et 80’s.

Le nombre d’élections augmente, avec l’Europe et les régionales. Avant 81, Mitterrand critiquait encore le mode d’élection du président au suffrage universel ; une fois qu’il a pris le pouvoir ainsi, les Français ont accepté ce mode de scrutin.

(L’amour libertaire n’est justement pas « ultra-libéral » comme le dit Houellebecq. Un mariage d’amour, c’est placer autre chose que l’intérêt comme ciment du couple ; d’où la hausse des divorces car la passion, contrairement à l’intérêt (e.g elle est riche, il est noble), peut disparaître. Le mariage d’amour, et toute une société fondée sur l’hédonisme sexuel, c’est le contraire du libéralisme qui défend l’intérêt avant la passion.)

Jusqu’en 1970, l’âge du mariage baisse et le taux de mariage montent. Puis entre 70’s et 90’s, le taux de divorce triple, l’âge moyen passe de 25 à 28 ans (hommes).
En 1975, la famille a résisté à la tempête de Mai 68 qui voulait abolir le cadre familial : enfants élevés en commun, communauté sexuelle, budget cuisine collectif ; abolition de la jalousie ; tout cela a échoué très vite.
Auparavant, la durée d’un mariage moyen était de quinze ans. La marâtre venait remplacer la mère souvent décédée en couche ; image disparue avec la belle-mère, et le passage d’une famille à l’autre.
Ce n’est plus la « cohabition » qui fait le couple : le fait de pouvoir reconnaître des enfants de plusieurs femmes est désormais possible—cela rend la polygamie tolérée. C’est la mère qui devient centrale dans la vie d’un enfant ; l’anxiété que le père soit légalement celui qui « tient le lit » disparaît.

La production de disques quintuple entre 1960 et 1980. Production de cassettes est multipliée par 16 entre 70 et 80. Tendance globale : on se détourne des grandes institutions, on crée des associations, participent à des groupes, etc. à l’échelle locale.
7% des foyers ont un piano en 1990.

En même temps que les « humanités » disparaissent, l’humanisme qui lui est lié aussi. La culture gréco-romaine, et la culture religieuse, ont disparu de l’enseignement ; au profit d’autre chose, des mathématiques. Caton, Achille, Horace, Phèdre, Cicéron… des références classiques pour un bachelier de 1900, connues aujourd’hui des seuls spécialistes.

Le « style de vie sport » arrive dans les 80’s. Paris se classe en tête des villes où l’on pratique un sport, le plus souvent individuel (car plus bourgeois) ; contre la campagne où ce sont les sports d’équipe qui priment. Jogging et aérobic explosent dès les 80’s ; en même temps que les sports à risque, parapente, ski acrobatique. Le sport comme pratique sportive, orientée vers la compétition, ou le sport pour « rester en forme », pour soi.
On commente chaque coup à la pétanque, on ne parle pas au tennis. Laisser-aller contre retenue.

Les femmes parlent plus avec leurs parents qu’avec leurs amis. L’intimité modérée des urbains focalisent sur les amis et les parents, modèrent le rapport au voisinage. Les cadres, eux, préfèrent leurs amis aux parents, par un « engagement électif » rythmé par les associations et les spectacles.

« Les manières et les modes de vies es ouvriers décrits par Bourdieu sont en train de s’affadir. » Les budgets, par exemple, consacrés à la nourriture tendent à s’uniformiser, de 30 à 20 points d’écarts en dix ans.
Pour l’ouvrier, loisir veut dire repos. Pour le cadre, il signifie activité, bricolage, sport, etc.

Les valeurs morales : diversité pour l’ensemble n’entraîne pas incertitude pour chacun. Volte-face idéologique de l’église : à la morale de l’échec fait place celle du plaisir : le travail n’est plus une malédiction mais l’occasion de « se réaliser ».